La Turquie, pays musulman de 71 millions dhabitants, mais à régime politique laïque, dont une partie du territoire se trouve en Europe, a reçu une promesse dadhésion à lUnion européenne dès 1963. Depuis cette date, elle a établi effectivement lunion douanière avec lensemble européen, mais son adhésion a continuellement été reportée pour diverses raisons. Parallèlement, lUE sélargissait à de nombreux pays, le dernier élargissement ayant eu lieu en mai 2004, et concernait huit pays de lEst européen, plus Chypre et Malte, portant ainsi le total des membres à 25. En décembre 2004, un compromis a été signé entre lUnion européenne et la Turquie, fixant le début des négociations dadhésion au 3 octobre 2005. A la dernière minute, lAutriche sest opposée à lapplication de ce compromis, en voulant substituer à ladhésion pleine et entière, un partenariat privilégié. Devant le refus catégorique de la Turquie, et laction dynamique du ministre britannique Jaques Straw, lopposition de lAutriche a été levée, mais en acceptant louverture de négociations dadhésion avec la Croatie, défendue par lAutriche. Si maintenant louverture des négociations dadhésion de la Turquie à lUnion européenne est acquise, les conditions fixées pour ladhésion effective sont draconiennes. En effet, ladhésion nest pas garantie, et les négociations doivent durer une dizaine dannées. Pendant cette période, la Turquie devra intégrer à sa législation «lacquis communautaire» composé de pas moins de 35 chapitres, dont la circulation des capitaux, des biens et services, et des personnes, la sécurité alimentaire, léducation, la culture et la protection de lenvironnement. LUnion européenne peut suspendre les négociations, si des violations graves des libertés, de la démocratie, des droits de lhomme et de létat de droit sont commises en Turquie. Chaque chapitre doit faire lobjet dun vote à lunanimité des Etats membres, qui devront par la suite voter à lunanimité ladhésion définitive, dont certains Etats par référendum. Au cours des négociations, devra être résolu le problème sensible de Chypre. En effet, par le Protocole du 29 Juillet 2005, la Turquie a accepté lextension de lunion douanière à lensemble des pays membres de lUnion européenne, dont Chypre; mais na pas reconnu de «jure» lexistence de la République de Chypre, reconnaissance exigée par Bruxelles. Enfin, lUE a subordonné ladhésion définitive de la Turquie à ladoption du budget communautaire 2014 - 2020. Certes, les obstacles à ladhésion de la Turquie à lUnion européenne sont nombreux et difficiles à surmonter, mais limportant est la décision de lUE douvrir les négociations dadhésion. Cette décision a en effet plusieurs significations. Elle accroît tout dabord la crédibilité de lUnion européenne, en respectant la promesse dadhésion faite dès 1963 à la Turquie. Elle récompense ce dernier pays dans son attitude pendant la guerre froide, et son appartenance dynamique à lOTAN et au Conseil de lEurope. Il faut saluer à cet égard la position courageuse et favorable à ladhésion, des grands leaders européens : le Président Jacques Chirac, le Premier ministre Tony Blair et le Chancelier Gérard Schroeder. Par cette décision, lEurope envoie un message au monde musulman pour un dialogue constructif et fructueux, écartant toute idée de «choc des civilisations». Les négociations dadhésion vont permettre à la Turquie de faire un saut qualitatif dans tous les domaines. Sur le plan politique, elle va accroître les libertés, la démocratie, les droits de lhomme, létat de droit. Sur le plan économique, elle va pouvoir développer ses infrastructures, créer de nouveaux emplois, mettre à niveau ses régions pauvres, notamment dans le monde rural. Sur le plan social, elle va pouvoir moderniser son éducation, enrichir sa culture, accroître la protection sociale, et fournir un logement décent à toute la population. La Turquie pourra devenir un exemple pour les autres Etats musulmans, ce qui permettra de diminuer la tension internationale, et son vecteur dévastateur : le terrorisme intégriste. LUnion européenne va également tirer partie de ladhésion de la Turquie, en investissant un marché demandeur de 70 millions de consommateurs, en augmentant sa compétitivité par des investissements croisés et en profitant dune économie turque en pleine croissance. Les Européens doivent atténuer leur peur dune vague déferlante des travailleurs turcs en Europe. Lexemple de lEspagne a montré quun pays qui se développe devient importateur de main-duvre, et non plus exportateur. Sur le plan géostratégique, et en pensant à létat du monde en 2050, on peut imaginer trois pôles hégémoniques. Le pôle américain, qui sera dominé par les Etats-Unis, le Mexique et le Canada. Le pôle asiatique qui sera dominé par la Chine, lInde et le Japon. Enfin le pôle européen, qui regroupera lEurope et les pays méditerranéens. LEurope a donc tout intérêt à construire son pôle dès maintenant, en tissant des liens très étroits avec les pays méditerranéens au Sud, afin dassurer léquilibre du monde en 2050. Pour ce qui est du cas de notre pays, le Maroc, lié à la Turquie par un accord de libre-échange, nous avons tout intérêt au succès de ladhésion de la Turquie à lUnion européenne. Nous pourrons y exporter davantage de produits, et surtout accueillir plus dinvestissements de ce pays, qui a lavantage de la proximité. Enfin, ladhésion de la Turquie à lUnion européenne nous ouvrira la porte de notre propre adhésion, car il ny a pas de raisons que le Maroc nadhère pas lui aussi à lUnion européenne. (*) Président de lIMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)