L'Institut marocain des administrateurs (IMA) a récemment livré les résultats de son enquête sur les pratiques de la gouvernance des sociétés cotées. Le régulateur était absent et deux émetteurs seulement étaient présents dans la salle. Beaucoup de bonne volonté de la part de l'IMA, mais la démarche semble utopique face à la réalité économique plus complexe de certaines entreprises. La première enquête sur la pratique de la bonne gouvernance a été menée par le CDVM en 2010. Le régulateur a ensuite passé le relais à l'IMA pour les nouvelles éditions de cette enquête qui sera menée tous les trois ans. Néanmoins, cet Institut ne peut émettre de recommandations, mission relevant du CDVM. Ainsi, il s'agit uniquement de dresser une image statistique d'un échantillon d'entreprises représentatif de la Bourse de Casablanca. Selon Sophie Schiller, professeur à l'Université Paris-Dauphine et invitée lors de la présentation des résultats de l'enquête, il y a une surpondération des banques et des assurances dans l'échantillon (13 établissements financiers sur 42 entreprises), alors que le secteur est déjà extrêmement régulé par les autorités monétaires. Cette situation aboutit à des conclusions satisfaisantes sur l'état global de la gouvernance des entreprises cotées à cause de la sur-présence des banques. Une méthodologie qui laisse à désirer Ensuite, la démarche est déclarative. Les interrogés peuvent répondre comme bon leur semble aux questionnaires, surtout qu'il n'existe aucune conséquence légale si les interviewés ne répondent pas honnêtement. Sur ce point, Sophie Schiller précise : «En France, le débat sur l'instauration d'un code de bonne gouvernance, qui implique une communication de la part des entreprises sur le mode de gouvernance à l'instar de la communication financière traditionnelle, a mis en avant le rôle que doit jouer l'autorité des marchés financiers (AMF) dans ce processus. Or, l'AMF a refusé au départ de faire des contrôles a posteriori car cela demande des moyens humains importants. Ensuite, les parties prenantes ont réfléchi au rôle que peuvent jouer les commissaires aux comptes dans cette démarche. Mais ces derniers ont également refusé de prendre cette responsabilité car ils préfèrent les contrôles quantitatifs à ceux subjectifs liés à la bonne gouvernance». Au final, il a été décidé que l'AMF ferait ces contrôles a posteriori des déclarations des entreprises, que ce soit sur la compétence des organes de décision, sur l'existence ou pas de conflits d'intérêts au sein des conseils d'administrations, sur la séparation des fonctions, etc. Un procédé pareil au Maroc permettrait au CDVM de recourir au juge dans une procédure pénale lorsque le management d'une entreprise ne respecte pas les «règles de bonne conduite» et ce, afin d'indemniser les investisseurs lésés. Encore faut-il réussir à prouver que les actionnaires lésés ont investi dans une action parce qu'elle dispose d'une bonne gouvernance. Une mission difficile, voire utopique, lorsqu'on constate que des enquêtes sur des abus ou effractions, bien plus simples à détecter, prennent un temps monstre et n'aboutissent pas toujours à des poursuites. Le marché demande autre chose Le sentiment est que l'IMA rêve en plein jour. Non que sa quête ne soit pas noble, loin de là ! Mais la réalité du marché boursier nécessite l'instauration d'autres pratiques bien plus urgentes pour un minimum de transparence, d'abord financière et comptable, avant de parler d'éthique, de compétences des dirigeants ou encore de représentation des femmes au sein des Conseils d'administration. Par ailleurs, la structure de l'échantillon, comme évoqué plus haut, favorise l'élitisme. Car si le code de bonne gouvernance des entreprises est amélioré dans le futur, les autorités boursières se baseront sur les résultats de cette étude pour le mettre en place. Il y a six mois de cela, lorsque l'IMA allait lancer son enquête, Hassan Boulknadel, Directeur du CDVM avait déclaré : «Le code de bonne gouvernance des entreprises devra émerger d'un consensus émanant des entreprises pour les pousser ensuite à le respecter. Il ne s'agit pas de leur imposer des pratiques». Or, le consensus dégagé par cette enquête se rapproche beaucoup des pratiques des sociétés bancaires et financières en général. Lorsqu'on sait qu'il existe des entreprises cotées de très petite taille et que la mise en conformité avec ces pratiques, en plus de la communication institutionnelle qui doit suivre, représenteront pour elles une charge financière importante, on comprend qu'elles décident les unes après les autres de quitter le marché. En plus, l'intérêt économique de cette conformité se fait ressentir à long terme. Il n'y a pas de gains opérationnels immédiats. Enfin, il faut signaler que sur les 42 entreprises interviewées, seuls deux émetteurs étaient présents lors de la présentation des résultats de l'étude. Il s'agit de Mohamed Horani, Président Directeur Général de HPS, et de Jawad Sqalli, Directeur général de Aluminuim du Maroc. Le CDVM, le plus concerné, a brillé par son absence !