La tenue de comptabilité des entreprises n'est pas le monopole des experts-comptables, comme c'est le cas ailleurs. Les pays cités par l'étude ne sont pas comparables au Maroc ni quantitativement par rapport au nombre d'entreprises et de mandats de commissariats aux comptes, ni qualitativement par rapport à l'organisation de la profession. Issam El Maghiri, président de l'Ordre des experts-comptables des régions de Casablanca, Centre, Tensift et Sud rejette en bloc l'étude élaborée récemment par le Conseil de la concurrence. Finances News Hebdo : Selon l'étude publiée récemment par le Conseil de la concurrence, le Maroc, comparativement à d'autres pays de l'UE, occupe la première place en termes de restrictions qui limitent la concurrence au sein des professions libérales réglementées. Qu'en pensez-vous ? Issam El Maghiri : De prime à bord, il est à noter que nous n'avons pas été consultés en amont et n'étions pas non plus destinataires de l'étude dont vous parlez. La profession comptable n'est pas réglementée à ce jour au Maroc. Il n'existe pas de restrictions légales à l'exercice libéral des métiers de comptabilité et de conseil aux entreprises. Cette profession au Maroc, contrairement aux pays cités par l'étude, ne comprend pas que les experts-comptables mais aussi les comptables agréés, les fiduciaires, les comptables ambulants (marocains et étrangers). Le projet de loi visant la réglementation de cette profession est toujours en cours. Certains journaux ont évoqué au niveau de l'étude que pour 100.000 entreprises ayant besoin de tenir une comptabilité, il n'y a que 400 experts-comptables, ce qui n'est pas vrai. D'abord parce que la tenue de comptabilité des entreprises n'est pas le monopole des experts comptables comme c'est le cas ailleurs. Les experts-comptables n'ont qu'un seul monopole, d'ailleurs légitime de par leur solide formation, qui est celui de la certification des comptes des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limité dont le chiffre d'affaires est supérieur ou égal à 50 millions de dirhams. Le marché de certification, composé essentiellement du commissariat aux comptes est très limité, et plus de la moitié des experts-comptables n'ont pas de mandats. On peut parler donc, d'un engorgement du marché et non pas d'insuffisance d'effectif. Il est en effet indispensable de corréler effectifs et besoins de l'économie nationale en certificateurs de comptes de sociétés avant de juger de l'insuffisance du nombre des experts-comptables. Ceci dit, au Maroc, hormis l'encadrement de la publicité, il n'y a aucune restriction à l'exercice professionnel (prix, géographie, création de filiales, création de structure interprofessionnelle). Ce qui a engendré des baisses significatives des honoraires de certification depuis la création de l'ordre des experts-comptables. En définitive, Il est important de rappeler qu'une étude, ne peut être crédible sans consultation préalable des concernés, notamment l'ordre des experts-comptables et se baser sur des statistiques fiables. A défaut, les conclusions ne peuvent être que trop biaisées. F. N. H. : Le Conseil a comparé la situation du Maroc à celle des principaux pays européens pour tirer ses conclusions. Le choix est-il pertinent ? I. E. M. : Les pays cités par l'étude ne sont pas comparables au Maroc ni quantitativement par rapport au nombre d'entreprises et de mandats de commissariats aux comptes, ni qualitativement par rapport à l'organisation de la profession. L'UE connait une avancée réglementaire par rapport au Maroc, les professions libérales étant réglementées. On a évoqué notamment le modèle français de réglementation des professions libérales dont celle relative à l'expertise comptable, en disant que le Maroc emprunte le même modèle. Ce qui n'est pas vrai car les experts-comptables en France, qui a plus de 3,5 millions entreprises à fin 2010 (selon l'INSEE), ont le monopole de la comptabilité, ce qui justifie leur nombre important (plus que 20.000 experts-comptables). Cela fait 175 sociétés par expert-comptable français contre 8 sociétés par expert-comptable au Maroc (certification). F. N. H. : Au cas où les recommandations de l'étude sont prises en considération, cela ne risquerait-il pas d'affecter la qualité des prestations fournies par les acteurs des professions libérales ? I. E. M. : Sur le plan méthodologique, il est clair qu'il y a une méconnaissance de notre profession et une confusion entre la certification des comptes (commissariat aux comptes essentiellement) monopolisée par les experts-comptables et la tenue des comptes et le conseil de manière générale dont l'exercice est libre aujourd'hui. Normalement, il est plus cohérent de lier le nombre des experts-comptables au nombre de mandats de commissariat aux comptes (quelque 4.000 sociétés concernées selon l'étude) et pas au nombre des entreprises (presque 100.000 selon l'étude). La structure d'âge de notre population est similaire à celle française. Le modèle utilisé est trop réducteur et ses résultats sont incorrects. Par exemple, la France dont l'exercice professionnel et l'accès à la profession sont réglementés est mieux notée que le Maroc, dont la profession comptable n'est pas réglementée et dont l'accès est libre même aux étrangers. En ce qui concerne la recommandation pour l'ouverture des professions libérales à l'actionnariat extérieur, encore une fois, l'étude en question a démontré un manque de maitrise du sujet traité. Car l'ouverture du capital d'une société d'expertise comptable à des «non experts-comptables» est déjà possible aujourd'hui. En effet, la loi réglementant notre profession autorise les «non experts-comptables» à avoir 25% du capital d'une société d'expertise comptable. F. N. H. : La libéralisation progressive de l'économie marocaine pourrait-elle se traduire par une arrivée massive de professionnels de l'étranger ? Si oui, comment la profession compte-elle s'organiser pour défendre ses acquis ? I. E. M. : Les cabinets comptables étrangers exercent depuis toujours au Maroc sans aucune restriction puisque l'exercice professionnel est libre aujourd'hui (nationaux et étrangers) sans aucune condition de diplôme ni d'expérience contrairement aux conclusions de l'étude en question. D'ailleurs, la question de réciprocité se pose avec insistance car il est anormal que les étrangers puissent exercer au Maroc sans que nous ne puissions exercer chez eux. F. N. H. : Quelles sont les mesures à mettre en place pour fluidifier l'accès aux professions libérales sans pour autant impacter la qualité du travail fourni ? I. E. M. : Il convient de lier le nombre à former au besoin de l'économie marocaine. Ce besoin est aujourd'hui inconnu et dépendrait toujours du nombre des entités qui auront à certifier leurs comptes. Il faudrait donc commencer, par diligenter une étude profonde et prospective sur le besoin en professionnels en toutes matières sur le moyen et long termes. Toujours pour mettre en exergue les incohérences de cette étude, cette dernière ne signale pas que des centaines d'étudiants marocains font le choix de se former à l'étranger. Ceux-ci auraient la possibilité dans le cadre de l'équivalence des diplômes étrangers d'intégrer la profession et de devenir membres de l'Ordre des experts-comptables.