Un bénéfice n'accroît pas forcément le cours de l'action. L'endettement améliore la rentabilité dans des cas bien précis. Le rendement d'un projet dépend rarement de la manière dont il est financé. La distribution de dividendes plaît certes aux actionnaires, mais n'augmente pas la valeur de l'entreprise. Créer des filiales pour y loger des participations «toxiques» peut tromper les marchés, mais pas pour longtemps. De même que l'introduction ou le retrait de la Bourse modifie la distribution de la richesse, mais n'agit que très marginalement sur sa création Les critères qui permettent d'évaluer la pertinence d'une décision financière sont au nombre de cinq : 1 : La Valeur est économique et non comptable Le résultat net n'a jamais été un bon indicateur de mesure de la performance. Et pour cause, il est manipulable à volonté et sa détermination obéit plus à des considérations fiscales qu'à une discipline économique. Un bénéfice important et en croissance peut cacher des catastrophes de gestion, comme un déficit peut résulter de choix comptables. Et pourtant, tous les yeux sont rivés dessus et nous lisons d'abord le bas du compte des produits et charges (où est logé le résultat net) et ensuite la première ligne (où se trouve le chiffre d'affaires). Beaucoup d'entre-nous ne vont pas plus loin. Or, pour être performante, l'entreprise doit être compétitive sur ses marchés, continuellement créer de la richesse pour ses partenaires et honorer, à tout moment, ses engagements vis-à-vis d'eux. Trois mesures permettent d'évaluer cette performance : - Les Parts de marché. L'entreprise doit non seulement croître, mais le faire plus rapidement que ses concurrents. Pour ce faire, il faut convaincre un marché de plus en plus exigeant de la supériorité de son offre sur celle des concurrents. Sans croissance des revenus supérieure au marché, toute création de valeur devient à terme compromise et la survie de l'entreprise menacée. - Le Profit économique. Alfred Marshall a écrit en 1896 «there's no profit unless you earn the cost of capital1». Quel que soit le résultat d'une entreprise, s'il n'est pas suffisant pour rémunérer tous les apporteurs de fonds (actionnaires et prêteurs), il n'y a pas de création de valeur et donc pas de performance. - Les Flux de trésorerie disponibles. La croissance et le profit économique ne suffisent pas si l'entreprise ne les transforme pas en trésorerie pour honorer ses engagements vis-à-vis des tiers (fournisseurs, salariés, Etat et bailleurs de fonds). 2 : La Valeur est industrielle et non financière La création de valeur est rarement le fait des financiers, elle l'est davantage entre les mains des producteurs, des commerciaux, des mercaticiens, des gestionnaires des ressources humaines et de plus en plus des informaticiens. Toute décision qui n'augmente pas une recette, ne réduit pas une dépense ou les deux à la fois, n'a aucun impact sur la valeur de l'entreprise. Ainsi, financer un projet par endettement ou en fonds propres n'agit aucunement sur sa rentabilité intrinsèque. De même, le montant de la rémunération des actionnaires et sa forme (dividende ou rachat d'actions) ne constituent qu'une redistribution de la richesse déjà créée. Les montages financiers, aussi sophistiqués et élégants soient-ils, doivent être appréciés à l'aune de cette question : augmentent-ils ou pas les flux de trésorerie de l'entreprise? 3 : La Valeur est future et non passée Une entreprise est jugée sur sa capacité actuelle à créer de la valeur et sur son aptitude à la maintenir dans le temps. Quels que soient ses résultats glorieux passés, ils ne servent que comme «information» ; sa valeur dépend des anticipations des acteurs sur son avenir. D'où l'importance pour eux d'avoir une stratégie claire et un leadership crédible. 4 : La Valeur est contextuelle et non intrinsèque La Valeur ne dépend pas de l'actif géré, mais de la manière dont il est géré et par qui il l'est. A moins qu'il ne s'agisse de la «Joconde» ou de «Tournesols» dont la valeur est intrinsèque, tout actif ayant une valeur marchande la voit évoluer en fonction de son détenteur et de ce qu'il compte en faire. Une même entreprise, selon qu'elle soit menée par une équipe ou par une autre, générera des rentabilités différentes. Et la même équipe adoptant deux stratégies différentes obtiendra des résultats différents. La question que doit se poser tout actionnaire est : «Suis-je toujours le meilleur exploitant de mon actif ? Fais-je mieux que la concurrence, en termes de croissance, de création de valeur et de cash flows ou pas ?». 5 : La Valeur est conflictuelle La création de valeur est un jeu à somme nulle. Développons. L'entreprise n'existe pas, c'est une vue de l'esprit. Il s'agit d'un réseau de relations entre différents protagonistes liés par des contrats de prestations. Ils ont des stratégies différentes, mais un but commun : maximiser leur profit. Il s'ensuit des relations de force, où chacun essayera de s'accaparer l'essentiel de la valeur créée par ce réseau. Dans le jeu de la création de valeur, le gain des uns n'est obtenu que par la perte des autres, dans les mêmes proportions et dans des sens opposés. La somme, à la fin de la partie, est zéro. Prenons le cas d'une entreprise industrielle. Ses charges sont les revenus de ses fournisseurs et son chiffre d'affaires constitue des dépenses pour ses clients. Pour maximiser son profit, il faut qu'elle augmente ses revenus (donc les dépenses de ses clients) et minimise ses charges (donc les revenus de ses fournisseurs). Toute augmentation de son gain revient, dans les mêmes proportions, à réduire celui des autres acteurs du réseau. Ces principes constituent un filtre d'évaluation de la pertinence des décisions financières et de leur impact réel sur la valeur de l'entreprise. Bien des opérations applaudies par le marché et les observateurs sont de pures chimères car ne respectant pas ces règles fondamentales de la finance d'entreprise et ne créant donc aucune valeur. N'oublions tout de même pas que celle-ci est la raison d'existence même de l'entreprise. Nabil Adel* 1/ Il n'y a profit que si vous gagnez le coût du capital. * Nabil Adel est cadre dirigeant d'assurances depuis 1997. Il est consultant auprès de plusieurs institutions financières nationales et internationales (Opérations de haut de bilan, Fusion-Acquisition et valorisation), de fonds d'investissement (Due diligence, évaluation et business plans) et de grandes entreprises (Stratégie et Organisation). Il est également professeur d'économie, de stratégie et de finance d'entreprise depuis 2002. www.nabiladel74.wordpress.com Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.