Des fonctionnaires des régies de distribution d'eau et d'électricité manifesteraient leur intérêt pour un départ à la retraite anticipée. Et ce afin de pouvoir bénéficier de la générosité actuelle du système, au cas où l'hypothèse de la réforme paramétrique est retenue. Elle est qualifiée par des experts comme étant trop simpliste. La Commission nationale de la retraite s'est réunie hier sous la présidence de A. Benkirane. L'annonce de la réunion fut d'ailleurs l'un des principaux faits marquants de la première rencontre de la Haute commission de concertation, tenue récemment à Rabat. Le but de la rencontre est de partager les résultats des travaux de la commission technique avec le chef du gouvernement. «Cette rencontre se veut une occasion pour le chef du gouvernement de demander l'approfondissement de telle ou telle mesure. Ce n'est que le point de départ d'un nouveau cycle de réunions», nous confie une source proche du dossier. Il faut donc continuer à prendre son mal en patience. Pourtant, telle qu'elle se présente aujourd'hui, la situation appelle à l'urgence. Elle le sera encore plus dans l'avenir en raison de la situation démographique avancée au Maroc et du changement profond qu'il produit dans la pyramide des âges. Des chiffres à retenir : l'effectif des personnes âgées de 60 ans et plus passerait de 2,7 en 2010 à 10,1 millions en 2050, année où elles représenteraient 24,5% de la population totale, alors que cet effectif ne constituait que 7,2% et 8,1% respectivement en 1960 et 2004. Ces chiffres dévoilés récemment par le HCP dans une étude relative au vieillissement de la population montrent que le taux de dépendance, défini comme le rapport du nombre de personnes en âge d'activité par celui des personnes âgées de 60 ans et plus, se situerait à 2,4 individus en 2050 au lieu de 7,7 en 2010. La mesure la plus simple pour remédier aux difficultés auxquelles sont confrontés les régimes de retraite marocains repose entre autres sur une réforme paramétrique. Telle qu'elle se présente dans les scénarios retenus, cette réforme ne peut avoir un impact qu'à court terme. Pis encore, cette réforme, si elle venait à se concrétiser, pourrait inciter les affiliés à opter pour un départ à la retraite anticipée. «Des fonctionnaires des agences de distribution d'eau et d'électricité commencent déjà à y penser sérieusement», nous confie un expert. Une retraite anticipée, qui certainement, pourrait avoir des conséquences économiques et sociales négatives importantes. Contactées par nos soins, les caisses de retraites sont restées fermées à tout commentaire. Nous avons juste recueillis les propos d'une source de la CMR (voir Focus). «Si une telle hypothèse venait à se concrétiser, nous ne savons pas si elle favoriserait ou pas les départs à la retraite anticipée», souligne-t-il. Mais il reste un peu sceptique dans la mesure où le taux d'annuité appliqué pour un départ anticipé est aujourd'hui seulement de 2% contre 2,5% pour une retraite à l'âge légal. Une telle mesure ralentit de façon générale les départs anticipés. Réforme paramétrique : une lecture trop simpliste «La viabilité financière à long terme nécessite d'aller au-delà des ajustements paramétriques», explique Salah-Eddine Benjelloun, docteur en économie. Il donne l'exemple de l'Egypte dont le taux de couverture est le plus élevé de la région MENA et qui a opté pour une refonte générale des Caisses d'Assurance Sociale et leur remplacement par un système fondé sur les «comptes notionnels». Une pension minimale non contributive est servie à tous les citoyens égyptiens âgés de 65 ans et plus. D'après lui, les prochains mois seront indéniablement plus décisifs parce que le chef du gouvernement est appelé à trancher sur ces questions cruciales. Comment renforcer les différentes dimensions de la solidarité sociale ? Comment élargir la couverture des retraites et, plus généralement, quelle stratégie mettre en place pour construire un «socle de protection sociale» devant réduire les inégalités ? Les mesures classiques adoptées en cas de réforme paramétrique se traduisent par le relèvement du taux de cotisation et de contribution. Ce qui pourrait avoir des retombées néfastes sur le marché du travail, compte tenu de son impact sur le coût de la main d'œuvre. Le second point est relatif à l'augmentation de l'âge de la mise à la retraite : cet aspect de la réforme est en adéquation avec l'augmentation de l'espérance de vie, mais doit prendre en compte la pénibilité de l'emploi lors de la fixation de l'âge de départ à la retraite. Et enfin, ont peut aussi agir sur les prestations en réduisant le taux d'annuité ou en révisant la base de calcul des pensions. Inutile de rappeler que les réformes paramétriques introduites par le passé n'ont pas eu les effets escomptés. Compte tenu des données démographiques actuelles et des analyses prospectives réalisées, le vieillissement de la population au Maroc contribue à fragiliser les caisses de retraite qui, dans un avenir relativement proche, risquent de rencontrer des difficultés financières sévères menaçant leur viabilité. Toutefois, la seule dimension démographique ne suffit pas pour expliquer cette situation. D'autres facteurs interviennent, notamment ceux relatifs au système de financement basé sur les contributions d'une faible partie de la population active. «Les régimes de retraite par répartition, hérités de la colonisation, ne semblent pas adaptés au mode de développement économique et social du Maroc qui inclut un secteur agricole important, et une part élevée d'emplois informels», explique Christine Lagoutte, de l'Université Roblais dans un article sur l'impact du vieillissement de la population dans les pays du sud. Face à cette problématique, les pouvoirs publics font des propositions de réformes, surtout d'ordre paramétrique, qui n'aboutissent pas toujours à un consensus. Au-delà du bien-fondé de ces réformes, il apparaît plusieurs limites qui tendent à en restreindre la portée, et en particulier l'insuffisante prise en compte de la dimension structurelle de l'économie marocaine. «Afin d'améliorer le système des pensions, il paraît souhaitable d'améliorer l'emploi dans le secteur formel afin d'élargir l'assiette de financement, et d'assurer une couverture vieillesse à une plus grande partie de la population», tient-elle à préciser. Elle reste pourtant persuadée que compte tenu d'une composante informelle de l'économie encore relativement forte, la mise en place d'un système de «pensions minimales» pourrait permettre de limiter la pauvreté des personnes âgées, et de contribuer au développement économique et social du pays. S. Es-Siari Le mémorandum sera la feuille de route de la réforme des régimes de retraites ! Très attendu sur le dossier de la réforme de la retraite, le Chef du gouvernement, A. Benkirane a fini par sortir le dossier de son ornière ! Présidant la Commission nationale chargée de la réforme des régimes de retraites réunie hier à Rabat, le chef de l'exécutif a déclaré que le mémorandum élaboré par ladite commission technique, dans la perspective d'une réforme globale, constituera une feuille de route pour la réforme des régimes de retraites. Ledit mémorandum propose la mise en place d'un système de retraite bipolaire : un pôle public et un pôle privé. Le pôle public devra regrouper les régimes de retraites civils et collectifs pour assurer le versement des pensions des retraités, alors que le pôle privé vise à renforcer la situation financière de la caisse nationale de sécurité sociale et sa base juridique afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle social ainsi que l'élargissement de la couverture sociale aux autres catégories de la population active, autres que les salariés. Le deuxième volet de réforme qui revêt un caractère urgent consiste à introduire des réformes aux régimes de retraite civiles qui se trouvent dans une situation critique par rapport aux autres régimes de retraites et ce afin de renforcer son assiette financière et repousser éventuellement son déficit. Cette réunion s'inscrit dans le cadre de l'engagement du gouvernement à poursuivre le dialogue et la concertation avec les acteurs socio-économiques pour trouver des solutions à même d'assurer la viabilité du régime de retraite et d'élargir sa couverture à la majorité de la population active, a souligné le chef du gouvernement, précisant que cette viabilité devra permettre d'assurer le versement des pensions aux retraités et ayant-droits actuels et futurs. Cela permettra aussi aux caisses de retraite de jouer leur rôle économique en tant qu'acteur agissant au niveau de l'investissement et du développement de l'épargne nationale. «Nous allons œuvrer à trouver une formule consensuelle fondée sur l'esprit de citoyenneté dans le but d'adopter une réforme appropriée pour notre pays en s'inspirant des expériences réussies dans ce domaine au niveau international», a assuré A. Benkirane. Ceci étant, aucune décision concrète n'a été prise, puisque cette rencontre est la première d'une série d'autres à suivre.