[01_Rahou]Le Maroc a développé l'accès à Internet et le contenu en ligne, mais la capacité de la population à utiliser ces services n'a pas suivi. L'accès des personnes analphabètes à ces services peut être assuré, d'abord par leurs enfants, mais également par des sites d'accès communautaires qui peuvent être organisés dans les écoles ou les communes. Les initiatives d'e-gov doivent s'inscrire dans une stratégie globale portée par une forte volonté politique de faire aboutir ce chantier. Pour Ahmed Rahhou, président de l'Association des Anciens Elèves de Télécom Paristech, il est primordial pour le succès de Maroc Numeric de pousser les services de l'administration à travailler ensemble. - Finances news hebdo : Depuis l'enclenchement du e-gov il y a dix ans, quel bilan global en faites-vous ? Et comment expliquer qu'après tant d'années, le Maroc est 120ème dans le classement e-gov ONU ? - Ahmed Rahhou : Le classement du Maroc par l'ONU au 120ème rang mondial couvre une appréciation contrastée entre trois critères qui sont pris en compte pour la notation globale : l'infrastructure des technologies de l'information (notamment l'accès à Internet), le contenu disponible pour le citoyen (quels services sont accessibles sur le net) et la capacité de la population à utiliser ces services (problème d'analphabétisme en particulier). Le Maroc a fait des progrès dans les deux premiers critères mais reste en queue de peloton pour le troisième. En fait, il y a une accélération ces dernières années en matière d'équipement qui n'est pas encore prise en compte dans le classement, et le contenu sur Internet progresse mais de façon lente. Nous devons clairement accélérer la cadence. - F. N. H. : Certains services au profit des citoyens (watiqa.ma, par exemple) restent encore au stade d'expériences pilotes contenues à Rabat, tandis que les services au profit de l'Etat sont généralisés plus rapidement. Qu'en pensez-vous ? - A. R. : Il y a des expériences de services dématérialisées qui fonctionnent très bien. On peut citer à titre d'exemple le cas de Damancom, de la CNSS, du service BADR, de la Douane. Par contre, beaucoup d'autres services restent à l'état de site pilote, ou encore en situation de développement et de test qui durent longtemps. En réalité, il manque au Maroc une vision claire sur le sujet e-gov, et une volonté forte au niveau du chef du gouvernement pour faire aboutir ce chantier. C'est le seul moyen pour que les initiatives des différentes administrations ne restent pas cloisonnées, et que les démarches suivies pour l'installation du e-gov prennent réellement en compte les attentes des citoyens et des entreprises. - F. N. H. : Le Maroc a enregistré un développement indéniable des télécoms et des nouvelles technologies. Mais paradoxalement, c'est l'un des pays qui a un taux d'analphabétisme des plus élevés. Cela ne serait-il pas un facteur de ralentissement du e-gov au Maroc ? - A. R. : Le niveau d'analphabétisme au sein de la population marocaine pénalise le pays dans beaucoup de choses et participe à la mauvaise classification du Maroc sur l'ensemble des critères économiques, sociaux et de développement humain. Cela ne doit pas décourager pour autant le développement des services sur Internet. L'accès à ces services pour les personnes analphabètes peut être assuré, d'abord par leurs enfants, mais également par des points d'accès communautaires qui peuvent être organisés dans les écoles ou les communes, ou à travers des initiatives privées comme cela s'est fait pour les cybercafés et les téléboutiques. Il faut noter que la dématérialisation des services sur le net peut aider considérablement ces populations, surtout en milieu rural. Prenons en effet le cas des prises de rendez-vous dans les hôpitaux pour des pathologies graves ou chroniques (cancer, insuffisance rénale, problèmes cardio-vasculaires). Aujourd'hui, la personne malade doit se déplacer dans les centres urbains les plus proches et attendre parfois des jours avant d'être traitée. Un système de prise de rendez-vous dématérialisé permettrait d'éviter ces attentes et de ne se déplacer qu'en étant sûr d'être reçu. Ce système a été mis en place pour les demandes de visa et a évité à beaucoup de gens les attentes longues et humiliantes qu'on connaissait auparavant. - F. N. H. : Nous sommes à quelques mois de l'aboutissement de Maroc Numeric. Quelles sont les pistes à explorer pour accélérer la cadence ? - A. R. : La décision principale consiste à en faire un projet de l'ensemble du gouvernement, sous l'autorité de son chef, et d'en confier la coordination à une instance (agence ou autre), existante ou à créer. Il faudrait ensuite accorder la priorité aux projets, en choisir 4 ou 5 à forte valeur symbolique et à forte valeur ajoutée pour le citoyen et pour l'entreprise, et engager tous les moyens pour les faire aboutir de façon rapide. Il faudrait en plus pousser les services de l'administration à travailler ensemble. Il est par exemple aberrant aujourd'hui d'être obligé de créer tout un système pour gérer le Ramed, alors que la carte nationale biométrique peut être le support pour gérer un tel service en toute sécurité. - F. N. H. : Pour revenir à l'Atam. En deux années d'existence, quelle pourrait-être sa valeur ajoutée pour la recherche et développement dans le secteur des télécoms au Maroc ? - A. R. : Notre association Atam, qui regroupe les anciens élèves de Sup Télécom Paris, se veut être un acteur associatif présent dans le débat d'idées qui touche le secteur des nouvelles technologies, mais sans que cela soit exclusif. Nous avons la chance d'avoir beaucoup de nos membres qui travaillent ou opèrent dans des secteurs diversifiés. Ceci dit, le secteur des technologies de l'information est aujourd'hui au centre des préoccupations des décideurs, quel que soit leur domaine d'activité. Ca sera par conséquent pour nous un centre d'intérêt permanent. Propos recueillis par Imane Bouhrara