Le pays a déjà signé le protocole de Nagoya et devrait le ratifier incessamment. En attendant, certaines ressources phylogénétiques sont exploitées d'une façon irrationnelle et sans aucun retour pour le Maroc. La Recherche & Développement a un rôle primordial à jouer dans ce sens comme l'explique Zoubida Charrouf, professeur à la Faculté des sciences de l'Université Mohammed V de Rabat, et présidente de l'Association Ibn Albaytar qui a réalisé des expériences inédites dans le domaine de l'arganier. • Finances News Hebdo : L'année 2010 a connu l'adoption d'un plan stratégique de la Convention sur la diversité biologique à l'horizon 2011-2020 avec une liste d'objectifs. À ce jour, quelles avancées avez-vous constatées sur le terrain ? • Zoubida Charrouf : Effectivement, depuis l'adoption du protocole de Nagoya relatif à l'accès aux ressources génétiques et au partage des avantages découlant de leur utilisation (APA), il y a eu plusieurs rencontres au niveau du Maroc. Le point focal de la CDB est le ministère de l'Environnement. Il a organisé avec la GIZ et l'initiative APA plusieurs rencontres de sensibilisation. Le Maroc a déjà signé le protocole et devrait le ratifier incessamment. Une loi est en train d'être rédigée. Le pays a accueilli un atelier panafricain au début de 2011 pour s'atteler à la mise en œuvre du protocole APA au niveau de l'Afrique. Appuyé par la GIZ, le pays est en train d'élaborer un projet pour la mise en œuvre du projet APA Maroc. Plusieurs institutions sont impliquées pour que le projet soit bien implémenté. • F. N. H. : L'une des questions principales était celle de la mobilisation de ressources financières. Dans le cas de la Recherche et Développement, pensez-vous que des ressources suffisantes ont été mises à la disposition des chercheurs au Maroc ? • Z. C. : Hélas non! Il y a un début d'apport mais ce n'est pas suffisant. Quand on sait que le marché des produits naturels est en pleine croissance et que le Maroc ne tire pas un grand profit malgré toutes les ressources dont il dispose, la conclusion est évidente. La RD manque terriblement. Et pourtant ce ne sont ni les moyens humains ni les ressources qui manquent. Quelques fois l'Etat investit mais l'argent ne va pas toujours chez les personnes qui produisent des valeurs. Pour rappel, le secteur mondial de la nutrition, lequel englobe les compléments, les aliments naturels et biologiques, les produits de soins personnels et les aliments fonctionnels, était évalué à 228,3 milliards de dollars en 2006. Les aliments fonctionnels représentaient 85 milliards de dollars et les produits de santé naturels 68,3 milliards de dollars. Ce marché est estimé à plus de 500 milliards de dollars en 2016. L'Afrique ne représente même pas 6% du marché alors qu'elle regorge de ressources génétiques (plus de 30% des ressources mondiales). Vous conviendrez avec moi que c'est un non-sens !! • F. N. H. : Quel est le manque à gagner pour le Maroc avec l'adoption du «Protocole de Nagoya», relatif à l'accès aux ressources génétiques et au partage des avantages découlant de leur utilisation (APA) ? • Z. C. : Beaucoup ! Notamment une valorisation durable de nos ressources avec des avantages économiques, sociaux et environnementaux certains. Le projet arganier est un très bon exemple. D'ailleurs, à chaque fois qu'on parle d'APA on m'invite pour présenter l'expérience de la Faculté des Sciences de l'Université Mohammed V sur l'arganier à savoir comment l'huile d'argan, qui était peu commercialisée, a été valorisée grâce à la Recherche et Développement (RD). L'organisation des premières coopératives par notre Faculté et l'Association Ibn Al Baytar a eu des retombées extrêmement intéressantes aussi bien sur le plan social, économique, qu'environnemental. L'huile d'argan est devenue l'huile la plus chère au monde, elle est appréciée par les grands chefs et utilisée par les grands laboratoires de la cosmétique. Même s'il y a quelques dérives actuellement, on peut quand même dire que cette valorisation a induit des activités de reboisement et donc une préservation de la ressource. Si ce travail n'a pas été fait on aurait continué à perdre des terrains. La filière a été dotée de moyens par le ministère de l'Agriculture. Des activités de reboisement sont programmées, on parle de 60.000 ha/an. Comme vous pouvez le constater, il faut toujours un moteur économique pour préserver les ressources génétiques. Et pour qu'il y ait un moteur économique il faut forcément de la RD. La même expérience peut être répétée pour d'autres plantes. Au Maroc, si on se limite aux ressources phylogénétiques, seules 20 espèces sur 4.700 sont exploitées actuellement. Certaines sont exploitées de façon irrationnelle et sans aucun retour pour le Maroc. Les populations locales ne perçoivent que des miettes comparées aux revenus des utilisateurs de la ressource. Je pense qu'avec le protocole de Nagoya et la promotion de l'économie verte, les choses vont changer. Même l'accès aux ressources sera réglementé. • F. N. H. : Quelles seraient les retombées immédiates de ce protocole ? • Z. C. : Une préservation des ressources car plusieurs sont en train de disparaître. En plus des retombées économiques et sociales pour les populations locales. Dossier réalisé par S. E. & I. B.