■ La complexité de l'assurance décès emprunteur réside dans le fait qu'elle est pluriannuelle sans possibilité de réviser entre temps les tarifs. ■ Au Maroc, les banques ne sont pas garanties contre l'incapacité de travail totale et temporaire (ITT), l'invalidité (IPP) et la perte de revenu. ■ Devant l'indisponibilité des informations démographiques et financières détaillées sur les emprunteurs, les tarifs adoptés obéissent à une logique commerciale. ■ Abdelkrim Khiraoui, actuaire et président de ARM Consultants, nous renseigne sur les problèmes de l'ADE. ✔ Finances News Hebdo : A priori l'assurance décès emprunteur pose beaucoup plus de problèmes que la prévoyance classique. Pourquoi ? Et quelle est sa spécificité par rapport à l'assurance décès ? ✔ Abdelkrim Khiraoui : Effectivement, l'assurance décès prévoyance est souscrite par les entreprises au profit de leurs salariés (dès le recrutement du jeune salarié souvent en très bonne santé) sous forme de contrats groupe à adhésion obligatoire, donc il n'y a pas d'antisélection. A contrario, l'assurance décès emprunteur (ADE) risque d'être affectée par ce phénomène. La sélection des risques de nature médicale, financière et morale est beaucoup plus présente en ADE qu'en décès prévoyance. De plus, l'ADE est souvent une garantie de durée égale à celle du prêt, donc pluriannuelle, sans possibilité de réviser annuellement les tarifs. Ce qui nécessite la disponibilité de données détaillées, par tête assurée, pour pouvoir tarifer au juste prix. ✔ F. N. H. : Cette assurance est souvent accompagnée de garanties connexes. Quelle appréciation peut-on faire de ces garanties par rapport à d'autres pays ? Sont-elles suffisantes pour protéger la banque en cas de décès de l'assuré ? ✔ A. KH. : Ces garanties qui sont souscrites dans les pays européens sont l'incapacité de travail totale et temporaire (ITT), l'invalidité (IPP) et la perte de revenu. Au Maroc, seule l'invalidité absolue et définitive (Taux d'IPP supérieur à 66%) est souvent offerte gracieusement en complément de l'ADE. D'ailleurs, elle est assimilée au décès. Les banques marocaines, et par conséquent l'emprunteur, ne sont pas garanties contre l'ITT, l'IPP et en cas de perte de revenu ! Le manque de statistique, la fréquence élevée de survenance et la difficulté de définir et de cerner la garantie perte de revenu au Maroc, rendent difficile la mise en place de ces types de garanties. ✔ F. N. H. : Qu'est-ce qui empêche les compagnies d'assurance d'adopter dès le départ le juste tarif au lieu d'un tarif commercial qui risque de dégager des profits indus qui peuvent peser lourdement sur les résultats à la fin de l'exercice ? ✔ A. KH. : Comme je l'ai précisé ci-dessus, la tarification de l'ADE nécessite la disponibilité de données démographiques et financières détaillées sur les emprunteurs, ainsi que d'importants algorithmes de calculs actuariels. Or, lors des appels d'offres des banques ou des sociétés de crédits, à destination des assureurs, les délais impartis à ces derniers et l'insuffisance des données rendent la tarification approximative, voire inexistante. Les tarifs sont donc souvent à caractère commercial et obéissent plutôt à une logique de concurrence, sous la pression des banques qui défendent leurs clients emprunteurs. ✔ F. N. H. : En dépit de sa forte progression, la branche Vie au Maroc reste peu développée. Pourquoi à votre avis ? ✔ A. KH. : Il est connu chez les professionnels de l'assurance que «l'assurance Vie ne s'achète pas, elle se vend». Contrairement aux assurances obligatoires, comme l'assurance automobile, l'assurance Vie nécessite un effort important de communication, de vulgarisation et de commercialisation, mais aussi d'adaptation au contexte social, économique et financier marocain. D'ailleurs, pendant longtemps, les tables de mortalité réglementaires utilisées au Maroc étaient jugées excessives, car elles surestimaient la mortalité des assurés au Maroc : d'où la cherté des tarifs d'assurances, avant leur libéralisation. L'absence d'un marché financier développé et permettant des rendements motivants ne facilite pas non plus la vente des assurances Vie. Enfin, les incitations fiscales restent insuffisantes de l'avis de plusieurs professionnels du secteur. ✔ F. N. H. : Aussi, son développement reste tributaire de la bancassurance. Ne pensez-vous pas qu'il est temps que son développement se fasse via les agents et courtiers d'assurance comme sous d'autres cieux ? ✔ A. KH. : Si, mais au préalable, un effort de formation de leur personnel est nécessaire. De plus, les intermédiaires jugent insuffisants les taux de commissions allouées par les compagnies d'assurance, d'autant plus que la distribution et la gestion des assurances Vie induisent des charges conséquentes, plus importantes que celles des bancassureurs qui bénéficient de singeries avec d'autres services bancaires. ✔ F. N. H. : Qu'est-ce qui empêche les compagnies d'assurance de lancer des produits d'assurance Vie en unités de compte, et ce à l'instar de la Marocaine Vie ? ✔ A. KH. : Ces produits sont extrêmement complexes à élaborer et à mettre en place vu leurs procédures de gestion et systèmes d'information spécifiques. Donc, le coût d'investissement est relativement élevé et les résultats financiers escomptés ne sont pas garantis, voire suffisants pour encourager les assureurs à investir. L'état de la Bourse de Casablanca ces dernières années n'a pas arrangé les choses pour les assureurs, non plus ! ✔ F. N. H. : Jusqu'à présent, le Maroc ne dispose pas de table de mortalité qui lui est propre. Quels sont les facteurs qui bloquent son élaboration ? ✔ A. KH. : Le CERED (Centre de Recherche Démographique relevant du HCP) dispose d'une table de mortalité marocaine, mais en tranches quinquennales d'âge. Ce qui n'arrange pas les assureurs tarifant souvent leurs contrats sur la base de probabilité viagère par âge. Par ailleurs, l'insuffisance du système d'information de l'état civil marocain, notamment au niveau des enregistrements des décès, rend l'élaboration d'une table de mortalité nationale, quasiment impossible. C'est pour cette raison qu'ARM Consultants, en ma personne, avait proposé en 1998 aux secteurs des assurances, de la retraite et de la prévoyance sociale d'élaborer une table de mortalité d'expérience sectorielle. En effet, ces institutions couvrent quelques millions d'assurés et disposent en général des données démographiques nécessaires. Mais, la proposition n'avait pas trouvé de résonnance, pour absence de concertation entre les trois secteurs : assurances privées, caisses de retraite et institutions de prévoyance. Heureusement, ce projet a été récemment relancé par l'autorité de tutelle et la FMSAR. ■ Propos recueillis par S. Es-siari