Quelques années avant la construction du théâtre, les français d'El Jadida avaient pour habitude de se distraire au bar du cinéma Paris de Mme Dufour. Un lieu dont l'entrée était, d'ailleurs, interdite aux arabes. C'est là, que se croyant à l'abri de certains regards indiscrets, des « comédiens », principalement des militaires, présentèrent des sketchs, dont la majorité des thèmes, tournaient en bourriques les autochtones. Mais un seul arabe avait « le privilège » de suivre avec amertume ces pièces comiques : Ahmed R'Guig, le portier du bar. Personne ne faisait attention à lui et, encore moins, ne le croyait être en mesure de saisir les affinités de ce qui se déroulait sur scène. Plus tard, Ahmed R'Guig quitta son boulot et commença à donner les premiers spectacles de Halqa, tout en essayant de relever les points capables de tourner en ridicule les occupants Ses thèmes avaient, pour grande finalité, d'inciter chacun de ses auditeurs à la résistance. Mis au courant de ce qui était en train de se tramer, à leur insu, les français arrêtèrent Ahmed R'Guig. Relâché plusieurs mois plus tard, ce sernier continua à faire de la Halqa, mais pour raconter des sagas et des légendes, (Hayna…). Mais au fur et à mesure que le temps s'écoula, se croyant s'être fait suffisamment oublier, Ahmed R'Guig repris ses sketchs en faveur de la résistance. Et un jour, il fut arrêté pour ne plus redonner signe de vie. Quelques mois plus tard, les français décidèrent de bâtir le théâtre d'El Jadida à la place même où Ahmed R'Guig avait pour habitude de jouer ses sketchs. Ainsi fut édifié le théâtre auquel on donna le nom, dans un premier temps, de Théâtre Jean BIRES (homme de théâtre qui venait de décéder), avant qu'un maire nouvellement promu à El Jadida ne décide de remplacer ce nom par celui de Théâtre Municipal. Nom qu'il continue de porter à ce jour. LA NOSTALGIE DU PASSE : Et lorsque nous évoquons ce théâtre aujourd'hui, nous faisons allusion à un Joyau, tant architectural que culturel, unique en son genre. Conçu par l'architecte français A. Delaporte en 1925, ce chef d'œuvre était réservé aux soirées dansantes, aux bals masqués et aux festivités familiales. C'est en 1930 qu'il a été transformé en salle de théâtre, sous forme d'opéra, ayant 658 places, dont 88 réservées aux 11 loges devant accueillir les VIP de l'époque. La première représentation théâtrale fut celle du « Malade imaginaire » de Molière qui a eu lieu le 15 juillet 1930. Elle a été montée par l'Association Artistique de Mazagan, dont le président fut aussi le premier Directeur de ce Théâtre. Lors de cette première période, l'accès à cet établissement était formellement interdit aux autochtones à part " les collaborateurs". Il a fallu attendre 1946 pour voir une troupe marocaine, du nom d'Association Théâtrale d'El Jadida, produire sur la scène du théâtre, sa pièce intitulée « la Suppression d'El Amine », mise en scène par Driss M'seffer. Un an plus tard, un groupe de juifs marocains résidant à El Jadida, a présenté la pièce « le Fils d'Aâouicha », mise en scène par Haïm Nsaïm, qui était coiffeur dans la cité portugaise. À partir de 1950, le Théâtre Municipal s'est mis à abriter plusieurs manifestations artistiques étrangères, animées par des sommités de l'Art et de la Culture tels que : la Chorale de la Tchétchénie, Jean Vilar, Serge Reggiani, Oliver Reed, Youssef Wahbi, Maher El Attar, les tournées « rituelles » des Amis du théâtre français, le théâtre d'Adigar, la troupe de la Maâmora … Mais son animation n'a connu son intensification qu'après la nomination de feu Mohammed Saïd Afifi en tant que Directeur Administratif et Artistique du théâtre, sur instructions directes de Feu Hassan II. Une troupe Jdidie venait de jouer au Palais Royal, devant Feu Hassan II, en remportant un immense succès. Le défunt Monarque adressa un courrier à Feu Abdelkrim El Khatib, l'incitant à nommer d'urgence un responsable à la tête du Théâtre Municipal d'El Jadida. Feu Afifi nommé, veilla scrupuleusement à la création de nouvelles troupes et à aguerrir celles déjà existantes. De fil en aiguille, le Théâtre Municipal de la petite province d'El Jadida, était en mesure de s'enorgueillir d'une multitude de troupes, dont les plus célèbres furent : Arouss Ech-chawatie, Ennahda, Al Hilal, Al baâth, Maâmoura… En 1969, M. Afifi constitua une troupe théâtrale en faisant appel à des jeunes comédiens issus des quatre coins du pays, tels que feu Driss Semlali, feu Abdellah Neddam, Abdelmajid Nejdi, Mustafa Saïkouk, Mohamed Edderham, Fatima Ezzaouia, Abdelkebir Inane, Abdelâaziz Chakir, Mohammed Ben Brahim, Mustafa Jelbi, Brahim Hachoumi, , Chakib Tounsi, Amina Niazi, feu Bouchaïb Belaâbar, Mohamed Berradi, Tarda Abdelkrim, Essaïhi, Lahrache, Rihani, Jeddad, Mazouz, Tayane, El Abdi ... En 1976 feu Afifi et ses comédiens présentèrent la pièce « Aâmayl J'Ha » à la télévision nationale. Placé dans son contexte réel, au moment où le pays ne possédait qu'une seule chaine pour à peine cinq heures d'émission, ce couronnement constituait à l'époque une date historique et une fierté incommensurable pour chaque Jdidi épris de culture. Suivirent les pièces, Saouanih, Bouâzizi, Lagfaf… Le regretté Afifi, fidèle à lui-même, exerçait son métier avec passion en dirigeant le théâtre d'une main de fer. Rien n'était laissé au hasard et tout était minutieusement étudié avant d'être programmé. Résultat : alors que certaines composantes de la ville ne semblaient pas trop savoir quoi en faire, le Théâtre Municipal s'est mis, comme par enchantement, à dégager des bénéfices au profit de la municipalité après déduction de toutes les charges. Malheureusement, le Théâtre Municipal se trouva à chaque fois à la merci des Conseils Municipaux qui se sont succédés dans la ville d'El Jadida et, ce qui devait être le commencent d'une ascension vers la gloire, fut le début d'une descente aux enfers. LE VIDE DU PRESENT : Aussi bien par méconnaissance que par incompétence, on venait de sonner le glas de ce véritable bijou. Le Théâtre Municipal, qui fut un véritable temple de l'art d'une magnifique beauté architecturale et d'une grande valeur culturelle, se trouva ainsi abandonné à son triste sort et continua à décliner jusqu'à devenir pareil à une vulgaire boîte de nuit, bas de gamme. Les « conseillers » ignoraient que pour empêcher l'écho, les murs de ce monument étaient fabriqués par des briques dont le positionnement obéissait à un rituel strict. Puis couvertes uniquement de chou et de sable et d'une toile acoustique. Au final, un carrelage (importé ressemblant plus à du plastique) aussi fin que la coque d'un œuf couvrait le tout. Tout ce travail d'artistes, fut remplacé en un tour de main, par de la mosaïque, un carrelage ordinaire pour maisons et… du « martoub ». Pourquoi tant de crimes envers ce Théâtre et envers la Culture ? Est-ce par méconnaissance ou par Incompétence ? Des meubles Louis XIV qui s'y trouvaient depuis le protectorat se sont volatilisés, sans laisser de traces et sans qu'aucune enquête ne fut ouverte !!! L'un des deux seuls pianos existant au monde et fabriqués par un Russe sous l'ère Raspoutine a été cassé, à force d'y danser dessus lors de certaines « entrées en transe ». Personne n'a été capable de nous expliquer comment et dans quelles conditions ce prototype, ce trésor inestimable, avait pu atterrir à El Jadida. Tout ce que l'on sait, c'est qu'il s'est retrouvé au théâtre dans des conditions mystérieuses lors de la deuxième guerre mondiale. Pour la petite histoire, le deuxième piano se trouve encore et, à ce jour, à Broadway et…en excellent état. L'ESPOIR….. Feu François Mitterrand disait : « le véritable niveau de développement d'un peuple est à l'image de sa culture. » Un pays peut se payer les plus belles architectures du monde, mais que valent-elles quand la culture ne suit pas en parallèle et que le citoyen lambda est laissé en marge ? Voire que les décideurs eux-mêmes soient parfois en décalage total avec la culture ? Aujourd'hui, l'espoir renait grâce à Mouâd Jamiî, l'actuel Gouverneur de la ville. L'homme est à l'origine de la création du premier festival Jaouhara, d'Andaloussiyates, de Malhouniyates, du Festival de la Fauconnerie, Il n'a cessé de répéter comme un leitmotiv que : « la vraie faim n'est pas celle du ventre, mais celle de l'esprit et de la culture ». Des directives ont déjà été données, de sa part, pour entamer les travaux nécessaires à la revalorisation de ce haut lieu de culture. Mais cela, à notre sens, ne suffit plus. Le Théâtre Municipal n'a pas besoin que de travaux de réaménagement. Il y a, surtout maintenant et plus que jamais, nécessité de nommer un Directeur Artistique et Administratif pour présider à sa destinée. Les anciens comédiens de l'époque d'Afifi sont toujours là, prêts à collaborer si « on daigne » enfin faire appel à eux. Depuis belle lurette un homme cultivé et intègre fait l'unanimité autour de lui. Il s'agit de Haj Abdelmajid Nejdi connu et estimé de tous et qui a côtoyé les meilleurs comédiens. Il a commencé dans le théâtre à l'âge de dix ans dans une célèbre pièce de théâtre dite « El Barhouch », jouée sous la houlette de feu Afifi. Il est également l'auteur de certaines pièces de théâtre dont notamment « Lagfaf ». Mais parler des qualités de Hadj Abdelmajid Nejdi ne doit en aucun cas occulter les qualités des autres : Jeddad, Sebbagh, Sikab, Chakir, Jelbi, Khmim, Ansser, Nesnassi, Hachoumi, Tarda, Khtayer, Darif, Karamou, Ouaski, Faouzi, Boudouil, Hajli, Achkari, Ayad, Johour, Khodari, Gabi, Lahrach, Dlimi, Kabbour, Bouhaddou,Chahbi, Lemmaâe, Khajjou, Zouhaïr, Rebbani… Tous les ingrédients sont là, n'attendant que la manifestation des réelles bonnes volontés. LE LIFTING DU THEATRE DOIT OBEIR A DES REGLES STRICTES. Afin d'éviter les erreurs du passé, la rénovation d'un théâtre doit incomber à des professionnels en la matière et non pas à de simples fonctionnaires de la province, même architectes de formation soient-ils. Pour ceux qui donnent l'impression de continuer à l'ignorer, relooker un théâtre diffère totalement de celui d'un vulgaire édifice administratif. Par le passé, on a relevé les « crimes » suivants : - Destruction du couloir se trouvant à l'entrée du théâtre et qui servait d'isolation thermique et phonique entre la salle et tout brouhaha capable d'émaner de l'extérieur. - Destruction du muret à l'entrée de la salle et qui jouait un rôle prépondérant en acoustique. - Dans le revêtement des murs : on utilisait des briques dont le positionnement obéissait à un rituel strict. Pareil pour le carrelage. - Le revêtement du sol et le choix des sièges, obéissent aussi à des critères particuliers. La finalité est de pouvoir étouffer tout bruit et l'empêcher de se propager dans la salle. Ce ne fut pas le cas. - Installation d'une sonorisation défectueuse à cause d'un achat de matériel bas de gamme. - Installation d'un éclairage inadapté qui donnait à ce monument l'aspect d'un salon de thé. Tout théâtre a besoin d'un éclairage d'animation et d'un autre théâtral. - La perche qui devait être remplacée depuis longtemps par un système électronique, inexistant à l'époque de l'édification de ce théâtre, a été curieusement maintenue en place. Il faut savoir travailler intelligemment. Introduire la nouvelle technologie oui mais là ou il le faut et au moment opportun. - Les motifs décoratifs actuels sont inadéquats avec ceux d'un théâtre. Et comme si les dégâts architecturaux précédemment cités n'étaient pas suffisants, on a projeté cette fois-ci de détruire l'avant-scène et la fosse d'orchestre, histoire de…libérer de l'espace inutilement occupé (sic). Les rénovations actuelles vont coûter 12 millions de DH et s'étaleront sur deux tranches. La première sera financée par le Conseil Municipal à hauteur de 100 millions de centimes ; puis par le Conseil Communal de Moulay Abdellah d'un montant de 100 millions de centimes enfin par le Conseil Provincial pour 400 millions de centimes. Cette rénovation va conduire à une restructuration urbaine d'un ensemble constitué de la grande salle, le balcon, la cabine de la machinerie et de la projection, la fosse d'orchestre, salle de décors, les loges, l'administration, les coulisses, les sanitaires, la salle de musique...) et des espaces publics attenants. De même, la rénovation comportera aussi la scène qui est surélevée par-rapport à la salle, avec un plancher légèrement incliné vers la salle (pente moyenne de 2°, 2cm par mètre). Les discours officiels ne cessent de répéter que la rénovation entreprise actuellement est l'un des plus importants réaménagements jamais entrepris. Cependant, nous tenons à rappeler aux composantes vives et culturelles de la ville, que sans Directeur Administratif et Artistique pour diriger le Théâtre Municipal d'El Jadida tous ces efforts risquent d'être« un coup d'épée dans l'eau ». Nous ne voulons pas jouer aux rabat-joie, mais seulement rappeler la priorité de rendre à cet espace culturel son atmosphère et sa beauté d'antan. Notons à la fin que selon des sources officielles, le théâtre sera inauguré le 04 juillet de cette année. Une date qui n'est pas fortuite puisqu'elle coïncidera avec le début de la 2ème édition du festival Jaouhara.