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[Entretien] Najwa Es-siari « La reconnaissance et le soutien appropriés aux APAC au cœur des priorités nationales est un impératif »
Publié dans EcoActu le 03 - 06 - 2021


Interviewée par L. Boumahrou |
Le Consortium APAC Maroc milite depuis quelques années pour la reconnaissance et le soutien appropriés aux APAC pour leur procurer des modèles efficaces et durables de conservation et de développement. Le point avec Najwa Es-siari, Coordinatrice du Processus APAC au Maroc depuis 2016 et Consultante indépendante en approche territoriale du développement durable pour dresser le bilan des APAC au Maroc, rappeler leur rôle dans la préservation de la nature et l'importance de les placer au centre des priorités.
EcoActu.ma : Tout d'abord, que sont les APAC ?
Najwa Es-siari : APAC semble être un acronyme, mais c'est une abréviation pour « Aires et Territoires du patrimoine autochtone et communautaire ». On parle aussi de « territoires de vie », car il existe souvent une connexion forte et profonde entre une communauté locale et un territoire, une aire ou l'habitat d'une espèce, pour des raisons historiques, culturelles, ou pour des questions de survie et de dépendance à un mode de vie. Et lorsqu'un tel lien est combiné avec une gouvernance locale efficace qui conduit à la préservation de la nature, on parle d'APAC.
Comment est né ce concept et quel est le lien avec la Convention sur la Diversité Biologique (CBD) ?
Depuis le cinquième congrès mondial sur les parcs (sept 2003, à Durban), et la septième conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (2004), la définition des Aires Protégées (AP) a évolué pour intégrer les principes de participation et d'inclusion, reconnaissant ainsi le rôle des acteurs non étatiques, en particulier des acteurs locaux, peuples autochtones et communautés locales, en tant que gardiens de la conservation.
La reconnaissance de ce rôle lors d'importants événements internationaux a constitué un tournant déterminant dans l'évolution des processus de politiques internationales en matière de conservation. De nombreux traités internationaux, tout particulièrement la Convention sur la diversité biologique (CDB), reconnaissent désormais que les communautés autochtones et locales sont étroitement dépendantes des ressources biologiques.
En son Article 8, alinéa (j), la CBD engage à respecter, à préserver et à maintenir les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels, présentant un intérêt pour la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique.
Avec l'adoption du cadre Aichi 2020 de la CDB en 2010, les stratégies de gestion de la biodiversité soutiennent de plus en plus en plus les communautés locales et les peuples autochtones dans leur lutte pour la conservation, établissant ainsi que si tous les secteurs de la société ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre du plan stratégique 2011-2020, les peuples autochtones et les communautés locales y jouent un rôle central.
Non seulement les terres et les eaux dont ces peuples et communautés sont gardiennes, gestionnaires renferment dans la majorité des cas une biodiversité exceptionnelle, mais aussi parce que leurs pratiques, connaissances, compétences et coutumes de conservation durable ont beaucoup à apprendre au monde moderne.
Partant de là, la reconnaissance des APAC par le droit international sur la biodiversité et dans les politiques relatives à la conservation, notamment par l'UICN et la CDB n'a cessé de s'affirmer, allant de pair avec l'évolution des cadres normatifs relatif aux « aires protégées », aux « savoirs traditionnels », à « l'utilisation coutumière durable », à « la restauration des écosystèmes », et au « développement durable ».
Qui porte aujourd'hui ce processus APAC au niveau mondial ?
Le Consortium APAC est une association Internationale qui est né d'un mouvement qui promouvait l'équité dans la conservation dans les décennies autour du début du nouveau millénaire. Le Consortium a été établi officiellement en Suisse en 2010 en tant qu'Association Internationale en vertu du Code Civil Suisse. Il s'agit d'une organisation de la société civile, soutenue par un Secrétariat international semi-volontaire, basée dans de nombreux Pays à travers le Monde dont le Maroc.
A côté de l'UICN, le Consortium APAC (www.iccaconsortium.org) a joué et continue de jouer un rôle important dans la promotion des APAC. Son action se situe à différents niveaux : en soutenant localement diverses initiatives de terrain pour renforcer et sauver des APAC, en encourageant à l'échelle de Pays la création de consortium nationaux visant à influencer les politiques nationales et à promouvoir une législation nationale en faveur des APAC, en développant une riche documentation et en alimentant le discours international sur les APAC. Aujourd'hui le Consortium APAC compte plusieurs réseaux régionaux et nationaux, dont le Consortium APAC Maroc.
Le soutien des APAC au Maroc remonte à peine à 6 ans, soit depuis 2016 et celui du Consortium APAC Maroc (CAM) à 2 à 3 ans seulement. Quel bilan pourriez-vous dresser du chemin parcouru depuis en matière d'appui aux APAC ?
Le Processus au Maroc a bénéficié d'un grand soutien du Programme de Micro-financements du Fonds Mondial pour l'Environnement (PMF FEM) et du Programme des Nations Unies pour le Développement. A travers une multitude de projets financés par ce fonds (plus de onze projets en cinq ans), qui ont permis d'enregistrer des avancées significatives pour établir la réalité nationale sur les APAC, prouver que le Pays présente un grand potentiel à ce niveau, réaliser une revue des lois et politiques au regard de leur intégration dans les questions liées aux APAC, identifier et accompagner un certain nombre de communautés dont les pratiques traditionnelles de gestion ont un bénéfice certain sur la biodiversité dans leur processus de renforcement autonome et en vue de leur enregistrement dans les bases de données internationales dédiées.
Un des principaux résultats de ce processus engagé depuis 2016, a été la mise en place d'une plateforme d'action en faveur des APAC. L'émergence du CAM a été possible grâce à une collaboration étroite entre un groupe d'associations marocaines œuvrant sur le terrain au plus près des communautés et de la nature et partageant toutes la même vision de garantir aux APAC leurs bénéfices en termes de conservation, modes de vie et valeurs spirituels et culturels.
Ces organisations de la société civile (la Morrocan Biodiversity and Livelihoods Association, l'Association des Enseignants des Sciences de la Vie et de la Terre, Migration et Développement, l'Association Ferkla pour le l'Environnement et le Patrimoine, l'Association des Forêts Modèles d'Ifrane) particulièrement concernées par la conservation de la nature et par le renforcement de la résilience des modes de vie traditionnels, sont toutes animées par la conviction qu'une reconnaissance et un soutien appropriés aux APAC permettra de procurer des modèles efficaces et durables de conservation et de développement.
Depuis 2016, ces ONG ont progressivement renforcé leur coopération et engagements envers les APAC et ont pu construire des alliances avec de nombreuses communautés du Haut Atlas, du Moyen Atlas, de l'Anti-Atlas et des zones oasiennes, dans un esprit de collaboration et de compréhension mutuelle. A ce jour, grâce à l'appui de la Global Support Initiatives et du PMF FEM, le CAM a contribué à identifier une diversité de types d'APAC, leur a fourni l'occasion de prendre conscience de la valeur patrimoniale de leur APAC, de les documenter, d'analyser et d'apporter des réponses aux menaces auxquelles elles font face par le biais d'échanges, d'opportunités d'apprentissage et d'appui technique.
Une dizaine d'APAC Marocaines ont pu amorcer leur processus d'enregistrement sur la Base données internationales sur les ICCA (portée par Protected Planet), et deux sont dans un stade avancé d'enregistrement (la zone clé de Biodiversité Imegdal dans le Haut Atlas Occidental), et l'Agdal Igourdane (dans le Haut Atlas Central).
N'étant pas très connue au Maroc, comment êtes-vous parvenus à fédérer les communautés à cette initiative ?
C'est grâce aux appels à projet lancés par le PMF FEM à plusieurs reprises, mais aussi grâce au travail de diagnostic pour établir la réalité nationale. Pour mieux comprendre et cerner la captivante réalité des APAC au Maroc, une approche porteuse était d'aller à la rencontre de communautés traditionnelles rurales, mais aussi de se baser sur une recherche documentaire approfondie.
Malgré notre connaissance du terrain et du monde rural, aborder la question des APAC s'est révélée une tâche ardue, mais passionnante, nécessitant une compréhension et appréciation de réalités complexes, de se référer à de nombreux sujets tels que l'anthropologie, l'ethnobiologie, la sociologie rurale, l'histoire, la culture, et autres.
Quelles sont les principales conclusions de ce travail de diagnostic ?
De la diversité des exemples développés pour illustrer la situation des aires conservées par les communautés locales -extraits pour la plupart de travaux de recherche d'imminents chercheurs « nationaux » et internationaux de différentes disciplines-, il ressort clairement que les APAC au Maroc sont anciennes, répandues, qu'elles couvrent une grande diversité d'écosystèmes et qu'elles sont vulnérables.
S'il nous faut résumer en deux mots la réalité des APAC au Maroc, ce serait « Histoire et histoires », celles des Ait Atta, des Ait M'hand, des Ait M'hamed, des Ait Merghad et bien d'autres. La fabuleuse et saisissante complexité des contextes rend chaque APAC et chaque communauté uniques ; aucune ne ressemble à l'autre, chacune a son parcours, ses systèmes de représentations, ses particularités, et chacune nous apporte son lot d'enseignements.
La diversité des institutions et des règles coutumières de gestion de ces APAC n'a d'égal que la diversité de ces groupements humains et la diversité de leur mode de vie. Nomades, Semi-nomades, ou encore sédentaires, au fil du temps, ces communautés se sont accommodées, organisées, réorganisées, réinventant leurs institutions, leur règles. Leurs bénéfices sur la biodiversité -prouvés par un grand nombre de travaux de recherche scientifique-, sont nombreux et d'une valeur inestimable ; c'est grâce à leur sagesse, à leur pleine conscience de la valeur de la diversité biologique et des fonctions écologiques en jeu, à leur souci permanent de préserver durablement les ressources et à l'ingéniosité dont ils ont fait preuve depuis toujours qu'on dispose encore aujourd'hui d'un patrimoine bioculturel des plus précieux.
Ces « Communautés rurales traditionnelles », organisées et enracinées sur des territoires depuis des millénaires ont en effet développé, à partir de pratiques séculaires, et à travers le prisme de leurs systèmes de représentation, une diversité biologique et culturelle qui constitue aujourd'hui un véritable patrimoine bioculturel national, voir mondial dont on a l'obligation de prendre soin. Bien que ce rôle ne leur soit pas reconnu comme il convient, ces communautés sont de ferventes gardiennes de la biodiversité ; la biodiversité se trouve au centre de leur existence et correspond à leurs connaissances, pratiques, moyens de subsistance et valeurs matérielles, immatérielles, spirituelles. Et sur le sujet elles ont beaucoup à apprendre au monde moderne ;
Mettre la reconnaissance et le soutien appropriés aux APAC au cœur des priorités nationales, et des politiques et stratégies de conservation de la biodiversité requiert une forte implication de tous les acteurs, principalement politiques. Etes-vous parvenus à sensibiliser la sphère politique sur l'impératif de soutenir les APAC ?
Nous y travaillons dans le cadre du CAM. Partant du constat qu'il n'existence aucune reconnaissance, ni connaissance de l'étendue des APAC au Maroc, un de nos principaux axes de travail est de faciliter la mise en place d'un cadre national favorable à la reconnaissance et à la protection appropriée des APAC.
Le terme « communauté locale » se réfère au Maroc à une situation de fait et n'implique aucune connotation juridique ou formelle. Pourtant par communautés locales, il est entendu dans les textes légaux internationaux des groupes « traditionnels », possédant comme les peuples autochtones des coutumes, des croyances et des connaissances traditionnelles sur les ressources naturelles. Des avis sur les communautés locales sont disponibles aux paragraphes 17 à 21 de la décision XI/14 sur les communautés locales et dans le rapport de la réunion du Groupe d'experts des représentants de communautés locales dans le contexte de l'article 8 j) et des dispositions connexes de la Convention sur la diversité biologique (UNEP/CBD/WG8J/7/8/Add.1).
La loi sur les Aires Protégées, qui vient d'être activée avec l'adoption de son premier décret d'application 2.18.242, le 15 avril 2021 en Conseil de gouvernement, bien que récente n'intègre pas la question des APAC, en tout cas pas de façon explicite. Pourtant la prise en compte des APAC dans le réseau national des AP pourrait augmenter substantiellement la superficie couverte par les AP nationales et donc à l'atteinte de l'objectif 11 d'Aichi. Un des axes de travail de la commission scientifique du CAM à mettre en place est d'engager le dialogue au niveau national sur le lien entre les deux concepts « APAC » et « AP ».
Par ailleurs, il faudra plus communiquer sur les APAC dans les prochains rapports nationaux sur la Biodiversité : plaider pour qu'un rapport thématique spécifique « APAC » soit présenté tous les deux ans (le CAM prévoit d'y consacrer du temps et des ressources), pour que la question des APAC soient abordée de façon plus détaillé dans la Stratégie et Plan National sur la Biodiversité en termes d'actions concrètes en faveur de leur soutien et renforcement de leur résilience par les politiques nationales pertinentes, mais également dans les documents nationaux stratégiques sur le Changement Climatique (Contribution National Déterminée, Communication Nationale sur le Changement Climatique, Plan National Climat, Plan National D'adaptation, .....), puisque que les APAC constituent d'excellent outils de résilience au Changement Climatique.
Pourquoi parler de « Carrefour des APAC » ?
C'est en référence aux fêtes agraires ou moussem, rassemblements festifs consacrés aux arts et aux traditions populaires. Ces fêtes populaires rurales, égrènent les saisons, célébrant les ressources locales, la fin des récoltes, l'ouverture de l'agdal, les mariages ... rappelant aux hommes les liens qui les unissent entre eux et les liens qui les unissent à la nature. Pour célébrer annuellement, les Aires et Territoires du Patrimoine Autochtone et Communautaire, on ne pouvait trouver meilleure occasion. Les membres du Consortium APAC Maroc, ont donc pris la décision de proclamer le mois de mai de chaque année, dans le sillon de la célébration de la journée internationale de la Biodiversité, date de commémoration des APAC.
Le « carrefour des APAC » ou Moussem des territoire de Vie se présentera comme un espace d'échange et de rencontres entre les communautés APAC de différentes régions du Maroc et d'autres parties du monde, mais aussi comme espace réunissant des ONG, des experts de différentes disciplines, ....pour montrer et rappeler qu'elles apportent des contributions significatives à la conservation, constituent un élément crucial du réseau mondial de conservation et « font donc partie de la solution ». Nous continuerons à l'organiser sous forme de séries de Webinaires comme cette année, mais aussi nous l'espérons en présentielle, de façons tournante dans différentes régions du Pays (zones montagnardes, oasiennes, marines,...).
Lire également : PRESERVATION DES ECOSYSTÈMES COMMUNAUTAIRES : LES APACS FONT PARTIE DE LA SOLUTION


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