Avec des chiffres qui fluctuent statistiquement au gré du jour, j'en deviens incapable à séparer le bon grain de l'ivraie sans synthèse, même s'il est vrai que dans le cas du COVID-19, la croissance des chiffres avec leur corollaire de l'augmentation du nombre de décès, est une vérité qui est là, mille fois hélas ! Mais avec ma manie de « numbers crunching« [i], qui n'a d'égal que mon incompétence en médecine et en biologie, je n'ai pu résister à chercher à voir ce que donnait l'évolution actuelle des chiffres pour les décortiquer pour moi-même, et, tant qu'à faire, pour d'autres alphabétisés mais non moins néophytes de la microbiologie et de l'épidémiologie qui n'ont pas pris le temps de faire une synthèse. Sans doute que mieux comprendre les chiffres permet de mieux mesurer les risques et les enjeux et de mieux vivre le confinement. Les sources des données utilisées sont officielles, quoiqu'elles aient été indirectement collectées sur un site encyclopédique[ii] quotidiennement tenu à jour avec les chiffres provenant de notre Ministère de la Santé. Depuis que ce vilain COVID-19 a été introduit chez nous par un compatriote naturalisé italien arrivé d'Italie, seulement 4 semaines complètes se sont écoulées et on ne peut donc obtenir que 4 chiffres hebdomadaires mais l'avantage d'intégrer les chiffres à l'échelle de la semaine : * lisse les fluctuations journalières qui peuvent stimuler des optimismes ou pessimismes injustifiés, * est compatible avec la durée d'incubation de COVID-19 qui s'étalerait 3 jours et 2 semaines, * est plutôt rare car la pression du public a plutôt tendance à exiger le temps réel quotidien. L'évolution des tests réalisés chaque semaine (bleu clair) ainsi que celle de leur total (bleu roi) sont montrées en Figure 1. Sans doute les tests sélectifs permettent-ils d'épargner les ressources humaines et matérielles disponibles et les chiffres illustrent parfaitement le fait que les tests ne sont faits (pour l'instant seulement ?) que sur les cas que je désignerais maladroitement par « fortement suspects » car : * certes, la semaine s'achevant le 29/3, les 1'639 tests réalisés ont représenté à eux tous seuls 72% du total des tests réalisées sur les 4 dernières semaines mais nous sommes encore très loin des 500'00 tests réalisés par l'Allemagne la même semaine, si nous devions garder une croissance compatible avec l'actuelle, nous devrions dépasser les 4'200 puis les 22'000 nouveaux tests à réaliser durant les 2 semaines suivantes, ce qui permettrait certes de dépasser 28'000 personnes testées, mais représenterait encore moins d'un testé sur mille au Maroc. L'évolution des tests positifs et des décès de chaque semaine, ainsi que celle de leur total sont montrées en Figure 2. Avec de tels chiffres, on comprend pourquoi il ne faut pas tomber dans le piège du nombre de morts actuels qui reste encore très faible comparés aux 3'400 personnes (calculé d'après[i]) qui décèdent en moyenne par semaine au Maroc. En effet, avant d'atteindre sa valeur d'aujourd'hui (5 par an pour 1'000 habitants3) le taux de mortalité brut du Maroc a mis soixante ans pour décroitre d'un facteur 4 alors qu'en multipliant par 22 le nombre de décès en deux semaines au Maroc, la mortalité par COVID-19 pourrait atteindre les mêmes valeurs hebdomadaires en 5 à 6 semaines… sans évoquer une suite qui ferait froid dans le dos ! Nous n'insisterons pas sur les chiffres du nombre de cas avérés et de leur cumul qui sont eux aussi montrés sur la Figure 2 puisqu'ils font l'objet de plusieurs commentaires quotidiens par tous les médias. Par contre, nous allons commenter les quelques pourcentages intéressants qu'on en déduit en Figure 3. Au stade actuel de ces chiffres, la Figure 3 nous dit les éléments suivants : * dès lors que vous avez été testé positif, vous avez environ une chance sur 18 à 30 d'en mourir (3.3 à 5.4%), * dès lors que vous avez suffisamment de symptômes pour être « fortement suspect » : o vous n'avez certes qu'environ une chance sur 90 de décéder du COVID-19 (1.1%), o mais vous avez environ une chance sur 5 d'être porteur du COVID-19 (20%), et de semer la pagaille dans le système hospitalier du pays après avoir infecté et fait courir les risques ci-dessus à un nombre de personnes d'autant plus grand que vous n'en avez contacté. Les médecins nous disent et répètent que l'exposition à la mortalité par COVID-19 est d'autant plus importante que l'on est fragile ou âgé. Ils nous disent aussi que la peau de ce virus est faite d'une huile qui est diluée par les savons, qu'il se transmet par les postillons de la salive qui, normalement, se projette à moins d'un mètre et qu'il ne dure pas plus de 3 heures sur une surface inerte. Avec suffisamment d'intelligence pour comprendre ces données, on devinera ce qu'il reste à faire si l'on veut éviter de s'exposer au risque de mortalité et passer sereinement cette période de confinement. Par Amine Bennouna, Professeur à l'Université Cadi Ayyad, Marrakech [1] En traduction littérale de l'anglais, cela donne "croquer des chiffres". [1] Wikipédia, L'encyclopédie libre, "Pandémie de maladie à coronavirus de 2020 au Maroc", https://fr.wikipedia.org/wiki/Pand%C3%A9mie_de_maladie_%C3%A0_coronavirus_de_2020_au_Maroc [1] Université de Sherbrooke, Ecole de Politique Appliquée, "Perspective monde", http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/tend/MAR/fr/SP.DYN.CDRT.IN.html