Si à chaque fois qu'un secteur est devenu prioritaire aux yeux de l'Etat, la formule des Assises a été adoptée, l'expérience ne s'est pas toujours conclue par un franc succès. Objectifs flous, moyens pas au rendez-vous… Aujourd'hui, les premières Assises de l'énergie se sont fixées un premier but précis à atteindre, même s'il est décevant pour certains: communiquer. Il était temps. Il était temps de se préoccuper sérieusement du secteur énergétique. Si les opérateurs tirent la sonnette d'alarme depuis plusieurs années déjà, il a fallu -comme d'habitude…- que le Roi Mohamed VI réclame une nouvelle stratégie énergétique nationale pour que les études commanditées à d'éminents experts –là encore comme d'habitude…- nationaux et internationaux, espèrent passer du stade de simples recommandations à celui d'actions concrètes sur le terrain. Ces premières Assises viennent donc couronner le processus de concertations et de débats approfondis qui a présidé à l'élaboration de la nouvelle stratégie et au choix de ses options auxquels ont pris part la Fédération de l'Energie, la CGEM, les commissions parlementaires, les syndicats, les associations professionnelles et les représentants des consommateurs. Feuille de route incontournable Le document de présentation des Assises définit cette nouvelle stratégie énergétique ainsi. «La nouvelle stratégie énergétique a été élaborée sur la base d'options technologiques et économiques réalistes (…) Les objectifs stratégiques fixés visent à assurer notre sécurité d'approvisionnement énergétique, à garantir la disponibilité et l'accessibilité de l'énergie au meilleur coût ainsi qu'à réduire notre dépendance énergétique en diversifiant les sources d'énergie, en développant les potentialités énergétiques nationales et en promouvant l'efficacité énergétique dans toutes les activités économiques et sociales». Car d'ici 2030, la demande en énergie primaire va passer de 14720 de TEP (tonnes équivalent pétrole) à 43 millions en l'absence de politique d'efficacité énergétique rigoureuse. Elle tombera à 38 millions TEP si toutes les mesures d'économie d'énergie sont appliquées. Parallèlement, la consommation électrique serait presque quadruplée en passant de 24 TWh en 2008 à 95 TWh dans le premier scénario et à 83 TWH dans le second, absorbant pour la satisfaire plus de 57% de la demande d'énergie primaire au lieu de 41% aujourd'hui. Les énergies fossiles occuperaient dans le bilan énergétique 96% dans le premier cas et 84% dans le second. Jusque-là, le concept et les objectifs sont louables. Seulement la crainte des opérateurs et des professionnels de l'énergie est que les moyens ne soient pas au rendez-vous. Abdellah Alaoui, président de la fédération de l'énergie à la CGEM, ne s'est d'ailleurs pas privé de le rappeler: «nous souhaitons, pour l'économie de notre pays, que ces Assises ne se limitent pas seulement à une rencontre et à des échanges de discours convenus, mais ressortent avec un véritable état des lieux et une feuille de route conduisant à légiférer sur les voies et les moyens d'une politique d'énergie appropriée (…) ». Les détails de la stratégie L'électricité est bien entendu au premier rang des préoccupations. D'ailleurs, un Plan National d'Actions Prioritaires dans le secteur électrique a été présenté le 15 avril 2008 au roi Mohammed VI. Il vise à rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité durant la période 2008 – 2012. Les dispositions retenues prévoient, d'une part, le renforcement de l'offre par la construction de nouvelles centrales électriques, et d'autre part, l'amélioration des dispositifs d'efficacité énergétique. Le charbon, en raison de sa compétitivité et de son abondance, constituera le coeur du mix électrique, tout en optimisant les ressources en gaz disponibles, les apports de l'éolien et de l'hydroélectricité ainsi que le recours aux interconnexions euro méditerranéennes. A l'horizon 2020-2030, au fur et à mesure de la confirmation de leur faisabilité économique et technique, l'électronucléaire, les centrales aux schistes bitumineux, le solaire de puissance et la biomasse occuperont une place importante dans le bouquet électrique. Par ailleurs, le gaz naturel, en cas d'accès économique et sécurisé à ce produit, constituerait à l'avenir une composante non négligeable du mix électrique. Bien entendu, les énergies renouvelables ont la part belle parmi les différentes dispositions. Il est prévu que d'ici 2012, leur part représente près de 8% du bilan énergétique et environ 18% de la production électrique, en mettant en service de nouvelles centrales d'une puissance totalisant 1554 MW en éolien et en déployant 400 000 m2 de panneaux solaires nouveaux. A l'horizon 2020-2030, tout le potentiel éolien réalisable, estimé à 6000 MW, pourrait être exploité, en fonction de la qualification des sites et des mesures incitatives qui seraient octroyées. Le solaire sera développé en généralisant les chauffe-eau solaires avec des panneaux solaires couvrant plus de 1.700.000 m2, en accroissant les productions du photovoltaïque et des centrales à concentration solaire. Des ambitions encore une fois louables, mais que nombre de professionnels connaissent déjà. Mais ce qu'il manque, c'est un cadre législatif et fiscal incitatif. En particulier pour ce qui relève de l'efficacité énergétique. Car qui s'amuserait à changer son appareil de production ou à investir dans des installations peu gourmandes en énergie (généralement plus coûteuses) si il n'y trouve pas son compte ? Mais le jeu en vaut vraiment la chandelle, en tous cas pour l'Etat. Considérée comme une révolution énergétique à la fois par les changements technologiques et de comportement sociétal qu'elle implique, l'efficacité énergétique permettra au Maroc de réaliser des économies d'énergie de 12 à 15% en 2020 et de près de 20% en 2030. Elle touche essentiellement trois pans de notre économie. D'abord l'industrie. Là, l'efficacité énergétique consiste à systématiser les diagnostics et les audits énergétiques pour éviter toute perte d'énergie dans les chaînes de production modernisées et performantes, en recourant à la cogénération et aux énergies alternatives. Ensuite dans les transports, il s'agit de rajeunir le parc par des véhicules économes en carburants, en développant et modernisant les transports collectifs pour réduire l'usage des voitures individuelles. Enfin, dans le secteur du bâtiment, il s'agit d'intégrer l'ensemble des dispositifs d'efficacité énergétique tels que orientation, isolation, chauffe-eau solaire et en éduquant les usagers à rationaliser l'utilisation de l'énergie. Mais pour cela, la rencontre qui aura lieu le 6 mars prochain doit aller bien au-delà d'une simple opération de com'. Autrement dit, l'attente des opérateurs au niveau de ces Assises est bien réelle et surtout concrète. Car l'enjeu, la plupart l'ont bien compris, ce sont les règles du jeu qu'il faut désormais instaurer. Les réformes législatives et organisationnelles attendues en 6 points La mise en oeuvre de cette nouvelle stratégie s'appuie sur la rénovation de la législation et de l'organisation du secteur énergétique. A cet effet, plusieurs lois en préparation seront promulguées pour : 1 • promouvoir les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique dont le CDER, transformé en Agence, sera la cheville ouvrière; 2 • libéraliser progressivement le secteur électrique pour mieux l'intégrer dans le marché euro méditerranéen, favoriser la construction et le financement des capacités de production, mieux organiser ses différentes composantes et en assurer la régulation; 3 • développer le secteur du gaz naturel pour faire de ce combustible une alternative au pétrole et au charbon dans leurs usages non captifs. 4 • dynamiser l'aval pétrolier en renforçant sa libéralisation et sa compétitivité; 5 • améliorer les règles de sécurité et de prévention des risques dans les installations énergétiques; 6 • protéger l'environnement et la santé des citoyens en imposant des normes conformes aux standards internationaux pour les émissions solides, liquides et gazeuses dans la production et l'utilisation de l'énergie.