Apprendre d'abord à voir avec les yeux du cœur avant de voir avec les yeux proprement dit. Dans la formation médicale, c'est le premier avertissement que donne Dr Mohamed Chahbi, ce « médecin des yeux », mondialement reconnu pour son professionnalisme, mais d'abord pour ses valeurs éthiques. Ce n'est pas la première fois que Docteur Chahbi intervient dans l'émission décryptage de la radio MFM qui est un « espace pluriel ». Ce spécialiste ophtalmologue est bien connu pour son franc-parler, n'ayant guère froid aux yeux pour dire toujours poliment les choses telles qu'elles sont réellement, tout en étant immunisé contre les discours politiques démagogiques. En réponse à la question du système de santé, thème actuellement central au Maroc, substance première du chantier stratégique de la généralisation de la protection sociale, Docteur Chahbi va droit au but. Aujourd'hui, lance-t-il, nous sommes face à un « système de santé boiteux ». Ce système est appelé nécessairement à subir une profonde refonte. Lire aussi | Réforme du système de santé. Ait Taleb poursuit ses réunions avec les représentants du secteur privé Cette réforme est fondée sur quatre piliers : la bonne gouvernance, la construction de structures hospitalières de nouvelle génération, la formation de nouvelles compétences ainsi que la digitalisation. A cela, notre «médecin des yeux de la tête et du cœur» n'oublie pas d'ajouter l'encadrement rigoureux de l'exercice de la médecine dans le secteur privé. Pour Dr Chahbi, la question de la santé ne s'inscrit pas dans la temporalité politique qui est courte. Construire ou reconstruire un système de santé efficient n'est pas une affaire de quelques années. Il est question de répondre aux besoins réels et dynamiques d'une population. La santé est l'un des principaux défis du Royaume au 21ème siècle. Elle est, de toute évidence, inséparable du développement humain et durable. D'où la nécessité d'une « Instance supérieure chargée de la santé » dont la mission est stratégique. A l'instar du Nouveau modèle de développement (NMD), Dr Chahbi s'inscrit dans la cohérence globale des politiques publiques, citant le modèle cubain de la santé, comme exemple et source d'inspiration. C'est un modèle dont la réussite est mondialement reconnue, et d'abord par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Lire aussi | 3 MMDH pour l'augmentation des effectifs des professionnels de santé Ce modèle fait partie intégrante de tout un projet de société né au lendemain de la révolution cubaine de 1959. Dès le départ, Cuba a investi, en priorité, dans le secteur vital qu'est la santé de la population, avant même d'être contraint de s'aligner à l'URSS, à l'époque de la « guerre froide ». Aujourd'hui, malgré le maintien unilatéral du blocus étasunien qui dure depuis le début des années 1960, Cuba « exporte » pas moins de 25 000 médecins et offre son aide à plusieurs pays, notamment en Amérique Latine. Mieux, ce modèle a priorisé la médecine préventive, notamment à travers l'hygiène et le développement du sport. Dr Chahbi n'est pas prisonnier d'une idéologie. Il croit aux faits, à la réalité des choses. Tout en rappelant les insuffisances structurelles du système de santé au Maroc, il souligne l'importance de la qualité des réformes à mettre en place. Les résultats à atteindre ne devraient pas être seulement d'ordre quantitatif, en termes de nombre d'étudiants en médecine, de médecins formés (...). Certes, l'investissement dans la formation des ressources humaines est prioritaire et incontournable. Les médecins doivent être motivés pour retourner dans leur pays ou pour y rester. Les régions les plus défavorisées devraient être dotées d'infrastructures et équipements sanitaires de qualité. Les conditions de travail sont à améliorer qualitativement. Dr Chahbi met l'accent particulièrement sur l'importance de l'éthique dans le métier du médecin. La santé devrait être immunisée contre la logique purement mercantile. Ce n'est pas une marchandise. Il est question de vie humaine. Aussi, Dr Chahbi insiste sur la nécessité d'encadrer rigoureusement, sur le plan juridique, l'exercice de la médecine dans le secteur privé, pour éviter les dérapages qui peuvent s'avérer très dangereux. Lire aussi | Santé. Plus de 6 milliards de DH prévus pour le renforcement des structures et équipements Par ailleurs, le décloisonnement de l'enseignement de la médecine est indispensable pour Dr Chahbi. Cet enseignement devrait être ouvert à d'autres disciplines pour créer des conditions d'émergence à l'innovation scientifique et technique dans le domaine de la santé humaine. Dans cette émission, consacrée en particulier à la problématique actuelle du système de la santé, objet d'une réforme stratégique en cours, Docteur Chahbi n'a pas mâché ses mots. Les gens qui cherchent à s'enrichir, et c'est parfaitement légitime, dans une économie de marché, devraient s'orienter vers d'autres secteurs que celui de la santé humaine. Le message est clair. Sera-t-il audible à nos politiciens à « visions court-termistes » ?