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Vers une vie éternelle : est-il possible de stopper le vieillissement ?
Publié dans Challenge le 12 - 01 - 2008

Il semble improbable que la communauté scientifique parvienne un jour
à arrêter le processus de vieillissement. Mais pourquoi pas finalement ?
Comme l'observe John Maynard Keynes,
«au final, nous serons tous morts». Ce n'est pas faux. Mais est-il possible de retarder l'échéance en faisant en sorte que cette ultime période de la vie dure plus longtemps ? Et, si cela est effectivement possible, comment y parviendrons-nous et à quel prix? Les hommes rêvent d'atteindre l'immortalité depuis la nuit des temps. Ils sont en quête de celle-ci depuis que le premier alchimiste a commencé à concocter un élixir de vie aux côtés de la formule transformant le plomb en or. Les hommes ont écrit des pages et des pages de romans à ce sujet, de «Elle» de Rider Haggard en passant par «Dune» de Frank Herbert. Aujourd'hui, avec l'avancée des connaissances biologiques qui ont marqué ces dernières décennies, une poignée de chercheurs pensent que nous ne sommes plus très loin du but.
Si l'on réfléchit à la question, il est important, avant toute chose, de comprendre pourquoi les organismes vivants (humains y compris) vieillissent. Les hommes sont comme les machines: ils s'usent. Jusque-là, rien de plus normal. Cependant, une machine peut toujours être réparée. Un bon mécanicien avec un stock de pièces détachées à sa disposition est capable de faire fonctionner une machine indéfiniment. Il est probable que, finalement, aucune pièce d'origine ne subsiste, mais la machine continuera de fonctionner, telle la fameuse hache de Lincoln qui avait eu trois nouveaux manches et deux nouvelles lames. La question qui se pose alors est de savoir si la machine vaut le coup d'être réparée. Et c'est là que les humains et la nature ne sont plus d'accord. Ou, pour dire les choses autrement, ce sont deux sections de la nature qui sont en désaccord. Du point de vue des hommes, la survie est absolument impérative. On ne peut se reproduire si l'on n'est pas en vie. La peur de la mort est un sujet sensible : le vieillissement menant inévitablement à la mort, il n'est pas surprenant que les hommes désirent le stopper en route. Par ailleurs, les signes du vieillissement peuvent, à eux seuls, avoir des effets négatifs. Cela réduit le nombre de partenaires sexuels potentiels vous trouvant séduisant(e), car c'est le signe que vous ne serez pas là suffisamment de temps pour participer à l'éducation d'un bébé, ce qui, là encore, réduit vos capacités reproductives.
Le paradoxe réside dans le fait que le désir de l'individu de ne pas vieillir s'oppose à une autre force liée à l'évolution : le soma jetable. Le soma (qui signifie corps en grec ancien) englobe toutes les cellules du corps, excepté les cellules sexuelles. Le rôle du soma est de transférer ces cellules reproductrices, et ainsi les gènes de l'organisme, à la génération suivante. Si l'on prend pour exemple le soma d'un poulet, il ne s'agit que d'un moyen pour un œuf de produire un autre œuf. Et si la logique de l'évolution veut que le soma vieillisse et meure pour que cela se produise, soit ! Ce qui est regrettable, c'est que la logique de l'évolution nécessite absolument cela. L'argument est le suivant. Tous les organismes vont finalement mourir un jour de telle ou telle chose, que ce soit un accident, un combat, une maladie ou une rencontre avec un prédateur affamé. C'est pourquoi il est préférable de se reproduire tôt, plutôt que d'économiser cette possibilité pour un futur qui pourrait ne jamais arriver. La raison pour laquelle les réparations ne sont pas parfaites est qu'elles sont coûteuses et que les ressources investies dans celles-ci pourraient être utilisées à la place pour la reproduction. Cela explique pourquoi les mécaniciens de notre corps préfèrent souvent le rafistolage à une reconstruction complète, ou s'abstiennent simplement de tous travaux. Donc si tel est le cas, peut-être est-ce dans l'atelier de réparations qu'il faut commencer à chercher le secret de notre longévité.
C'est exactement ce qu'a fait Aubrey de Grey. Dr de Grey, chercheur indépendant à Cambridge (Angleterre), est un homme qui suscite des débats virulents. Il est sans conteste un visionnaire, mais, selon de nombreux biologistes, ses théories relèvent plus de mirages pervers que de réelles perspectives, car celui-ci estime que la technologie antivieillissement pourrait toucher à son but dans un futur suffisamment proche pour que certains d'entre nous assistent à cet événement.
Vision ou mirage, Dr de Grey a défini le problème avec précision. Contrairement à la plupart des chercheurs dans le domaine, il bénéficie d'une expérience de technicien, et est donc idéalement placé pour scruter ce fameux atelier de réparations biologique. Tel qu'il le voit, le vieillissement se divise en sept phases ; si l'on parvient à traiter chacune d'elles, le processus peut être stoppé en route. Il résume cette approche dans son projet scientifique SENS (strategies for engineered negligible senescence).
Les sept causes profondes du vieillissement que Dr de Grey souhaiterait supprimer par son programme SENS sont la perte de cellules, la résistance à l'apoptose (tendance des cellules à refuser de mourir), les mutations génétiques dans le noyau de la cellule, les mutations dans les mitochondries (le bloc d'alimentation de la cellule), les déchets intracellulaires, les déchets extracellulaires et l'accumulation de liaisons chimiques aberrantes dans le milieu extracellulaire.
Tout un programme ! Mais il a au moins l'avantage de fractionner le problème. Et il implique aussi que plusieurs approches du problème sont probablement nécessaires. D'une manière générale, elles sont de deux types : gérer le processus d'usure, le ralentir et masquer ses conséquences, ou accepter son caractère inévitable et soumettre le corps à un entretien régulier avec remplacement des pièces usagées.
Combattre l'usure n'est pas aussi compliqué qu'il n'y paraît, les cinq derniers éléments figurant sur la liste du Dr de Grey ayant une chose en commun : l'oxydation. Les clients réguliers des espaces «santé et beauté» des grandes pharmacies sont, sans aucun doute, tombés sur des crèmes, des pilules et des mixtures arborant le terme «antioxydant» sur leur étiquette, insinuant (sans jamais dire explicitement) que le produit pourrait éventuellement avoir des effets rajeunissants. Ces produits découlent d'une théorie tout à fait respectable sur l'une des causes principales du vieillissement : d'un point de vue chimique tout du moins, l'usure du corps est principalement due à l'activité des mitochondries.
C'est dans les mitochondries que le sucre est décomposé et qu'il réagit avec l'oxygène pour libérer l'énergie nécessaire au fonctionnement de la cellule. Chez les organismes à sang chaud, tels que l'être humain, une grande quantité d'oxygène est impliquée dans ce processus, et une grande partie de celui-ci vient à manquer sans que l'on ne sache pourquoi. Au lieu de réagir avec le carbone du sucre pour former du dioxyde de carbone, ce sont des molécules hautement réactives, appelées radicaux libres, qui apparaissent. Ces dernières circulent et oxydent, et donc détériorent les autres molécules, telles que l'ADN et les protéines, ce qui engendre toutes sortes de dysfonctionnements. Sans les radicaux libres et affiliés, le processus de vieillissement se trouve ralenti. Et les produits chimiques que l'on utilise pour cela sont antioxydants.
On doit cette stratégie à l'un des fondateurs de la gérontologie scientifique, Bruce Ames, de l'Université de Californie, à Berkeley. Dr Ames a débuté sa carrière avec l'étude du cancer. Il a découvert que les dégâts sur certains gènes étaient à l'origine du cancer. Ces gènes ont évolué pour tenir les tumeurs à distance en empêchant les cellules de se diviser trop rapidement, les dommages étant souvent causés par l'oxydation. Progressivement, il s'est concentré sur les dégâts plus généraux que l'oxydation pouvait causer, et sur ce qui pourrait être fait ensuite pour les contrer.
Certaines vitamines, telles que la vitamine C, sont elles-mêmes des antioxydants. C'est sur cela que repose la propagande populaire, bien qu'il n'y ait aucune preuve que la consommation d'antioxydants en grandes quantités ait des effets bénéfiques. Toutefois, il y a quelques années, Dr Ames a réussi à ranimer l'activité des mitochondries de rats âgés (avec des effets positifs sur la mémoire et la vigueur générale de l'animal), en les nourrissant de deux autres molécules : l'acétyle-carnitine et l'acide lipoïque. Ces molécules aident l'enzyme mitochondriale, appelée carnitine acétyltransférase, à mieux fonctionner. En augmentant leur quantité, il semble que les dommages oxydants causés à cette enzyme s'annulent. Il a également étudié le travail réalisé par d'autres chercheurs et a découvert qu'il était possible de lier près de 50 maladies génétiques causées par le dysfonctionnement d'une enzyme à une molécule d'aide appropriée. Ces molécules sont dans la plupart des cas des vitamines B et les maladies étaient souvent curables à l'aide de fortes doses d'une vitamine adéquate.
Les dommages causés dans le cas de ces maladies sont similaires à ceux provoqués par l'oxydation, c'est pourquoi Dr Ames suppose que ses effets peuvent eux aussi être améliorés par injection de fortes doses de vitamines. Pour appuyer sa théorie, il a réalisé des expériences sur des souris, mais aucun test n'a été effectué sur l'homme. Et il est peu probable que cela se produise un jour. Les tests cliniques nécessaires seraient interminables. Et coûteux aussi. Par ailleurs, les fabricants de vitamines n'auraient aucune raison de les financer puisque leurs ventes sont déjà soutenues et que les produits ne pourront pas être brevetés. Dr Ames n'affirme pas non plus que les vitamines vous feront vivre au-delà de l'espérance de vie normale, mais il pense qu'elles sont capables de prolonger la vie de nombreux êtres humains. Pour cela, il faudra faire appel à d'autres technologies.
Une manière pour les hommes de surpasser la limite imposée par le soma jetable serait d'accepter l'analogie avec la machine au pied de la lettre. Lorsque vous emmenez votre voiture en révision ou en réparation, vous vous attendez à ce que le mécanicien remplace des pièces usées ou endommagées par de nouvelles. C'est à peu près ce que les partisans de la théorie de l'immortalisation partielle proposent. Les nouvelles pièces sont fabriquées à l'aide de cellules souches.
Le monde a beaucoup entendu parler de cellules souches ces derniers temps. Il en existe plusieurs variétés, de celles que l'on trouve dans les embryons et qui peuvent se transformer en n'importe quelle cellule du corps, à celles dont le destin se limite à devenir un ou plusieurs types de cellule. Ce qui différencie les cellules souches des autres cellules ordinaires du corps, c'est qu'elles ont la possibilité de se multiplier à l'infini.
Pour que la théorie du soma fonctionne, la majorité des cellules qui le composent doivent se résigner à être la fin de la chaîne, ce qui (étant donné que la chaîne en question n'a pas été rompue depuis les premiers organismes vivants il y a plus de 3 milliards d'années) reste difficile à réaliser. Il existe donc toutes sortes de verrous génétiques sur ces cellules les empêchant de se reproduire une fois qu'elles ont atteint leur destination physiologique. Si l'on lève ces verrous (par exemple, par dommage oxydatif sur les gènes qui les contrôlent, comme l'a découvert le Dr Ames), le résultat est une croissance incontrôlable, en d'autres termes, le cancer. Un de ces verrous a été baptisé limite de Hayflick, suite à sa découverte par Leonard Hayflick. Ce mécanisme compte le nombre de fois qu'une cellule se divise et, dès la valeur spécifiée atteinte (différente selon les espèces), stoppe toute nouvelle division. Sauf si la cellule en question est une cellule souche. Chaque fois qu'une cellule souche se divise, au moins une de ses filles reste une cellule souche, même si l'autre prend le chemin d'une spécialisation verrouillée par la limite de Hayflick. Certains partisans de la théorie de l'immortalisation cherchent à supprimer complètement la limite de Hayflick dans l'espoir que le tissu devenu sénescent commence à se renouveler de lui-même (l'horloge qui le contrôle est maîtrisée, donc cela est possible en principe). Mais la plupart, au contraire, craignent que cela ne laisse la porte ouverte au cancer. À la place, ils proposent ce que l'on connaît sous le nom de médecine régénératrice, qui se sert de cellules souches pour produire des cellules de remplacement et réparer tissus et organes usés. Le plus visionnaire d'entre eux envisage même le renouvellement routinier des organes du corps, d'une certaine façon, comme Lincoln avec sa hache.
En théorie, seul le cerveau ne peut être remplacé de cette manière (tout remplacement devrait reproduire la structure de ses cellules nerveuses de façon très précise afin de préserver la mémoire et la personnalité de l'individu). Toutefois, les thérapeutes spécialistes des cellules souches parlent ouvertement de traiter les maladies du cerveau, telles que la maladie de Parkinson, avec des cellules nerveuses spécialement développées à cette fin. Il y a donc de grandes chances pour qu'une forme d'immortalisation partielle soit réalisable un jour. Mais un long chemin reste encore à parcourir, plus long certainement qu'avec la thérapie à base de vitamines du Dr Ames, si celle-ci se révélait efficace.
Aucune prévention, ni traitement réparateur n'est réellement disponible. Mais il existe une autre approche, basée sur une théorie de longévité qui s'est révélée efficace à plusieurs reprises, grâce à des expériences sur les animaux. Elle consiste à manger moins.
Des oxyures aux souris, mettre un animal au régime, en le rapprochant sans l'atteindre du point d'inanition, prolonge sa vie, parfois même de façon spectaculaire. Personne n'a tenté l'expérience sur les hommes et personne ne sait non plus exactement pourquoi ça marche. Mais, en étudiant la question plus profondément, on a effectivement l'espoir de trouver une solution.
Alors bien sûr, il faut vraiment vouloir à tout prix vivre longtemps pour choisir consciemment de s'affamer. Si l'on extrapole à partir des résultats des expériences sur les souris, on devrait conserver trois-quarts de la quantité de calories recommandée par les diététiciens. Ce qui revient à environ 1800 pour les hommes sédentaires et 1500 pour les femmes. Mais beaucoup de personnes tentent de comprendre la biologie sous-jacente dans le but de trouver des raccourcis.
David Sinclair, de l'Université de Harvard, est l'un d'entre eux. Contrairement à ceux qui luttent contre les causes du vieillissement ou qui tentent de réparer ses dégâts, Dr Sinclair pense avoir trouvé, avec sa technique de restriction calorifique, un mécanisme naturel anti-âge relativement compatible avec la théorie du soma jetable.
La raison qui pousse à croire que la prolongation de la vie est une réponse de l'évolution à la privation de nourriture, et non un accident mystérieux, est que lorsqu'un animal est affamé, l'équation de l'évolution change. Un individu qui meurt de faim n'est plus un individu qui peut se reproduire. Même s'il ne meurt pas, ses chances de donner la vie à un être sain sont faibles. Dans ce cas, le prolongement de la vie devrait l'emporter sur la reproduction. Et c'est ce qui se passe, même parmi les hommes. Les femmes en sous-alimentation cessent d'ovuler. Le coup du siècle serait de parvenir à transmettre l'information au corps qu'il est affamé, alors qu'en réalité il ne l'est pas. De cette façon, les hommes pourraient vivre plus longtemps tout en se nourrissant normalement. Ils seraient même capables, si le mécanisme est correctement maîtrisé, de se reproduire.
Selon le Dr Sinclair, la façon dont la restriction calorifique prolonge la vie tourne autour des gènes pour des protéines appelées sirtuines. Certes, ces gènes participent à la longévité dans les espèces simples, telles que les oxyures et les levures. Mais si l'on ajoute des copies supplémentaires de ces protéines aux chromosomes de ces organismes, ou si l'on force les copies existantes à produire plus de protéines que la normale, la vie se voit prolongée. Il semblerait que les sirtuines contrôlent l'abondance d'une molécule régulatrice appelée nicotinamide adénine diphosphate qui, à son tour, contrôle la libération d'énergie dans la mitochondrie.
Mais l'élément le plus paradoxal dans cette histoire se situe en France. Les Français, qui ont tendance à avoir une alimentation grasse et riche en viande rouge, présentent les mêmes caractéristiques que les personnes qui suivent des régimes maigres ou végétariens. Certains chercheurs ont trouvé l'explication dans le vin rouge et, en particulier, dans une molécule appelée resvératrol que l'on trouve dans ce type de vin. Le resvératrol active les sirtuines, et d'autres molécules similaires les activent beaucoup plus encore. Ce sont ces super stimulateurs de sirtuines qui intéressent le Dr Sinclair.
Tout le monde n'est pas convaincu, mais le Dr Sinclair a réalisé des expériences prometteuses sur des souris et a ouvert une société, Sirtris Pharmaceuticals, qui travaille sur ce programme. Le fait qu'il travaille (pour lui, du moins) avec la nature plutôt que contre elle, indique que cette approche est la plus prometteuse de toutes.
Ceci étant dit, la logique de la théorie du soma jetable est profonde. Pourtant, ce n'est que quelques années supplémentaires de vie en bonne santé qui sont susceptibles d'être gagnées. Mais la raison pour laquelle Dr de Grey pense que certaines personnes vivantes aujourd'hui verront peut-être leur vie rallongée se fonde sur l'espoir que pendant cette poignée d'années supplémentaires, de nouvelles découvertes auront lieu et les technologies d'extension de la vie seront approfondies, processus qu'il décrit ainsi :
«l'allongement de la vie échappe à la vitesse». Il y a des chances pour que cela ne marche pas. Mais l'espoir fait vivre. Pour finir avec une autre citation, cette fois de Woody Allen : «Je ne veux pas atteindre l'immortalité grâce à mon œuvre. Je veux atteindre l'immortalité en ne mourant pas». Si un jour un chercheur réussit à vaincre l'histoire de l'évolution et à atteindre son but, alors celui-là pourrait bien arriver à faire les deux.


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