Le dossier est trop sensible pour chambouler l'existant. La réforme et la charte de l'enseignement suivent leur chemin tranquillement. La lutte contre l'analphabétisme, la déscolarisation, la qualité, la recherche… devront attirer davantage l'attention. Le Conseil Supérieur de l'Enseignement (CSE) va présenter, lors de sa cinquième session, qui se tiendra à la fin du mois, un rapport d'évaluation du système de l'enseignement. «Le document promet une évaluation assez approfondie et sans complaisance», assure un de ses membres. Ce n'est pas une révélation. Depuis quelques semaines, les officiels et responsables de la chose éducative n'ont de cesse de préparer l'opinion publique. La politique menée n'a pas porté les fruits escomptés. La faillite de l'école est devenue une réalité. L'Unesco recommande à Rabat un changement radical de sa politique pour garantir l'éducation pour tous en 2015. Pourtant, des experts marocains en éducation y sont opposés. L'argument défendu est qu'il est délicat de jouer avec l'avenir des enfants, des enseignants… La Banque Mondiale, elle, préfère amorcer les changements de manière plus douce. Elle soutient une thèse selon laquelle une interaction peut être positive lorsque trois types de réformes sont mis en œuvre conjointement. Si l'on en croit l'institution financière, les pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena) ont beaucoup à gagner à adopter cette démarche. Ils devraient trouver un équilibre qui combine l'ingénierie de l'éducation, qui améliore la qualité des intrants dans les systèmes éducatifs, les incitations instaurant des mécanismes liant les résultats éducatifs aux récompenses ou pénalités adressées aux enseignants et directeurs d'écoles et la responsabilité publique qui permet aux parents d'élèves et à la société civile d'exercer une influence sur les objectifs, les politiques et l'allocation des ressources. Le problème le plus grave et le plus préoccupant dans les systèmes éducatifs de la région Mena porte sur la qualité de l'éducation. La Banque Mondiale fait du lobbying «Depuis longtemps, les pays mettent l'accent sur l'ingénierie pour améliorer le système. Ce n'est plus suffisant. Il faut y associer les incitations, afin de changer les comportements des agents qui travaillent dans le système. C'est essentiel. Quant à la responsabilité publique, elle est nécessaire aussi, dans ce sens où les parents d'élèves, les associations, la société civile… ont leur mot à dire dans l'amélioration du système éducatif », soutient Mourad Ezzine, directeur du secteur de l'éducation pour la région Mena à la Banque Mondiale. Les recommandations sont d'ordre général. On aurait peut-être souhaité que l'institution internationale entre davantage dans les détails et, pourquoi pas, propose des pistes de réflexion nouvelles que le Maroc pourrait explorer et pas forcément adopter s'il les juge inappropriées. Les quelques réformes soumises aujourd'hui par la Banque Mondiale sont déjà montrées du doigt. «Il y a une tendance à la sacralisation de la littérature produite par la Banque Mondiale sur le Maroc. On survalorise en général le contenu des rapports des organismes internationaux. En parcourant le résumé du dernier rapport sur l'éducation dans la région Mena, on remarque qu'il n'apporte rien de spécial. Ce sont des généralités qui débouchent sur des banalités. La Banque Mondiale ne fait que repasser les plats», estime Noureddine Al Ouafi, universitaire. Et de poursuivre : «la Banque Mondiale oublie que dans le passé, elle a inspiré bon nombre de «parcours» de réformes dans le domaine de l'éducation comme dans d'autres, sans trop d'efficacité. La réforme en cours, qui ne l'oublions pas, est le résultat d'un processus délibératif national, contient précisément l'essentiel de ce que la Banque vient de préconiser aujourd'hui comme «nouvelle approche» de la réforme». En d'autres termes, cela veut dire que le Maroc ne doit pas suivre aveuglément et à la lettre les «directives» de la Banque Mondiale comme par le passé. Nos responsables ont pris conscience de la gravité de la situation. Ils ont même fait des aveux publics. Ils reconnaissent les torts. Des ratages sont recensés. Maintenant, l'heure est à la remise en cause. La place est donnée aux réflexions sérieuses afin de sortir l'enseignement de sa crise. Des pistes à explorer Et pour cela, beaucoup de choses doivent être rectifiées. Par exemple, les chantiers programmés dans la réforme de l'enseignement et de la charte devront être accélérés. La gouvernance doit être améliorée. La réflexion sur les métiers de l'enseignement doit être révisée… Le Conseil supérieur de l'Enseignement, présidé par le conseiller royal, Meziane Belfquih, se penche, lui aussi, sur des pistes à explorer. On évoque le volet de l'analphabétisme. «C'est ce qui plombe le développement humain. Nous devons poursuivre en accélérant les rythmes», souligne El Aoufi. Autre dossier à prendre sérieusement en charge, celui du pré-scolaire. C'est une nécessité que de mettre le paquet sur ce segment. La déscolarisation est un phénomène qui devra aussi attirer l'attention. «Les pouvoirs publics doivent renforcer les mécanismes incitatifs susceptibles de juguler ce phénomène», souligne encore une fois notre source. La qualité de l'enseignement, l'apprentissage des langues et l'enseignement supérieur et la recherche ne sont pas en reste. Sur ce dernier aspect, les membres du CSE sont d'accord pour que des moyens (matériels et autres) soient fournis pour améliorer ce cycle, qui est aussi fondamental que le pré-scolaire. Voici grosso modo les quelques chantiers qui devront normalement faire partie des prochains dossiers phares du gouvernement. Ahmed Akhchichine, ministre de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Formation Professionnelle, a du pain sur la planche. Il aurait sollicité les services d'un cabinet marocain pour l'accompagner dans l'établissement d'un plan stratégique. Ses résultats devraient être bouclés au premier trimestre de cette année. Il ne reste qu'à attendre alors cette échéance pour savoir comment concrètement le gouvernement de Abass El Fassi s'y prendra pour rectifier le tir. … L'Etat ne doit pas tout faire… Voilà qui est dit. La Banque Mondiale suggère que chaque pays de la région Mena expérimente certaines choses et remette en cause le rôle joué par l'Etat. Pour l'institution financière, l'Etat ne peut tout faire. C'est dans ce sens qu'elle encourage la notion de partenariat. «L'Etat doit chercher à conclure des partenariats avec toutes les composantes de la société. L'expérience menée dans la lutte contre l'analphabétisme peut être étendue à d'autres sous-secteurs du système éducatif», lancent les responsables de la Banque Mondiale. L'arabisation, une affaire de souveraineté nationale L'arabisation est l'épine dorsale du système éducatif marocain, qu'on le veuille ou non. Beaucoup d'élèves et d'étudiants se sont retrouvés prisonniers de ce système, qui les a perturbés tout au long de leur scolarité et de leur cursus universitaire. Un coup les programmes sont prodigués en arabe, un coup en français. Faut-il alors dispenser tous les programmes en arabe ou en français ? Là-dessus, la Banque Mondiale ne veut pas se mouiller. «Ce n'est pas un problème technique. C'est plutôt un problème de stratégie économique et de souveraineté nationale. Le choix à adopter doit être débattu au niveau national. Ce n'est pas à nous de donner des recettes en la matière», argue Mourad Ezzine, directeur du secteur de l'éducation pour la région Mena à la Banque Mondiale.