En plus des conséquences directes sur la production végétale, animale et halieutique, le chômage et la baisse des revenus des populations affectées constituent des enjeux d'une autre nature générés par les situations de sécheresse, alerte Pr. Mohamed Mastere. La sécheresse observée cette année au Maroc est exceptionnelle par « son intensité, son ampleur et sa durée », a affirmé l'enseignant à l'Université Mohammed V de Rabat (UM5R) et président de l'Observatoire National d'Etudes et Recherches sur les Risques (ONERR), le Pr. Mohamed Mastere, notant que les précipitations ne représentent que 13% de la moyenne enregistrée en cette période. Dans une interview accordée à la MAP, le Pr. Mastere a relevé que selon les données de la Direction de la météorologie nationale (DMN), le Maroc est frappé cet hiver par une aridité précoce et extrême, en raison de la faible pluviométrie de décembre-janvier, considérés comme « les mois les plus secs depuis l'an 2000 ». En effet, l'analyse de la sécheresse au Maroc entre l'an 1 000 et 2020 permet de dénombrer 154 épisodes, a indiqué l'universitaire, précisant que ces épisodes ont augmenté régulièrement au cours du 20e siècle avec un événement tous les 10 ans, au moment où on est passé à quelque 5 ou 6 événements par décennie au début du 21e siècle. « La sécheresse impacte considérablement la population marocaine de manière globale, du fait que 80% des ruraux en subissent les effets en termes de moyens de subsistance tributaires de l'activité agricole, qui représente non moins de 15% du PIB et emploie 40% de la population active » dans ces zones, a-t-il déploré. De ce fait, la fréquence de la sécheresse, qui perturbe la sécurité alimentaire, est de plus en plus intense et affecte l'économie rurale dans son ensemble, au vu de ses répercussions néfastes sur plusieurs secteurs porteurs, comme l'élevage, les agrumes et l'olivier, a relevé le président de l'ONERR, qui a attiré l'attention sur les incidences de cette situation sur la valeur des exportations. Grâce aux bulletins de prévision quotidiens et saisonniers de la DMN, le stress hydrique est bien défini au Maroc et se situe entre 1 000 et 1 700 mètres cubes d'eau douce disponibles par personne et par an. Or, a-t-il averti, la sécurité de l'eau devrait s'aggraver à une situation de pénurie à l'horizon 2030, d'après les projections de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA) qui font état de moins de 1.000 m3. Le dernier rapport de la Banque Mondiale sur les « Profils de pays à risque climatique », souligne, quant à lui, la grande vulnérabilité du Maroc (22ème position), sur la base de la combinaison de plusieurs facteurs, notamment géographiques et sociaux. « La sécheresse au Maroc dépend aussi des agro-systèmes qui sont pratiqués à travers des régions naturelles très diverses, à savoir les montagnes et les grands bassins hydrauliques qui arrivent plus ou moins à faire face aux crises, les régions prédésertiques, arides et subarides globalement habituées au manque d'eau et capables d'affronter les années sèches et, enfin, les zones bours, les plaines et plateaux atlantiques et de l'intérieur qui souffrent le plus », a-t-il relaté. Les épisodes de sécheresse affectent aussi bien les moyens de subsistance des ruraux que l'économie nationale dans sa totalité. Avec les signes d'un déficit des précipitations automnales, les perspectives d'une bonne campagne agricole se voient rapidement évaporées. Les conséquences drastiques se succèdent sur les petits agriculteurs, exacerbent l'exode rural et ralentissent la croissance économique, surtout quand elle est combinée aux effets de la pandémie mondiale du Covid-19. Les effets génériques directs de la sécheresse comprennent, à titre indicatif, la baisse de la productivité des cultures, la détérioration des pâturages et des forêts et la pénurie d'eau. Il y a aussi l'étiage des rivières, des lacs et des réservoirs, l'érosion éolienne et mécanique des sols. En plus des conséquences directes sur la production végétale, animale et halieutique, le chômage et la baisse des revenus des populations affectées constituent des enjeux d'une autre nature générés par les situations de sécheresse, a-t-il dit. Par ailleurs, suite à l'avènement d'une sécheresse bien reconnue et déclarée, les souscrits dans l'assurance peuvent prétendre à leur indemnisation selon une procédure prédéfinie, a fait remarquer le Pr. Mastere. A cet effet, le Maroc, s'est doté, depuis 1994, d'une assurance sécheresse dédiée au blé dur, au blé tendre et à l'orge, a-t-il rappelé, notant que la Mutuelle agricole marocaine d'assurances (MAMDA) et le Crédit Agricole du Maroc (CAM), sont les deux organismes directement chargés de la mise en marche du programme de lutte contre la sécheresse. « Ce dispositif couvre environ 300 000 ha et concerne les zones bours de Benslimane, Sidi Kacem, Kénitra, Khémisset, El Hajeb, Taounate, Taza, El Jadida, Safi, Béni Mellal, Khénifra et Settat, entre autres », a-t-il ajouté. L'assurance-sécheresse est une sorte de garantie de l'Etat contre la sécheresse, qui vise la sécurisation de la céréaliculture et permet à l'agriculteur de récupérer en cas de mauvaise récolte due à une faible pluviométrie, a expliqué le chercheur. Le gouvernement a entamé le déploiement d'un programme exceptionnel doté de quelque 10 milliards de dirhams, afin d'atténuer les effets du déficit pluviométrique. Ce programme s'articule autour de trois principaux axes à savoir, « la protection du capital animal et végétal et la gestion de la rareté des eaux, « l'assurance agricole » et « l'allégement des charges financières des agriculteurs et des professionnels, le financement des opérations d'approvisionnement du marché national en blé et en fourrages, outre le financement des investissements innovants dans le domaine de l'irrigation ».