Je vous avoue que j'hésite toujours avant d'aborder des sujets sérieux. Depuis le jour où on a décrété que j'étais un amuseur public mondain ou, peut-être, depuis le jour où je me suis autoproclamé comme tel, je cherche à chaque fois à vous faire marrer. Je ne vous cache pas que c'est mon jeu favori. J'adore rire et faire rire. Ceci dit, je ne ris pas tout le temps, et il y a même des jours où je n'ai aucune envie de rire. Si je vous dis tout cela, c'est parce que j'ai l'impression que, d'un côté, on est en train de nous installer un cirque gigantesque où les artistes sont tout sauf des pros qui arrivent, mais avec beaucoup de mal, à tirer de nous quelques rires jaunes, et, de l'autre côté, ce sont de vraies pièces de théâtre tragiques qui se jouent devant nous, presque chaque jour, à ciel ouvert. A priori, je ne suis pas du tout contre le mélange des genres, mais uniquement lorsqu'il s'agit du monde des arts et de la culture. Or, je vous parle depuis tout à l'heure de ce qu'on appelle «le champ politique» et qui est en fait, chez nous, plus un champ de tir qu'un champ fertile. Tenez : je vais vous parler de ces fameux emprisonnements de personnalités de renom. Tout rigolo et cabotin que je suis, je suis et je reste un démocrate pur et dur, affreusement attaché au droit et à la justice pour tous, y compris, pour les grands criminels ou présumés comme tels. Alors, quand je vois cette terrible joie de la foule en délire, encouragée en cela par une certaine presse toujours pressée de faire plaisir, justement, à cette foule en délire, j'ai tout simplement – excusez-moi de vous le dire – envie de vomir. Dites-moi : de quel droit un journaliste, un parlementaire ou même un ministre, se permettent-ils de juger publiquement des personnes qui sont, jusqu'à la preuve formelle, ferme et définitive de leur culpabilité, présumées coupables ?!? Ce qui est encore plus dramatique c'est que le public, pour ne pas dire «le peuple», dans sa naïveté déprimante, est le premier à applaudir, alors qu'il sait qu'un jour ou l'autre, lui, ou un proche à lui, risque d'être à la place de ces «pauvres» personnalités. Je le dis et je le répète : je ne sais pas si elles ont fait ou non ce dont on les accuse, mais je récuse le droit à quiconque de les juger, sauf les juges, impartiaux, ça va de soi. Certains me disent que si on fait tout ce boucan sur ces «affaires», c'est «pour donner l'exemple» et «pour faire peur aux autres». N'importe quoi! D'abord, je le ré-répète, ces gens-là bénéficient encore de la présomption d'innocence. Ensuite, depuis quand la punition par l'exemple a mis fin à la délinquance ? Même les répressions les plus sauvages des activistes et des militants n'ont jamais arrêté les révolutions. Vous voulez avoir mon avis ? J'ai bien peur qu'on soit en train de faire tout ça, pour nous faire oublier tout le reste. Et le reste, croyez-moi, c'est un grand morceau. D'ailleurs, si j'avais un seul conseil à donner à tous ces décideurs qui décident pour nous et à notre place, ça serait celui-ci : les jeux du cirque mobile et les shows bruyants et brouillons, ça peut marcher un jour ou deux, mais, après, il va falloir inventer autre chose. Or, entre nous, je ne pense pas, du moins jusqu'à aujourd'hui, que l'invention soit votre fort. Oui moi, je ne suis qu'un rigolo, mais je n'en pense pas moins. Et comme disait un autre rigolo, mais pas de chez nous : c'est vous qui voyez. Mais il faut juste que vous voyiez très vite, car, sinon vous risquez d'avoir une douche froide avant même d'ouvrir les yeux. En attendant, bon week-end les présumés innocents, et bon sursaut les autres.