Guerre du Rif. Le mouvement de libération d'Abdelkrim El Khattabi a été maté par l'arme chimique utilisée par l'Espagne et la France. L'investissement dans le Rif serait un moyen sage de réparation. La Chambre de commerce et d'industrie de Nador a abrité, samedi dernier, les travaux d'un colloque international sur l'utilisation des armes chimiques lors de la guerre du Rif. Selon les dernières études réalisées par des historiens et des chercheurs marocains, espagnols et anglais, la population rifaine a été victime, entre 1924 et 1926, d'intenses bombardements avec des armes chimiques dont les séquelles sont toujours visibles. Parmi les intervenants figuraient les premiers historiens à avoir levé le voile sur l'utilisation des armes chimiques dans le Rif. Il s'agit de l'Espagnole Maria Rosa Madariaga et l'Anglais Sebastian Balfour. Selon Rachid Raha, président de la Fondation Montgomry Hart des études amazighs, "plusieurs localités du Rif ont été prises pour cibles par l'armée espagnole. C'est le cas notamment de la Tamsamane près de Nador et d'Anjra non loin de Tanger". Les militaires ibériques n'ont pas lésiné sur les moyens, les plus atroces d'ailleurs, pour mater la révolution rifaine conduite par l'Emir Abdelkrim El Khatabi. Cette résistance à l'occupation a coûté la vie à plus de 20.000 soldats espagnols. Le mouvement de libération avait une principale qualité: l'organisation. Inutile de rappeler que c'est Abdelkrim El Khattabi qui a inventé le système des guérillas qui a inspiré, par la suite, Ho Chi Min au Viêt-Nam et Che Guevara en Amérique Latine. La France a également été pointée du doigt. "Elle est autant responsable que l'Espagne», souligne Rachid Raha, car le mouvement de libération d'Abdelkrim s'étendait rapidement vers la zone sous protectorat français. D'ailleurs, les historiens assurent que l'armée française a eu recours aux armes chimiques dans la région de Fès, lors de la guerre du Rif. Devant une percée colossale de l'armée rifaine, les Espagnols ont eu recours à l'extermination et au génocide. Deux usines chimiques ont été ouvertes par les Espagnols, dès 1924, grâce à des compétences allemandes et françaises. Une usine se trouvait à Melilla et l'autre à Madrid. En quelques semaines, des tonnes de gaz ont été produites. Les historiens parlent de 407 tonnes de gaz ypérite, du chloropicine et du phosgène. Pour larguer ses bombes, l'armée espagnole a utilisé plus de 530 avions de construction française, danoise et allemande et pilotés par des mercenaires français, allemands et américains. L'utilisation du gaz ypérite a des conséquences catastrophiques sur la santé. "En plus des diverses infections et brûlures, les scientifiques assurent que l'ypérite est cancérigène. Pire, il a un effet mutagène, c'est-à-dire modifiant le patrimoine génétique de la victime", souligne le professeur Ahmed Hamdaoui, psychologue et criminologue à l'Institut Royal de la Formation des cadres à Rabat. En termes clairs, la population bombardée en 1925 par l'Espagne et la France a transmis dans ses gènes le cancer et autres pathologies respiratoires. Sur le plan psychologique, le Pr. Hamdaoui parle, notamment, des troubles psychotiques, comme la dépression, l'angoisse et la panique. De son côté, Mimoun Chaqi, professeur universitaire et président de l'Association nationale des Docteurs en Droit, estime que le Maroc a plusieurs voies de recours pour obtenir des réparations. Il y a tout d'abord les tribunaux espagnols et français. La plainte doit être déposée non seulement contre ces deux Etats mais aussi contre deux sociétés, Schneider (France) et Stolzenberg (Allemagne). "En cas d'échec de ces voies ordinaires, les familles des victimes peuvent se diriger vers la Cour Européenne des Droits de l'Homme", poursuit Mimoun Charqi. La jurisprudence de cette dernière est prometteuse. Mais avant tout cela, le Dr. Charqi assure que la voie la plus sage est sans doute celle de la négociation, en s'asseyant autour d'une même table. En d'autres termes, la réparation être débloquée sous forme d'investissements dans le Rif, notamment dans le domaine sanitaire, en construisant des centres médicaux de cancérologie. Car le colloque de Nador a rappelé que pas moins de 80% des cas de cancers au Maroc sont apparu au Nord du pays.