Pour Nicolas Sarkozy, Eric Woerth ne peut être ce grand corrompu, grand professionnel des passe-droits que semblent insinuer l'opposition et une grande partie de la presse. Le touriste le plus déluré qui ose jeter un coup d'œil même furtif sur les titres de la grande presse française ne pourra s'empêcher d'arriver à cette conclusion : Nicolas Sarkozy a un vrai problème qui s'appelle Eric Woerth, du nom de l'actuel ministre du Travail, toujours trésorier du parti présidentiel, l'UMP. Les titres sont pour une fois parlants et unanimes: «L'affaire de trop» (l'Express), «Une affaire d'Etat» (Le point), «La preuve qu'il (Woerth) a menti», (Marianne) après avoir titré la semaine dernière sur «Le scandale qui dit tout), «La vieille dame et les requins» (Valeurs actuelles). Le concentré de l'affaire se raconte comme un polar noir. Eric Woerth était ministre du Budget, la première puissance missionnée pour collecter les impôts. La presse révèle que la première fortune de France a eu droit à un traitement de faveur, épargnée de l'impitoyable contrôle fiscal auquel tout citoyen qui brasse énormément d'argent a droit. Et l'on découvre que non seulement Liliane Bettencourt mettait à l'abri une partie de sa fortune dans des paradis fiscaux, la Suisse et Les Seychelles, mais que l'épouse du ministre Woerth, Florence, travaillait comme conseillère fiscale de la riche héritière de l'Oréal. Quand on rajoute à ce faisceau d'affaires que Liliane Bettencourt était une généreuse donatrice pour les œuvres sociales de l'UMP, qu'elle a reçu de l'Etat un chèque de 30 millions d'euros au titre du bouclier fiscal et qu'Eric Woerth déclare ne pas connaître de près le dossier Bettencourt alors que la presse apporte la preuve écrite qu'il entretenait avec elle des relations étroites et suivies, la boucle est bouclée et la messe est dite. Dans cette affaire, Nicolas Sarkozy s'est enfermé lui-même dans un système de dénégation où il lui est difficile d'actionner la marche arrière. Pour lui, Eric Woerth, qui est honnête, ne peut être ce grand corrompu, grand professionnel des passe-droits que semblent insinuer l'opposition et une grande partie de la presse. D'où la consigne donnée au gouvernement et à l'ensemble de la majorité présidentielle pour défendre les vertus d'Eric Woerth, de stigmatiser cette campagne de lynchage dont l'homme, symbole de la réforme des retraites, réforme emblème du quinquennat de Nicolas Sarkozy, semble être victime. Il faut dire que Nicolas Sarkozy n'avait pas d'autres choix que de défendre son ministre. Reconnaître le conflit d'intérêt, la gestion douteuse de l'argent public et des réseaux d'influence, succomber à la sirène qui doute de l'honnêteté d'Eric Woerth aurait nécessité une vigoureuse action et un limogeage sur le champ. Si Nicolas Sarkozy n'a pas pu le faire pour de nombreux ministres impliqués dans des scandales autour de l'argent public, instaurant ainsi une dangereuse impunité, comment le ferait-il pour l'homme qu'il a chargé de porter la plus emblématique de ses réformes et dont il avait pressenti un possible Premier ministrable? Signe que la situation se complique de jour en jour pour Nicolas Sarkozy, l'opposition qui trousse de plus en plus adroitement ses attaques. Après le «système corrompu de Nicolas Sarkozy» lancé par Ségolène Royal, la première secrétaire du Parti socialiste Martine Aubry vient d'accuser l'UMP et Sarkozy «d'abimer la République» en installant «à chaque fois un entrelacs fâcheux entre le pouvoir politique et les intérêts d'argent».