Les règles de l'actualité médiatisée sont cruelles. Un événement en chasse très vite un autre, ce qui ne veut pas dire que les tragédies qu'on a eu à connaître quelques instants ont cessé. Ainsi, on ne parle déjà plus des émeutes et des violences meurtrières qui ont eu lieu, début juillet, à Urumqi, capitale du Xinjiang. Les Ouïgours, ce peuple turcophone et musulman d'une des régions dites «autonomes» de l'immense Chine, sont retombés dans l'oubli d'où ils avaient réussi à être tirés quelques jours. Les peuples en souffrance ne manquent pas sur la surface du globe. De ce fait, il n'est pas aisé de porter le souci de tous. Comment «voir clair » dans la situation de chacun? Il faudrait, pour cela, avoir une connaissance précise de l'histoire des uns et des autres. La Chine est depuis des siècles un empire, quels que soient les régimes politiques qui la dirigent. Ce qui signifie que, en son sein, vivent des peuples très divers, qui peuvent parfois se sentir maltraités, mal aimés, voire en danger de disparition. Les Ouïgours sont de ceux-là. Du fait des mouvements migratoires internes à la Chine, ces musulmans sont devenus minoritaires sur leurs propres terres, à l'exemple des Tibétains bouddhistes dans leur espace himalayen. Ils composent actuellement moins de la moitié des vingt millions d'habitants de cette province de l'ouest de la Chine, devenue partie de «l'empire du milieu» à partir du XVIII ème siècle. Dans la capitale Urumqi, les Hans (le peuple chinois dominant) sont largement les plus nombreux et détiennent tous les leviers de l'économie et de l'autorité politique et administrative. Pour la plupart d'entre eux, les Ouïgours vivent dans une grande pauvreté et, dans les villes, connaissent un chômage massif. Les colons hans, en revanche, se voient largement favorisés par la politique nationale d'implantation de cette ethnie chinoise. Exactement le même schéma qu'au Tibet. La révolte qui a soudain éclaté à Urumqi a été dénoncée par Pékin comme étant une opération de déstabilisation de la Chine recherchée par «des mains étrangères». Des «fondamentalistes musulmans» ont été accusés tout comme des défenseurs des droits de l'Homme exilés en Occident ( notamment Rebiya Kadeer, réfugiée aux Etats-Unis et qualifiée par ses admirateurs de «Mère des Ouïgours» ). Depuis, une lourde répression s'est abattue contre ceux qui avaient manifesté. Pourtant, la colère des Ouïgours a sa légitimité, et le pouvoir central chinois ne pourra pas toujours faire semblant d'ignorer le fait que plusieurs peuples de son immense territoire ne peuvent pas se sentir «chinois» s'ils sont méprisés et maltraités. Cela d'autant plus que l'identité commune des Chinois telle qu'elle a pu se forger avec la révolution de Mao Tsé-Toung, l'identité de «travailleurs socialistes», est devenue totalement désuète. Ce n'est pas parce que nous sommes musulmans comme les Ouïgours, que nous devons garder le souci du devenir de ce peuple. C'est tout simplement parce que tous les peuples ont droit à la liberté et au bonheur. Jadis, au temps du nazisme, le pasteur Martin Niemöller écrivit un beau texte sur le thème «Je n'ai rien dit quand on est venu arrêter mes voisins». Mais quand ce fut son tour d'être persécuté, il n'y avait plus personne pour le défendre.