Sanaa Benlarabi, médecin toxicologue, fait le point sur les statistiques des intoxications alimentaires au Maroc et explique les mesures à prendre. ALM : L'intoxication alimentaire prend de l'ampleur. Comment évaluez-vous cette situation ? Sanaa Benlarabi : Les intoxications alimentaires sont dues non seulement à l'ingestion d'aliments ou de boissons contaminées par des bactéries mais aussi aux allergies alimentaires. Parmi les aliments incriminés, figurent en premier lieu les produits laitiers et leurs dérivés suivis des viandes et des pâtisseries. Nous avons remarqué que depuis la mise en place de l'horaire continu, les cas d'intoxication alimentaire augmentent. Les gens mangent dans des conditions d'hygiène médiocres. Leur alimentation n'est pas variée. Il faut aussi noter qu'avec l'approche de la saison estivale, l'intoxication alimentaire devient plus accrue. Cette situation s'explique par le manque de sensibilisation quant au stockage des aliments et la désinfection des ustensiles. Combien de cas avez-vous reçus pour cette année ? Au terme du premier trimestre 2009, nous avons reçu 169 cas d'intoxication alimentaire dont les derniers cas remontent au mois d'avril. Il s'agissait d'une intoxication alimentaire de 45 élèves à Fès. Cette intoxication serait due à la consommation de friandises produites de façon artisanale et commercialisées dans de mauvaises conditions d'hygiène par un marchand ambulant. Malgré les prélèvements pour l'examen toxicologique, nous avons eu du mal à déterminer les véritables causes de cette intoxication étant donné que le marchand ambulant a disparu de vue. Des cas pareils sont assez fréquents. Quelles sont les dernières statistiques de toxicovigilance relatives à l'intoxication alimentaire réalisée par votre centre ? Au total, 1160 cas d'intoxication alimentaire ont été enregistrés en 2008 soit 28% des intoxications en générale. Les adultes représentent 53% des cas contre 43% pour les enfants. Sur les 1160 cas d'intoxication alimentaire recensés, 800 cas sont collectifs. Cela dit, il faut noter que ces chiffres ne représentent que 10% de ce qui se passe en réalité. Dans la majorité des cas, les gens ont souvent recours à l'automédication. D'après les informations collectées, nous avons relevé 69% des cas d'intoxication alimentaire collective dans le milieu urbain et 26% dans les lieux publics. Cependant, nous remarquons un pic dans les domiciles soit une moyenne de 58%. D'après les données dont nous disposons, les prélèvements sur les malades ont été effectués dans 8% des cas et étaient positifs dans 68%. Par contre, l'évolution était favorable dans 98% de cas. Heureusement, nous n'avons pas enregistré de décès car 64% des infections ont été de moyenne gravité. Comment vous intervenez lors d'une intoxication ? Nous sommes l'unique centre au Maroc qui s'occupe des intoxications. Nous mettons à la disposition des citoyens, médias et professionnels de la santé un numéro vert. Notre mission consiste à orienter ces personnes et à prendre les malades en charge depuis leurs domiciles. Nous déployons un staff technique permanent vu que la majorité des cas se produisent le soir. Quand une personne nous appelle pour un cas d'intoxication, elle doit impérativement répondre à un questionnaire de prospection. Nous demandons si la personne souffre de nausées, vomissements, douleurs abdominales, fièvre, et surtout si ces symptômes sont partagés avec d'autres personnes. Ces signes cliniques, qui se manifestent rapidement, nous permettent de détecter la nature de l'infection. Nous recommandons en priorité aux malades de boire beaucoup d'eau pour éviter le risque de déshydratation surtout pour les enfants. Selon la gravité des cas, soit nous prescrivons des médicaments ou nous invitons le malade à se rendre à la plus proche unité de santé. De même, nous exigeons à ce qu'ils gardent un bout du dernier aliment consommé et de le présenter impérativement aux bureaux d'hygiène de leur arrondissement. La déclaration des cas est très importante. Elle permet à l'observatoire d'épidémiologie d'enquêter et de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre cette intoxication. Quelles sont les autres actions menées par le centre ? Nous travaillons sur un programme de sensibilisation auprès des Académies régionales de l'éducation et de formation. Ce programme sera enseigné lors des séances des sciences de la vie. Il initiera les élèves à adopter des gestes d'hygiène afin de les prévenir du mal des toxicoinfections alimentaires.