Oui, oui, elle existe ! Le Haut Commissariat au Plan l'a vue et l'a examinée sous de multiples facettes. Elle, c'est la classe moyenne. Elle représenterait un peu plus d'un Marocain sur deux (53%) selon une enquête gouvernementale dont les premiers résultats ont été publiés le 6 mai dernier. En feraient partie les ménages dont le revenu mensuel varie, à l'unité près, entre 2.800 et 6.736 dirhams ! M. Ahmed Lahlimi, qui a présenté ces chiffres à la presse, a longtemps milité dans l'opposition de gauche avant de devenir ministre. On peut lui faire confiance pour savoir qu'une classe sociale ça ne se définit pas que par des indicateurs monétaires. Ni à partir de questions posées aux gens sur la perception qu'ils se font de leur propre situation. Il faut, sur ces matières, beaucoup de rigueur et de clarté à la statistique officielle pour réduire la pression du soupçon. Il fut un temps où ce genre de chiffres était scruté à la loupe et disputé par les partis, par le mouvement syndical et l'université. Depuis les années 80 ce sont les institutions financières du type Banque Mondiale et FMI qui s'en sont emparées, au service de leur médecine. Il est donc de bon augure que le gouvernement reprenne la main sur ce genre d'outils, indispensable à tout pays qui ne veut pas se contenter de naviguer à vue. Le langage du Haut Commissariat au Plan ne manque pas de maestria. Les familles dont le revenu est inférieur à celui de la classe moyenne sont rangées dans une catégorie dénommée la «classe modeste». L'objectif évident est d'éviter de dire «pauvre» à propos d'un groupe qui représente 34% de la population. Au-dessus de 6.736 dirhams par mois, l'étude parle de «classe aisée», soit 13% de la population. Dans cette catégorie statistique, un couple de petits fonctionnaires qui tire la langue cohabite avec les foyers les plus opulents. Au-delà de ces euphémismes, ce que l'étude révèle c'est que la classe moyenne est à la peine : 85% de ses dépenses sont consacrées à des besoins incompressibles (alimentation, logement, santé, habillement, transports). Elle consacre moins de 4% de son revenu à son instruction, à la culture ou au loisir. Le fait est que plusieurs enquêtes sur les revenus et la consommation ont été menées dans le passé. Il est dommage que la comparabilité de leurs résultats soit entravée par les fréquents changements apportés à leur méthodologie. Ce qui importera, au final, c'est l'usage que les collègues ministres de M. Lahlimi feront de la moisson de chiffres qu'il vient de leur livrer. Comment promouvoir l'égalité des chances ? Comment élargir l'accès à la santé ? Améliorer les qualifications et les compétences ? Comment renforcer la capacité de l'ensemble des groupes sociaux à créer de la richesse, et rendre plus justes les mécanismes de redistribution ? Prendre les mensurations de la classe moyenne est une excellente chose si ça sert, d'abord, à faire reculer la pauvreté. Il en va du mieux-être et de la cohésion de l'ensemble de la société.