Le cinéaste Saâd Chraïbi prépare la sortie nationale de son dernier film “Jawhara, fille des prisons“. Ce long-métrage souligne l'intérêt croissant des cinéastes marocains pour les années dites de plomb. Saâd Chraïbi s'explique sur le sujet et informe sur une méthode inventive pour réaliser un film avec peu de moyens. Aujourd'hui le Maroc : Le scénario de “Jawhara, fille de prison“ s'ajoute aux films qui traitent de la période des incarcérations. Est-ce maintenant le must du cinéma marocain ? Saâd Chraïbi : J'estime qu'il existe un nombre insuffisant de films, au regard de l'éclairage qui devrait être fait sur cette période très importante dans l'histoire du Maroc. Les sujets participant de cette optique démangeaient les cinéastes, germaient dans leur tête, mais ils n'osaient pas les porter sur grand écran. Aujourd'hui, c'est devenu possible, en raison de l'ouverture du pays et de la nouvelle volonté de s'acheminer vers la démocratie. En ce qui me concerne, j'avais déjà jeté les jalons de ce sujet dans “Chroniques d'une vie normale“. Il y avait les prémisses de personnes disparues. Mais, je l'avais fait très timidement, parce que personne ne pouvait traiter frontalement le sujet, avant 1999. La période des prisons nécessite encore une vingtaine de films, avant de tourner définitivement la page. Dans “Jawhara“, les premiers rôles sont tenus par des actrices. Et ce n'est pas la première fois que vous faites de la femme l'objet principal d'un long-métrage. Oui, on peut parler de ma prédilection pour les rôles féminins. Ça vient d'un constat de déséquilibre entre les droits accordés à une femme et à un homme dans notre société. En lui donnant des rôles principaux dans le cinéma, je contribue, à ma façon, à valoriser la femme. On peut aussi parler d'un parti pris en sa faveur ! Cette fois-ci, je réserve les premières loges non seulement à une femme, mais également à une enfant. Le premier rôle dans “Jawhara“ est tenu par Mouna Fettou qui est également votre épouse. N'y aurait-il pas des intérêts familiaux dans votre prédilection pour les grands rôles féminins ? Il est probable que Mouna Fettou ait affermi mon intérêt pour la femme. Mais la préoccupation est antérieure à la relation conjugale. Et ce que je donne à voir dans mon dernier film est une situation qui m'habitait depuis bien longtemps. Celle du quotidien de femmes incarcérées pour leurs idées. Jawhara est une petite fille, fruit d'un viol dans une prison. Elle a grandi derrière les barreaux, aux côtés de sa mère. Où ont été filmées les scènes de la prison ? Dans une vraie prison à Casablanca, désaffectée aujourd'hui : Ghbila. Nous avons reconstitué le décor de cette prison qui date du protectorat. C'est un espace magnifique du point de vue architectural, et il a doté d'une ambiance réaliste les séquences du film. Quel est le budget global du film ? 4, 8 millions de DH, dont 2, 5 MDH accordés par le Fonds d'aide à la production cinématographique nationale. Évidemment, le budget global du film est dérisoire, mais je dis toujours que l'ingéniosité peut rendre moins handicapant le manque de moyens. Nous nous sommes mis à quatre pour économiser de l'argent. Avec les cinéastes Jilali Ferhati, Hassan Benjelloun et Omar Chraïbi, nous avons acheté en une seule fois de la pellicule pour quatre films, loué en commun le matériel technique, et traité ensemble la post-production. Cette opération a permis d'économiser à chacun de nous entre 10 et 15% du budget global de son film. Combien de semaines a duré le tournage du film ? Et quand pourra-t-on le voir ? Le tournage a duré six semaines, du début juillet 2003 jusqu'à la mi-août. Sa sortie nationale est prévue le 3 mars, à l'occasion de la Journée mondiale de la femme, célébrée le 8 mars. Je tiens ainsi à marquer encore une fois ma préoccupation de la femme.