Ahmed Snoussi expose des tapis à la galerie nationale Bab Rouah de Rabat le jeudi 15 janvier à 18 h. L'exposant a occupé le poste d'ancien ambassadeur du Maroc à l'ONU. Du jour au lendemain, le ministère de la Culture lui confère la qualité d'artiste très important en lui ouvrant les portes de la plus prestigieuse des galeries nationales. La nouvelle est ubuesque. Il faut se frotter quatre fois les oreilles pour y croire. Ahmed Snoussi expose un ensemble de tapis à la galerie nationale Bab Rouah. Toute personne s'intéressant à la vie des arts plastiques au Maroc est surprise par cette nouvelle. Le nom de l'exposant est très peu connu. Et la galerie nationale Bab Rouah est l'espace d'exposition le plus prestigieux au Maroc pour ne pas être surpris par l'identité de cet artiste. On pense d'abord à l'humoriste marocain, mais il tisse d'autres trames que celles de tapis convenus. On cherche encore, et l'on découvre le nom d'un peintre obscur. Dame! Le ministère de la Culture a-t-il décidé de procéder à l'une des opérations de résurrection dont il a le secret ? Non ! personne n'a dérangé le cours paisible de l'eau qui l'entoure. Qui est alors cet artiste si grand et si peu connu du public ? On s'informe auprès de la direction des arts du ministère de la Culture, et une voix féminine répond: “c'est le diplomate, l'ancien représentant du Maroc à l'ONU“. Quel étonnement ! Il est donc artiste. Et seul le ministère de la Culture, qui l'a autorisé à montrer ses œuvres dans la galerie nationale au Maroc, est au courant de la valeur de ses œuvres. Cet établissement est si bien dans le secret des dieux de l'art qu'il a décidé de mettre l'œuvre d'Ahmed Snoussi au diapason de celle d'artistes de renom. Il a décidé d'établir un rapport d'égalité entre les plasticiens qui exercent depuis trente ans et l'ancien ambassadeur du Maroc à l'ONU. Pour que la présence de ce nom à la galerie Bab Rouah ne choque pas les esprits, l'exposition de ses œuvres est enveloppée de fins caritatives. Il ne s'agit pas d'une simple exposition, mais d'une “exposition-vente“, sous le thème “Rêves et fantaisies“, au profit des enfants handicapés de l'association Ismaïlia. “L'ensemble de tapis dessinés par Ahmed Snoussi, réalisés sous sa direction et tissés par Artco, seront mis en vente pour un prix de 15 000 et 20 000 DH, selon leur taille“. C'est très louable que M. Ahmed Snoussi se préoccupe de la condition des handicapés. Tout le monde aurait d'ailleurs applaudi son initiative s'il avait montré ses tapis dans les locaux d'un hôtel ou d'un espace privé. C'est Bab Rouah qui heurte les sensibilités. Cet espace confère la qualité d'artiste à celui qui y expose. Peut-être que le violon d'Ingres de M. Ahmed Snoussi dispense de la bonne musique. Peut-être est-il bon artiste de renom. La question n'est pas toutefois là, puisque la manière n'y est pas. Voici un inconnu des arts qui est parachuté de façon intempestive dans la plus grande galerie nationale. Ce monsieur, qui a occupé un poste important, est du jour au lendemain décrété artiste encore plus important. Peut-on imaginer un ex-diplomate français montrant ses dessins au Louvre ou au musée d'Orsay ? À l'heure où tout le monde loue les progrès du Maroc en matière de démocratie et de droits de l'Homme. À l'heure où le statut de la femme a été révolutionné. À l'heure où Sa Majesté le Roi Mohammed VI a décidé de clore définitivement le chapitre des prisonniers d'opinion, voici qu'une manifestation culturo-humanitaire nous plonge dans un autre âge. C'est un résidu des pratiques d'un autre temps. L'un de ses multiples grains qui empêche le fonctionnement normal des rouages de la machine évolutive du Maroc. Il faut en dénoncer les vertus abusives. Comment devient-on persan ? raillait Montesquieu la société parisienne dans le début de ses “Lettres persanes“. Comment devient-on artiste au Maroc ? Le ministère de la Culture connaît toutes les ruses pour répondre à cette question.