Entretien. Dominique Devals a adapté sur scène les poèmes de Mahmoud Darwich dans le spectacle intitulé « Nous ne disons adieu à rien ». Compagne du responsable de la « Revue d'études palestiniennes », Elias Sanbar, elle connaît bien la situation en Palestine et nous parle autant de la poésie que de la barbarie qui tend à l'étouffer. ALM :En choisissant de mettre sur scène des poèmes de Mahmoud Darwich, vous prenez parti pour la cause des Palestiniens ? Dominique Devals : Bien sûr ! Au départ, je voulais parler de la Palestine et de ce qui s'y passe à travers un auteur palestinien, parce que j'estime qu'on ne connaît pas assez, en France, la richesse culturelle du peuple palestinien. On a tous l'image du Palestinien réfugié, démuni, condamné à la lutte, mais on oublie qu'il fait partie d'une société avec ses intellectuels, ses artistes et ses scientifiques. Je voulais faire découvrir au public français, qui connaît bien la cause palestinienne, la vie des Palestiniens à travers les auteurs de la Palestine. Et c'est ainsi que j'ai entrepris des lectures qui m'ont menée à la découverte de la poésie de Mahmoud Darwich. J'ai été immédiatement saisie par la sobriété et l'efficacité de ses poèmes. Estimez-vous que les mots dans les poèmes de Mahmoud Darwich ont autant d'effet que les armes ? Certainement ! Parce que Darwich est un homme de paix, et qu'en tant que tel, il ne peut que s'opposer au langage des bombes et des attentats. Même au plus fort de l'oppression israélienne, il n'a jamais tenu de propos haineux. Je ne sais pas qui a dit : “La poésie est un fusil chargé d'avenir”, mais je crois que c'est exactement de cela qu'il est question dans les poèmes de Mahmoud Darwich. On peut penser de la poésie qu'elle est dérisoire, vaine au regard de la situation en Palestine, mais au fond, elle a une force percutante qui est bien plus efficace que tous les attentats de la terre. Comment expliquez-vous le comportement des Israéliens ? C'est vaste ! Au départ, on a dit que c'est une injustice pour en réparer une autre. Or, il s'avère que l'idée de commettre l'injustice est bien antérieure à l'injustice commise à l'égard des Juifs pendant la dernière guerre. L'idée de donner un Etat aux Juifs n'est pas née de l'Holocauste, puisque la colonisation avait commencé bien avant. Ma position, c'est que c'est évidemment une injustice grave à l'égard des Palestiniens. Aujourd'hui, nous sommes dans un schéma d'enfants battus qui battent à leur tour leurs enfants. Certains israéliens dénoncent cette situation. Ce qui me choque, c'est de voir comment un peuple, qui a tant souffert, reproduire le schéma de sa souffrance sur un peuple qui ne lui a rien fait. Je ne comprends pas cette folie qui pousse à créer un état ghetto où il n'y a de place que pour les Juifs. Je ne comprends pas ! Je pense qu'il n'y a qu'eux qui peuvent donner des réponses, mais je ne sais pas s'ils en sont à ce stade-là. Ce qu'ils ont vécu, du seul fait qu'ils soient juifs, est évidemment un traumatisme terrible à l'échelle d'un peuple. On peut supposer que cela se traduit par des comportements qui relèvent de la folie. Et du côté des Palestiniens ? Je pense que les Palestiniens doivent faire très attention pour ne pas céder à cette folie-là. Il ne faut pas qu'ils fassent ce que les Israéliens attendent d'eux. Il ne faut pas qu'ils désespèrent, parce qu'il est clair que le fait de rendre leur vie quotidienne de plus en plus invivable n'a qu'un seul but : les pousser soit au désespoir, soit à quitter le pays. Je disais une fois à un responsable palestinien, qui me parlait des attentats suicide comme étant la seule forme de résistance qui restait au peuple palestinien, que les Palestiniens donnaient de la sorte une victoire à l'ennemi. Parce que c'est exactement ce que l'ennemi attend des Palestiniens : qu'ils soient désespérés au point de se suicider. Certes, la politique actuelle, les expropriations de maisons, les massacres, c'est de la barbarie pure. Mais répondre à cette barbarie par une autre forme de barbarie, répondre à des massacres de civils par des massacres de civils, c'est très dangereux. Au bout du compte, cela signifie que l'on est désespéré et quand on est désespéré, on ne gagne pas.