Peut-on parler d'une rentrée littéraire au Maroc ? Au mois de septembre, elle est inexistante, parce que les librairies mettent seulement en évidence le livre scolaire. Et même après, cette expression est vaine. Avis de trois éditeurs sur un phénomène très important dans le monde de l'édition. Partout dans le monde, au mois de septembre, on ne parle que de rentrée littéraire. Une rentrée qui se manifeste à cor et à cri. Tout le monde s'y intéresse. Les nouveautés foisonnent. L'espoir de la découverte d'un futur grand écrivain tient les critiques et les lecteurs en haleine. Cette rentrée est visible dans les librairies, aussi bien dans les devantures que sur les présentoirs. Un petit tour des librairies marocaines est très instructif dans ce sens. Une animation inhabituelle y règne. On rentre, et l'on est immédiatement saisi d'étonnement. C'est de rentrée scolaire qu'il est question chez nous ! Les librairies exposent et vendent des fournitures scolaires. Ailleurs, aucune librairie – digne de ce nom – ne se transforme au mois de septembre en comptoir de vente des fournitures scolaires. Bichre Bennani, directeur des éditions Tarik et libraire, justifie cette transformation par le fait que les librairies au Maroc réalisent très peu de vente pendant le reste de l'année. «La rentrée scolaire leur permet de se maintenir», dit-il. Elle fait office de viatique indispensable pour ne pas fermer. «Le livre scolaire vole la vedette au livre littéraire», confirme pour sa part Abdelkader Retnani, directeur des éditions Eddif. Et c'est ainsi que la rentrée littéraire est retardée, jusqu'à ce que les libraires jugent que les parents d'élèves se sont acquittés de tous les achats. Ils s'intéressent de nouveau au livre littéraire à partir du 15 octobre. Au demeurant, la déferlante du livre scolaire envahit également les imprimeurs. Ils ne peuvent pas honorer leurs contrats avec les éditeurs d'ouvrages littéraires, parce qu'ils «sont pénalisés s'ils ne respectent pas les délais pour l'impression du scolaire», nous confie le directeur des éditions Eddif, qui se plaint de «perdre deux mois sur douze, parce que le livre scolaire est mis en vedette». Voilà donc pour les raisons qui décalent d'un mois et demi la rentrée littéraire dans notre pays. Mais est-ce que cette expression signifie quelque chose, compte non tenu de ce décalage ? Selon Bichre Bennani, elle «devrait vouloir dire quelque chose, mais sur le terrain elle n'a pas de signification». Même au mois d'octobre, cette rentrée passe inaperçue, faute d'animation et de politique culturelles. La rentrée littéraire est soutenue ailleurs par des institutions. Ici, c'est d'abord à la Direction du livre, dépendant du Ministère de la Culture et de la Communication, d'initier des actions pour aider à la création d'une ambiance littéraire. «À la Direction du livre, je n'ai jamais entendu parler de rentrée littéraire», affirme Bichre Bennani. Il ajoute: «les gens sont pourtant très nombreux dans cette Direction, mais on ne sait pas à quoi ils passent leur temps !» Les responsables à la Direction du livre sont injoignables. Ils sont soit en congé, soit, selon les termes de la secrétaire qui répond au téléphone, «pas encore rentrés, ils doivent être en bas - au ministère». Ce matin du 3 septembre 2002, la Direction du livre ressemblait à un bâtiment fantôme. Il ne faut donc pas s'attendre à une révolution éditoriale de la part des fonctionnaires de ce ministère. Leïla Chaouni, directrice des éditions Le Fennec, est encore plus intransigeante que le directeur des éditions Tarik : «Pour moi, il n'y a pas de rentrée littéraire. Je ne fonctionne pas en termes de rentrée littéraire. Il s'agit d'un phénomène importé que l'on essaie de plaquer chez nous alors la réalité n'est pas du tout la même». Cette réalité différente a trait, selon Leïla Chaouni, au faible pouvoir d'achat et au très faible nombre de lecteurs. Il est toutefois légitime d'espérer une rentrée littéraire qui donne des frissons aux lecteurs et permet chaque année quelques belles découvertes.