Le concert donné le mercredi 5 juin 2002 à Bab Makina, dans le cadre du festival de Fès des Musiques sacrées du monde, a porté les spectateurs au comble du bonheur. Françoise Atlan a chanté en hébreu et en arabe. C'était une apparition digne des Mille et une nuits. Vêtue d'un sublime caftan bleu nuit, Françoise Atlan est entrée sur scène entourée de douze musiciens habillés en blanc. Elle a salué le public et a lu un poème de Ibn Arabi. Un poème qui est un vrai manifeste de la tolérance. Le poète soufi y dit que son cœur pénètre toutes les formes de la spiritualité, qu'elle soit musulmane, chrétienne ou juive. Seule la sincérité de la foi lui importe. Maître Mohamed Briouel et son orchestre ont joué un morceau d'ouverture. Ensuite, une voix s'est élevée dans le ciel. Une voix si inhabituelle de la musique andalouse qu'un trouble étrange s'est emparé des très nombreuses personnes qui se sont déplacées pour assister au concert. Cette voix rompt manifestement avec la tradition de la Ala. Elle l'innove, la dote d'un surcroît d'émotion. La voix est celle du soprano Françoise Atlan. Certes, les spectateurs savaient à quoi s'en tenir, mais l'écoute de cette voix a dépassé toutes leurs attentes. Passe qu'une femme chante la Ala, mais que cette femme doit dotée d'une voix de soprano, cela semblait inimaginable. Il y avait en plus cette judaïcité profonde dans la voix de l'intéressée. Celle qui se dit fièrement une Arabe juive est pourtant née en France de parents berbères algériens. L'arabe n'a pas été sa langue maternelle, mais elle a comme elle aime le répéter « cette espèce d'inconscient vocal de la langue. De telle sorte que les sons qu'on peut prononcer difficilement en Occident, je les avais déjà dans le gosier. » Les ha, les ka, et autres vocables étrangers à la langue française, Françoise Atlan les prononce sans peine. Cette voix a été servie par l'un des meilleurs maîtres de la musique andalouse. Mohamed Briouel, directeur du Conservatoire de Fès, a fait son apprentissage sous la férule de maître Abdelkrim Raïss. L'homme est très ouvert. L'on sait qu'il n'existe pas de voix féminine dans la musique andalouse, contrairement à la musique gharnatie – très en vogue en Algérie et dans l'est du Maroc. Maître Mohamed Briouel ne fait aucune résistance aux innovations introduites par Françoise Atlan. Il estime que le propre de toute musique vivante est d'évoluer. Il dit d'ailleurs très franchement que l'évolution de la musique andalouse est la seule façon de la diffuser à l'échelle mondiale. Et d'ajouter mystérieusement : « Je pense que l'avenir de la musique andalouse est ailleurs, un peu partout dans le monde ». Les Noubas, revisités, rajeunis donnaient l'impression de les entendre pour la première fois. La réaction du public est d'une grande instruction dans ce sens. Ceux qui connaissent le répertoire de la Ala chantaient avec Françoise Atlan. Ces connaisseurs ne désapprouvaient pas le chant de Françoise Atlan. Bien au contraire, ils semblaient manifestement heureux de redécouvrir un registre dont ils pensaient tout savoir. Au reste, Atlan a chanté plusieurs chansons en hébreu. A un moment de la soirée, elle a alterné des chansons en hébreu et des chansons en arabe. Là, on saisit parfaitement qu'une même tradition unit les deux répertoires. Il n'existe pas de différence entre Juifs et Arabes au Maghreb. A signaler que les musiciens de maître Mohamed Briouel ont été irréprochables. En plus d'un chanteur, l'orchestre de maître Mohamed Briouel se constitue de cinq violons, une contrebasse, un rabab, deux luths, un bendir avec castagnettes et une derbouka. En les entendant jouer, l'on se rend compte de toute la rigueur qui a accompagné les répétitions qui ont précédé ce concert. Il ne s'agit pas là d'une formation de fortune, mais d'un orchestre capable de se produire n'importe où dans le monde. Cette soirée a été quelque peu gâchée par le grand froid qu'il a fait ce soir. Mais la voix de Françoise Atlan a réchauffé l' assistance.