Portrait. Un mot en arabe, trois autres en espagnol. Toujours prêt pour rire, le peintre Mohamed Drissi est drôle, truculent. Sa vie est une aventure, un long voyage. Tout le contraire de sa peinture qu'il expose jusqu'au 16 juin à la galerie d'art 9, à Casablanca. «N'avez-vous jamais remarqué que la tête d'une femme ressemble à une pelle ?» C'est dans ces termes que le peintre Mohamed Drissi parle de la série de pelles qu'il expose en ce moment. Leurs plaques minces ont été transformées en figures féminines. Cette phrase donne une idée du parler haut en couleurs de l'homme. Ce dernier est né en 1946 à Tétouan. Avec son langage peu enclin aux nuances, Drissi dit : « Je suis né artiste. À l'école, je savais peindre mieux que n'importe qui ». Cette virtuosité ne l'aurait pas mené loin, n'était une prof espagnole qui lui a conseillé d'entrer à l'Ecole des Beaux-Arts de Tétouan. Drissi y est resté 3 ans. Mais comme il n'était pas homme à se satisfaire de l'enseignement dispensé dans une seule école, il est parti étancher sa soif d'apprendre en dehors de nos frontières. Barcelone d'abord où il a découvert de grands musées. Le curieux, c'est que ce ne sont pas les peintres qui ornent les murs des musées qui vont l'impressionner, mais un artiste très peu connu du grand public. Il s'agit de Nolel qui peint des Gitans d'une façon expressionniste. L'appel de Paris a succédé à celui de Barcelone. Drissi a appris pendant un an la peinture et la sculpture à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. Il l'a quittée précipitamment pour rejoindre la Hollande. « Je ne supporte pas l'enseignement académique. Le démon de la liberté me démange trop pour que je reste enfermé dans un même lieu longtemps » dit-il. La Hollande lui a permis de s'initier à l'art de restaurer des retables. Nombre des peintures de Drissi sur bois doivent tenir leur qualité de la familiarité de l'artiste avec les retables. Ce peintre voyageur a vite fait le tour des pays européens. Il lui fallait passer outre-Atlantique. Il a jeté son dévolu sur New York où il a appris la thérapeutique par l'art. Un furieux besoin de revoir son pays l'a pris. Et c'est ainsi qu'il s'est installé à El Madiak. Non pas comme peintre, mais en tant que pêcheur. Drissi a en effet acheté une petite barque pour pêcher du poisson. « Je suis devenu pêcheur pour peindre à ma guise. Je ne supporte pas que l'on me commande des tableaux avec des couleurs conformes à celles des canapés ou des murs du salon ». C'est ainsi que le peintre justifie la pêche à laquelle il s'est dévoué pendant sept ans. Il a vécu doublement du poisson : en le vendant et en s'en nourrissant. Au demeurant, cet homme truculent, assoiffé de vivre, acceptant avec une philosophie joyeuse les aléas de la vie, semble tout le contraire des personnages de ses tableaux. Ces derniers expriment une détresse des plus profondes. Drissi s'en défend : « Je ne suis pas un artiste de la misère. Mes tableaux sont pleins de joie. Il faut regarder longtemps mes personnages, et ils se mettront à parler ». Difficile de le croire en regardant ses tableaux. La peinture révèle parfois des zones qui échappent au contrôle de l'artiste. Drissi concède d'ailleurs que le spectateur est libre d'interpréter ses toiles. C'est en raison de cela qu'il refuse de leur donner des titres. D'un autre côté, Drissi a beau rester fidèle à une espèce d'expressionnisme autodidacte, il change souvent les supports de sa peinture. Parmi ses œuvres récentes, on dénombre de belles peintures réalisées sur du papier mâché, celui-là même qui a servi de support aux œufs qu'il achète dans le marché. Il dit avec cet humour qui fait le charme de sa conversation : « Les œufs, j'en suis friand, j'en mange abondamment. Mais le carton où ils logent me permet de vivre pour en manger davantage ».