«Ras Msalah», aux alentours de dix heures du matin de cette première semaine de la campagne électorale. Saïd et Yassine sont en train de distribuer des tracts aux passants. Ils entament ainsi leur quatrième journée de campagne électorale en faveur d'un candidat, tête de liste de la circonscription Tanger- Asilah. Ils portent, comme d'habitude, deux sacs en plastique noir plein de tracts. Saïd et Yassine sont respectivement chauffeur de taxi en chômage et employé dans une usine de confection en congé. Ils doivent parcourir plusieurs quartiers et artères de la ville pour la distribution des tracts pendant cette période électorale. Agés respectivement de 41 ans et 27 ans, Saïd et Yassine se disent n'appartenir à aucune formation politique. Mais ils assurent qu'ils ont beaucoup de respect pour le candidat, pour qui ils mènent cette campagne. «Nous sommes une vingtaine de personnes qui devons travailler de dix heures du matin jusqu'à dix-huit heures du soir. Nous nous dispersons partout dans la ville. Yassine et moi devons couvrir entre autres Msalah, le centre- ville, Swani, Dradeb, l'ancienne médina et Merchane. Nous nous arrêtons un peu de temps pour déjeuner et faire nos prières , avance Saïd. Et de préciser que «nous devons multiplier nos efforts pour toucher un maximum d'électorat. Surtout que nous sommes à la veille des meetings et rassemblements que doivent mener les candidats pendant les prochains jours». Saïd et Yassine participent pour la première fois à une campagne électorale. Ils trouvent que c'est le meilleur moyen pour arrondir la fin du mois et de rendre service à un ami de longue date pendant sa campagne électorale. «Ce dernier nous a contacté, il y a quelques mois, pour participer à sa campagne électorale. Il nous a promis de régler nos services à la fin de cette campagne. Nous n'avons pas discuté avec lui le montant de notre rémunération. Les distributeurs de tracts perçoivent, généralement entre 100 et 200 dirhams», indique Yassine, faisant remarquer qu'il est disposé de travailler bénévolement pour son ami. «Il n'est pas aussi riche que les autres candidats. Mais c'est un homme généreux et serviable qui nous a rendu plusieurs services. Et c'est le meilleur moment, pour nous, de faire de même en lui apportant notre appui et soutien». Dans l'après midi de cette même journée. Si Mohamed et Hassan, respectivement âgés de 20 et 32 ans, précipitent le pas vers la fameuse avenue Pasteur, tout en distribuant des tracts. Ils travaillent, depuis le lancement de la campagne pour le compte d'un grand homme d'affaires. Ils semblent tellement pressés et qu'ils n'ont pas assez de temps pour regarder ou échanger un mot avec les passants auxquels ils distribuent ces dépliants. «Nous ne connaissons le candidat que de vue. C'est notre voisine, qui fait partie de l'entourage de ce candidat, qui nous a employé pour distribuer des tracts. Nous devons distribuer, quotidiennement et pendant cinq heures, plusieurs milliers de tracts en contre partie de 100 dirhams par jour», précise Hassan, en chômage et qui participe pour la deuxième fois à la campagne électorale du même candidat. Et de poursuivre que «nous devons commencer à partir d'aujourd'hui la journée de 11 heures pour la terminer à 22 heures. Ils nous demandent de distribuer le maximum de tracts pour faire connaître la tête de liste et les autres candidats. Et pour faciliter la tâche aux femmes employées par le parti pour faire du porte- à- porte. Le candidat et son entourage tablent ainsi sur un grand public pendant les rassemblements et les meetings». Hassan se considère comme employé occasionnel de ce candidat et non pas l'un de ses sympathisants. «Ils ont augmenté le temps de notre travail sans penser à nous rajouter un peu d'argent pour acheter de quoi manger pendant le déjeuner. Ils ne cherchent que leurs intérêts et non pas ceux des citoyens. Beaucoup des anciens élus ont promis à mes parents et moi pendant les précédentes élections de me trouver un emploi. Ils deviennent inaccessibles avec leur hautain après les résultats du scrutin. C'est pourquoi, nous avons perdu confiance en eux», déplore- t- il. Son copain, Si Mohamed, étudiant de deuxième année de l'Institut de formation des techniciens, a l'habitude de participer à ces élections pour gagner son argent de poche «C'est un peu dur et ennuyeux de faire à longueur de journée la même chose. J'ai décidé de distribuer les tracts en écoutant mes chansons sur mon Walkman. Les passants me trouvent bizarre avec mon air silencieux et indifférent. L'essentiel c'est que les responsables du parti apprécient mon travail». Comme partout au Maroc, ce sont les militants et les sympathisants des grandes formations qui distribuent bénévolement les tracts. «Nous avons appris, depuis notre jeune âge, les principes du parti en accompagnant nos parents aux rassemblements du parti. Nous avons également fait partie du Chabiba au sein du parti. Nous sommes bien préparés pour avoir un rôle dans de grands événements telles que ces élections législatives», déclare un militant d'une grande formation politique à Tanger. Et d'ajouter que «Les militants, jeunes et moins jeunes, sont beaucoup plus présents au siège qu'en temps ordinaire. Les retraités, les fonctionnaires (pendant leur temps libre), les étudiants sortent, tous, dans la rue pour la distribution des tracts. Ils sont, seuls, en mesure d'expliquer notre programme et de convaincre l'électorat à voter pour notre représentant ». De l'avis des acteurs de la société civile, employer des gens pour faire une campagne électorale au profit d'un candidat, n'est pas contraire à la loi. «Personnellement je ne trouve aucun inconvénient à ce que des candidats recrutent des gens moyennant une somme d'argent pour faire leur campagne. Ces derniers sont généralement dans le besoin et acceptent de faire ce genre de travail pour arrondir la fin du mois», souligne le secrétaire général de la Ligue de défense des droits des consommateurs, Mohammed Laâsri. Et d'ajouter que «la loi interdit par contre aux candidats d'employer des mineurs pour travailler pour leurs compte pendant leur campagne électorale, comme c'est le cas pour les autres propriétaires du commerce».