Pour les Marocains, le Sahara est une donne constitutive de leur identité. Elle n'obéit ni à des considérations politiciennes éphémères, ni à un quelconque unanimisme de façade. Sans paraphraser un slogan cher à l'Irak, ce serait une tautologie de dire que le peuple marocain et ses forces vives sont unanimes à considérer la question du Sahara marocain comme la « mère de toutes les batailles et de toutes les préoccupations et priorités ». Ce constat de fait n'est nullement l'expression d'une solidarité mécanique, orchestrée par un pouvoir omniscient et qui implique le pays dans la tourmente hypnose collective, mais un sentiment profond et une donne enracinée dans le terreau de l'histoire. Pour la clarté du propos, il faut rappeler les faits suivants : Sur le plan anthropologique, l'on sait, preuves historiques à l'appui, que la majorité des tribus du Sud du royaume sont originaires de ses régions du Nord. Sur le plan historique, jamais le Sahara n'a été dissocié du Maroc. Le colonialisme franco-espagnol avait tenté de partager notre pays en le divisant en trois parties, à un moment donné, on parlait de quatre parties, mais cela a été tranché sur le terrain : d'une part, le centre entièrement français et de l'autre, le Sud et le Nord entre les mains des Espagnols. En 1956, lorsque le pays a recouvré son indépendance, une bonne partie des membres de la Résistance et de l'Armée de libération ont refusé de déposer les armes et sont descendus dans les régions du Sud pour continuer la lutte. Après l'opération Ecouvillon, accomplie par la coalition franco-espagnole, le 10 février 1958, l'armée de libération a été pratiquement anéantie. Mais, à partir de cette date, le Maroc amorce une nouvelle étape de lutte de lutte pour récupérer ses territoires occupés. Une étape marquée par la primauté accordée à l'action diplomatique. Dans un contexte d'ambiguïté politique à l'intérieur du pays, d'ascension de quelques militaires avides de pouvoir, dont Mohamed Oufkir a longtemps incarné le prototype idéal, les questions de gestion de la chose publique ont pris le dessus sur toute autre considération. Le 16 décembre 1965, l'Assemblée générale des Nations-Unies a adopté une résolution appelant à la décolonisation du Sahara. Une résolution qui a été votée à la demande du Maroc. En 1968, l'Espagne découvre des mines de phosphate dans la région de Boucraa. Depuis lors, la politique de l'Etat ibérique va connaître un tournant décisif, en faveur de la thèse de l'autodétermination. Entre temps, des étudiants sahraouis de Rabat ont commencé à bouger pour amener la classe politique de l'époque à prendre au sérieux leurs revendications qui militaient pour une meilleure prise en compte de la situation de leur région natale sous occupation étrangère. Le 15 janvier 1969, le Maroc et l'Algérie signent ce qu'il convient d'appeler l'Accord d'Ifrane, un accord axé sur la question frontalière entre les deux pays. Les 14 et 15 septembre 1970, s'est constitué un front tripartite, à l'issue d'un sommet réunissant feu Hassan II, le défunt Houari Boumediane et Mokhtar Ould Daddah. Durant le sommet arabe de 1974, Houari Boumediene s'est dit désintéressé de cette affaire, mais dans la pratique, lui et la Libye ont tout mis en œuvre pour attirer ces jeunes étudiants dans leur giron et les inciter à se désengager de leur pays. Face à ces manœuvres, le Maroc décide, à l'unanimité, de faire de cette question, restée trop longtemps l'apanage de la lutte diplomatique, une affaire de masse. L'affaire du Sahara est devenue, donc, une question qui dépasse la classe politique. Une donne au cœur du nouveau consensus national. Une donne qui explique, en grande partie, la marginalisation de tous les mouvements qui s'en sont dissociés. Plus encore, tout le processus démocratique auquel nous assistons aujourd'hui et dont bénéficie l'ensemble des Marocains a été initié au moment où il a été décidé de livrer bataille sur le plan diplomatique pour le parachèvement de son intégrité territoriale. Pour dire que la question saharienne est à la fois un fondement, un repère et une ligne rouge.