Fait assez rare pour être souligné, le Président d'une grande institution internationale a consacré il y a quelques semaines un discours programme sur l'avenir de l'économie du développement et les priorités de recherche dans ce domaine. Il est vrai que dans le monde des institutions internationales les choses sont en train de changer depuis quelques années et beaucoup d'institutions consacrent de plus en plus de ressources pour développer leurs départements d'analyse et de recherche ainsi que leur coopération avec les milieux académiques tellement elles sont persuadées qu'une action politique ne peut se passer aujourd'hui d'une meilleure connaissance et d'une bonne analyse des réalités. Mais, le discours, intitulé "Démocratiser le développement", prononcé il y a quelques semaines par Mr. Robert Zoellick, le Président de la Banque Mondiale, devant un parterre de professeurs et d'étudiants de l'université de Georgetown constitue un développement important et marque le renouvellement de l'engagement de cette institution en faveur d'une recherche et d'une analyse qui ne peut qu'éclairer son action et les politiques publiques de manière plus générale. Il faut dire que la Banque Mondiale a été pionnière dans ce domaine et s'est très rapidement engagée en faveur de la formation d'une capacité de recherche et d'une expertise sur les pays en développement, une voie qui a été critiquée par beaucoup qui pensait naïvement et au nom du sacro-saint pragmatisme que l'action pouvait se passer de la réflexion. D'ailleurs dans son discours le Président de la Banque Mondiale a rappelé que son institution a été la première en 1972 à mettre en place la position d'économiste en chef et à lui donner une place de choix dans sa hiérarchie pour montrer son engagement en faveur de la recherche et de l'expertise. Par ailleurs, cette institution a réussi au fil des ans à attirer les plus grands économistes dans ce domaine comme Paul Rosenstein-Rodan, Hollis Chenery et bien d'autres. Elle a aussi beaucoup investi dans le domaine de la recherche en attirant les jeunes chercheurs et en mettant les moyens à la disposition de ses départements de recherche afin de développer des programmes novateurs. Cet engagement et les investissements effectués ont permis à la Banque Mondiale d'exercer une hégémonie sans partage pendant des décennies dans la production des idées et du savoir dans le domaine du développement. Toutes les modes, les idées nouvelles et les changements de paradigme se faisaient à Washington et les autres n'avaient qu'à s'ajuster à cet agenda! Mais, c'est une hégémonie pour le meilleur et pour le pire! Pour le meilleur dans la mesure où d'importantes visions en matière de développement comme le Big push (la grande impulsion), le décollage ou le rattrapage ont été développées au sein de cette institution. Pour le pire aussi dans la mesure où le consensus de Washington, développé avec son institution sœur le FMI, dans les années 1980 n'a pas produit les résultats attendus et a été à l'origine d'une vague de protestations et de critiques sans précédent qui ont écorché l'image de marque de la banque et sa légitimité. Le consensus de Washington L'intérêt aujourd'hui de ce discours réside aussi dans son contenu et le message envoyé par le Président de la Banque à la communauté des chercheurs, des responsables politiques et les praticiens du développement. Ce discours part d'un constat d'échec de cette discipline qui n' pas été en mesure d'aider les pays à mettre en place les stratégies nécessaires pour parvenir aux objectifs du millénium. Mais, plus que le constat c'est l'analyse des raisons de cette faillite qui est importante. Et, là le Président de la Banque Mondiale est sans concessions. Les maux de l'économie du développement proviennent, selon Robert Zoellick, de son arrogance et de son aveuglement par les certitudes à l'image de l'économie qui a pensé pouvoir construire un savoir scientifique comme dans les sciences de la nature capable de maîtriser toutes les incertitudes et les turbulences du monde réel. La croyance forte dans l'existence d'une voie unique du développement, en l'occurrence les programmes d'ajustement et le consensus de Washington, est l'autre maladie infantile de l'économie du développement. Et, le Président de la Banque mondiale n'est pas tendre avec l'ancienne croyance de la Banque et souligne dans son discours que "il n'est plus question de "consensus de Washington". Il n'est plus possible d'appliquer à l'ensemble du monde une économie politique conçue dans une seule ville". Robert Zoellick appelle à fonder l'économie du développement sur de nouveaux principes. Le premier d'entre-eux est l'humilité des économistes qui doivent convenir de la complexité de notre monde et des difficultés des modèles à rendre compte des incertitudes et des risques croissants qui menacent la stabilité du système global. Le second principe est le refus des "pensées uniques" et la reconnaissance de la pluralité des chemins et des voies d'accès à la modernité économique. Cette pluralité a été mise en évidence par les phénomènes de l'émergence et les BRICs qui ont poursuivi des voies spécifiques pour devenir de nouvelles puissances économiques globales. Et, le Président de la Banque de rajouter "qu'il s'agit d'observer les expériences qui donnent de bons résultats –à New Delhi, à Sao Paolo, à Pékin, au Caire ou à Accra. L'expérience peut aboutir à un consensus, mais celui-ci doit être fermement ancré et largement soutenu". Enfin, dans ce discours programme le Président de la banque a souligné les nouvelles priorités de son institution dans ce domaine et qui tournent autour d'une meilleure compréhension des conditions des transformations économiques, l'élargissement des opportunités, répondre aux vulnérabilités, une plus grande efficience des opérations de la Banque et une plus grande participation des acteurs du développement. Ce sont les grandes lignes d'un programme qui a pour objectif de démystifier l'économie du développement et de la démocratiser. Le discours du Président de la Banque est un évènement important dans la mesure où il annonce d'importantes transformations dans les principes mais aussi le contenu du programme de recherche de cette institution. Mais, ces transformations sont rendues nécessaires car cette institution n'a plus le monopole de la recherche et de la réflexion économique avec l'émergence d'autres centres de production du savoir, notamment en Afrique où la BAD, la CEA et la CUA et d'autres organisations de chercheurs, dont le Codesria de Dakar et Aerc de Nairobi, comptent bien rivaliser avec la banque et ramener la création du savoir sur l'Afrique en Afrique. * Hakim Ben Hammouda est économiste et directeur de division à l'OMC Il a reçu en 2007 à Indianapolis le prix Alan-Powell pour sa contribution à la réflexion sur le commerce et l'économie internationale. Ce prix annuel représente la plus haute distinction de la discipline. C'est la première fois qu'il est remporté par un chercheur originaire d'un pays en développement. Hakimbenhammouda.typepad.com