Gestuelle texturée, danses agencées, chorégraphie sublime, sons captivants et nostalgiques et décor simple mais ingénieux, le spectacle “Chouf Ouchouf” a encore réussi à séduire, cette fois une audience londonienne exigeante, tant l'offre est multiple sur les scènes de la capitale britannique. “Chouf Ouchouf” (Regarde et regarde encore), dernier spectacle des douze membres du Groupe acrobatique de Tanger, dirigée par Sana El Kamouni, est un véritable métissage entre la pratique acrobatique marocaine ancestrale et une vision du théâtre aussi moderne qu'universelle du duo suisse Martin Zimmerman et Dimitri de Perrot. C'est une reproduction des multiples facettes d'une vie, ou des vies, marocaine(s) représentées à travers des personnages simples et différents mais dont l'histoire de tout un chacun porte sa pièce à ce merveilleux édifice, cette mosaïque parfaite d'une expérience collective. On y trouve le fonctionnaire envahi par une vague de papiers, harcelé par une foule à la quête d'un document précieux, la femme voilée, le costaud fier de son corps imposant, le frimeur aux lunettes et aux fringues coûteux, les jeunes au coin de la rue, le vendeur ambulant habile et précautionneux. Tout se passe à la ville paisible du Détroit où tout d'un coup s'enchevêtrent toute sorte d'activités dans une effervescence vertigineuse pour s'immobiliser brusquement, prenant le temps qu'il faut pour savourer l'instant. Les membres de la compagnie, acrobates et professionnels du cirque, ont su convertir avec excellence la mise en scène ingénieuse des artistes suisses en une performance théâtrale acrobatique et artistique millimétrée. Et alors que la vision se laisse emporter par ces mouvements, l'ouïe se perd dans le paradis musical pour lequel on a puisé avec beaucoup d'adresse dans le riche répertoire des sommités de la chanson populaire, Nass El Ghiouane, Lmchaheb et Jil Jilala. Younes Hammich, chef de la troupe, s'en donne à cœur joie. Ce jeune, dont la famille a excellé en art de l'acrobatie, légué de père en fils depuis une dizaine de générations, représente le repère et le modèle pour le groupe. Younes, qui avait remporté, aux côtés de son père, plusieurs médailles dans des compétitions internationales à la fin des années 80, voit en cette rencontre avec Zimmermann et de Perrot une occasion pour parfaire les compétences de son groupe et aiguiser le talent de ses membres. “Notre expérience avec Zimmermann et de Perrot, et avant eux le metteur en scène français Aurélien Bory, a grandement contribué à la perfection des talents de notre groupe”, avoue Younes, pour qui seul le concours des autorités marocaines donnerait à la compagnie “le coup de pouce tant souhaité”. De son côté, de Perrot affirme que le fait pour la pair suisse de se lancer dans une aventure avec une culture “inconnues pour nous” a donné ses fruits grâce “au sens d'humanité et aux manières ouvertes et chaleureuses” de la troupe marocaine. C'est également “les capacités techniques et physiques et le savoir-faire des jeunes acrobates qui nous ont encouragé à se lancer dans cette entreprise”, nous confie le duo, qui estime que “Chouf Ouchouf” est une “référence à la vie quotidienne de tout un chacun”. “Chouf Ouchouf”, c'est “un grand secret”, indique Martin Zimmerman. “Le spectacle représente les secrets, la culture, les rêves et les envies qu'on porte en nous. Chouf Ouchouf tient tout cela en soi, tous ces secrets qu'on garde pour nous et qu'on découvre parfois, qui s'ouvrent, qui se montrent et qui se recachent encore”. L'imposant Queen Elizabeth II Hall sur le somptueux Southbank, rive sud de la Tamise, a fait salle comble pour l'ouverture de ce spectacle qui a tenu ses promesses. Appâtée, l'assistance a été généreuse: une ovation de près de dix minutes. Le spectacle se poursuit jusqu'au 25 avril. Aziz Rami (MAP)