La crise financière en Irlande s'est étendue au Portugal, puis à l'Espagne, obligeant l'Union européenne à épuiser le fonds de 750 milliards d'euros constitué pour soutenir les Etats de la zone euro en difficulté. Les 16 membres de la zone sont essorés par les mesures d'austérité, le soutien populaire à la monnaie unique s'effrite et les contribuables allemands manifestent leur agacement face à cette série de plans de sauvetage coûteux. Au final, un ou plusieurs pays décident ou sont contraints de renoncer à l'euro et de revenir à la devise nationale utilisée avant de lier leur destin à celui de l'Europe économique et monétaire. Inimaginable il y a quelques semaines, ce scénario fait son chemin chez un nombre, certes encore réduit, mais croissant d'experts, au cas où les dirigeants de l'UE ne parviendraient pas à s'unir autour d'une stratégie forte pour sauver l'euro et à répondre aux inquiétudes des investisseurs sur leurs déséquilibres. Jusqu'à présent, ces prédictions étaient l'apanage des eurosceptiques anglo-saxons qui considéraient la monnaie unique et la politique monétaire commune vouées à l'échec. Cet été, l'économiste de Capital Economics Christopher Smallwood a produit une note de 20 pages intitulée “Pourquoi la zone euro doit éclater”, et l'américain Nouriel Roubini, dit “M. Chaos”, a prédit la sortie forcée de certains pays de la zone. Grèce, Irlande, pas les derniers Mais avec la seconde vague de la crise souveraine, partie d'Irlande et qui menace désormais Lisbonne et Madrid, le doute progresse. La zone euro, estiment les sceptiques, pourra difficilement conserver sa forme actuelle. L'éditorialiste du Financial Times Gideon Rachman voit l'Allemagne ouvrir la première brèche si le mécontentement de l'opinion grandit ou si elle échoue à convaincre ses partenaires de soutenir son idée d'un nouveau mécanisme permanent de soutien. Des universitaires ont contesté en justice la participation de Berlin au plan de sauvetage de la Grèce et s'ils obtiennent gain de cause, cela pourrait être dévastateur pour la zone euro. D'autres imaginent une division entre deux zones “Euro-Nord” et “Euro-Sud” si les divergences se creusent entre les membres stables de la zone et ceux qui sont affligés par la dette. Et d'aucuns voient l'Allemagne impulser la sortie de pays tels que la Grèce dont elle pense qu'ils n'auraient jamais dû être membres de la zone euro. “Je ne pense pas que nous assisterons à un éclatement de l'euro et à un retour de l'Allemagne au deutschemark, mais ce qui nous pourrions voir naître est une zone euro plus homogène, purgée de ses éléments les plus faibles”, observe Domenico Lombardi, ancien membre du comité directeur du FMI. Ces voix restent toutefois minoritaires. La sensibilité du sujet et l'ampleur des investissements, la volonté politique, la douleur et la complexité d'une sortie de l'euro sont, selon la plupart des responsables politiques européens, autant d'arguments pour la stabilité. Ils invoquent en outre la résistance de l'euro, qui reste fort malgré les 6% cédés au dollar en trois semaines. Le président de la Bundesbank Axel Weber a assuré mercredi qu'il n'y avait “pas de retour en arrière” possible, expliquant que les Etats devront seulement apporter plus d'argent si les 750 milliards d'euros déjà prévus s'avéraient ne pas suffire. “A mon avis, pendant quelques années, les dirigeants vont faire tout ce qu'ils peuvent pour sauver (l'euro)”, dit Katinka Barysch, vice-directeur du Centre pour la réforme européen. Pour Jacob Funk Kirkegaard, de l'Institut d'économie internationale de Washington, l'éclatement reste “impensable” et la réponse à la crise serait autrement plus drastique si ce risque existait vraiment. “Avant que l'Espagne soit en faillite ou puisse mettre l'euro en danger, on verrait la BCE imprimer des billets de 500 euros et les jeter d'hélicoptères”, dit-il. Quoi qu'il en soit, les récentes turbulences ont montré que les “mesures chocs” ne rassureront sans doute pas les marchés à long terme, les investisseurs déplorant une compétitivité en berne en l'absence de politiques budgétaires plus étroitement coordonnées. Or l'intégration plus profonde se heurte à l'Allemagne, qui insiste plutôt sur la mise en oeuvre de mesures d'austérité et de réformes structurelles douloureuses pour améliorer la productivité dans les pays périphériques. La Grèce, l'Irlande et le Portugal ont emprunté cette voie mais beaucoup redoutent qu'à terme, elle ne s'avère néfaste et fasse réapparaître de forts déséquilibres au sein du bloc. “C'est une crise systémique qui appelle une réponse systémique mais nous ne l'avons pas vue pour l'instant. On la traite pays par pays, d'abord la Grèce, maintenant l'Irlande, et vous pouvez être sûrs que ce ne seront pas les derniers”, prévient Lombardi.