Nous avons réalisé un entretien avec M. Mustapha Jlok, anthropologue et chercheur à l'Institut royal de la culture amazighe du Maroc (IRCAM). En voici la teneur : 1- Pour commencer, je vous demande de vous présenter à nos lecteurs. Réponse : Je dirai tout simplement que je suis né à Ighrem n Igulmimn (Goulmima) pendant l'époque tumultueuse dans le sud-est (les années du plomb comme on a l'habitude de l'appeler). J'avais suivi mes études au Lycée Ghriss avant qu'il change de nom, puis mes études universitaires en Anthropologie à l'Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine, ensuite à l'Université Francophone Senghor. J'ai assuré ma fonction de Conservateur à Ouarzazate puis à la Direction du Patrimoine Culturel à Rabat. Actuellement, je suis conservateur-chercheur à l'IRCAM. 2- En tant qu'anthropologue, quel bilan faites-vous des études réalisées sur le patrimoine amazighe au Maroc ? Réponse : Dresser le bilan des études réalisées sur le patrimoine amazighe est un travail de longue haleine vu la richesse des travaux à ce sujet. La date charnière entre deux époques distinctes est, sans aucun doute, l'indépendance. Paradoxalement, c'est durant l'époque du protectorat que la majorité des travaux considérés comme des références dans le domaine des études amazighes a été réalisée. Je mets de côté les préjugés et les raisons idéologiques qui caractérisent ces écrits (chaque chose doit être mise dans son contexte pour être mieux comprise), et je dirai que la valeur informationnelle des travaux de cette époque est inestimable. Les chercheurs actuels ne cessent d'opérer des allers-retours entre leur propre recherche et celle des prédécesseurs. Certains domaines ne sont actuellement connus que grâce à ces écrits. Je songe aux travaux de Laoust, Justinard, Montagne, Adam, Dj. Jacques-Meunié, Basset, Galand, Michaux-Bellaire, Marcy …. Il faut dire que le côté immatériel du patrimoine culturel amazighe est le plus étudié : langue, conte, légende, chants, devinette, us et coutumes, rites, etc. L'aspect matériel l'est moins. Cette tendance a d'ailleurs marqué les études qui sont venues après. Les études sur la langue et sur la littérature ont prévalu dans le champ des réalisations. Par contre l'aspect matériel de la culture au coté du symbolisme souffrent d'une carence au niveau de la recherche académique. Essayez de lancer un appel pour une contribution dans l'un ou l'autre aspect pour évaluer cet état de fait. A mon avis, la recherche dans ce domaine (le matériel, l'art et le symbolisme) doit être une priorité. 3- Quelle place accordez-vous au patrimoine matériel amazigh au sein de l'identité nationale? Réponse : Je crois que, pour répondre à votre question sur la relation patrimoine-identité, il faut d'abord définir nos rapports au patrimoine. J'ai dit rapports au pluriel parce qu'il y en a plusieurs. Ce sont ces rapports qui révèlent nos pensées et nos préjugés à son égard. Lorsqu'un pays, ou une communauté, définit, donc inventorie, ce qu'il juge être son patrimoine, il opère par là une sélection d'éléments qui sont, en fait, des marqueurs d'identité. C'est le stade le plus critique de la politique culturelle d'un Etat. Ce que l'on sélectionne ou que l'on rejette, ce que l'on exhibe avec empressement ou que l'on finit par accepter après moult hésitations, traduit les fondements idéologiques de la politique culturel d'un pays ainsi que ses visions esthétiques. Ceci est important pour comprendre la situation de l'amazighe au sein de la culture marocaine. Il est vrai que nous avons effleuré les destructions éradicatrices des formes patrimoniales amazighes dans la plupart des cas. Il est vrai aussi que le patrimoine amazighe, même vilipendé, est incontournable et surtout essentiel pour la promotion touristique. Les éléments qui servent à marquer la spécificité de l'image du Maroc à l'étranger sont, en grande partie, d'essence amazighe. Malheureusement, et je l'ai dit auparavant, le patrimoine amazighe est perçu comme une source de richesse et non pas une richesse en soi. Certaines formes sont remises en scène pour répondre à des demandes circonstancielles au lieu qu'elles soient inscrites dans une politique culturelle juste et équitable. Je crois, donc, qu'une redistribution des rôles et des fonctions des éléments du patrimoine s'impose et ce dans le respect total de la diversité culturelle du pays et du droit d'accès d'une population donnée à son patrimoine sans oublier le principe de l'égalité des chances pour les différentes composantes. Sinon, le reste est littérature comme l'avait dit Mouloud Mammeri. 4- Comment définissez-vous le patrimoine immatériel ? Réponse : J'appréhenderai la notion du patrimoine culturel immatériel de deux angles. Le premier est la définition « officielle » de l'UNESCO dans la Convention pour la Sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel de 2003 à partir de laquelle nous pouvons limiter les domaines d'application de l'immatérialité du patrimoine aux catégories suivantes : * Les traditions et expressions orales ainsi que la langue ; * Les pratiques sociales, rites, rituels, art culinaire et événements festifs ; * Les arts du spectacle ; * Les connaissances, pratiques et comportements qui concernent la nature et l'environnement ; * Les savoir-faire liés aux techniques et à l'artisanat traditionnel. Il faut noter que le patrimoine matériel porte en lui-même un sens immatériel. En effet, à travers ses significations symboliques et métaphoriques, l'objet matériel véhicule une autre signification fonctionnelle ou symbolique qui reflète son histoire et sa portée ; c'est une signification qui relève de l'intellect, de l'abstrait. Le second est d'ordre affectif, donc subjectif, que j'ai emprunté à Benedict Anderson. Le patrimoine culturel immatériel, tout comme le matériel, est ce qui empêche de mourir, non pas physiquement, mais symboliquement. Ce qui atteste de ton existence dans un temps et un espace donnés. Cette approche lie profondément le patrimoine à l'identité de la personne ou du groupe. 5- Que proposez-vous pour sa sauvegarde et sa pérennisation ? Réponse : Je crois que cette question doit être adressée aux acteurs nationaux et internationaux opérant dans le domaine du patrimoine. Et ils sont nombreux, trop même à mon humble avis. Tout le monde y intervient à tel point que dans certains cas nous ne savons pas qui fait quoi et qui doit le faire ? Dans toute démocratie qui se respecte, les valeurs universelles telles qu'elles sont définies dans les littératures des conventions et des déclarations doivent être la base philosophique de la rédaction de notre politique culturelle tout en prenant en considération la spécificité de notre pays. Si je dois émettre un quelconque avis, je crois que le ministère de tutelle est appelé à reprendre en main l'idée des Trésors Humains Vivants et à valoriser les porteurs de traditions. Ceci doit être inscrit dans une stratégie globale de préservation et de valorisation du patrimoine culturel dans toutes ses formes et composantes et que le département qui en aura la charge bénéficie de plus de moyens et surtout de pouvoir décisionnel (pourquoi pas une agence à l'instar de la Tunisie ?) 6- Où se situe, selon vous, la spécificité du patrimoine marocain? Réponse : Toute culture est spécifique. La culture marocaine l'est essentiellement par le fait qu'elle est une construction portée par un processus dynamique qui ne la soustrait pas de son authenticité. Disons qu'elle présente une certaine complexité : changeante, dynamique et traditionnelle à la fois. Elle prend aussi des configurations différentes selon l'espace, le temps et les individus. Je dirai, enfin, qu'elle est d'essence amazighe. Ce fond original a servi d'aimant pour les apports ultérieurs sans distinction. 7- Etes-vous optimiste pour l'avenir de l'amazighité ? Réponse : Première évidence : non. Mais l'évidence première, selon Gaston Bachelard, n'est pas une vérité fondamentale. L'objectivité m'impose une autre lecture de l'avenir de l'amazighité, un avenir où la lueur d'espoir est portée par des jeunes imprégnés des droits humains et soucieux de transmettre leur héritage culturel et linguistique aux générations futures. Ce qui me fait peur est l'avenir de la langue amazighe dans le milieu urbain. 8- Votre dernier mot. Réponse : Je souhaite pour la culture marocaine en général et amazighe en particulier une politique culturelle qui prône l'idée du continuum anthropologique et civilisationnel et qui rompt avec une longue tradition politique de négation et de déphasage historique. Tanmmirt chigan. Maroc central : Poésie de la résistance Ces vers de poésie amazighe du Maroc central ont été composé par les résistants lors des opérations menées par la France au début du XX ème siècle. Ils constituent des documents authentiques, des témoignages édifiants sur un pan de notre histoire nationale peu étudié. Ces vers sont des moyens d'accès à notre mémoire collective, celle d'une résistance acharnée, souvent suicidaire, face à la machine de guerre coloniale. Les auteurs (aèdes) sont anonymes. Nous offrons à nos lecteurs un florilège de vers poétiques qui le renseignent sur les lieux et bourgades conquis, l'attitude des résistants et sur un ensemble de faits et d'informations pouvant l'aider à « relire » ou « reconstituer » un pan de notre histoire peu connu. Ainsi, de la prise du village de TOUNFIT (province de Khanifra), au milieu des années vingt du siècle passé l'aède nous dit : 1- A Tounfit llig ur da kkatn imddulla Ha lhakem gan am tenna ur ittudawan O Tounfit, parce que tes homes veules ont refusé de se battre Les Français se sont installés en toi comme un mal incurable La prise de Tounfit s'est fait avec la participation du Bataillon des Tirailleurs Sénégalais (BTS). Ecœuré, l'aède fustige les résistants qui ont déposé les armes : 2- A imsubbern awi ur digun tasa new A winna s kheddemnin i Saligan ku ssaât O gens soumis, vous êtes sans pitié pour moi Puisque vous êtes devenus serviteurs des Sénégalais. Refusant les travaux de corvée (appelé en amazighe et en dialectal marocain : Lkurfi) imposé par le colonisateur aux résistants et à la population soumis (aménagement de pistes, de rigoles ;;;), l'aède, rebelle, affirme : 3- Meqqar da nessutur ur igi lâar Ur da herrigh lberwita ad i bbint ifassen Nous mendions, mais c'est sans honte Du moins ne poussons-nous la brouette qui lacère nos mains. Et nous donne une image des jeunes exécutant la corvée : 4 - Ufigh d tiâurma tusi d igelzam Da tqqaz abrid ini tt ugedrur J'ai rencontré de vaillants jeunes gens qui maniaient la pioche Ils creusaient la piste dans un nuage de poussière. La prise de la Zaouiat Sidi Yahya ou Youssef (Tounfit) par le colonisateur a aussi fait l'objet d'un témoignage de l'aède qui dit : 5- Gan irumin g Zzawit ahidus Allig ur ufigh mani kkigh ad d nzur Les Chrétiens ont dansé la Zaouiat Sidi Yahya Point de passage pour faire mes dévotions au Saint. Par : M. M TIMIZART N TMURT IW Villages de mon pays Par : Ouyoussi Cette rubrique a pour objectif d'apporter aux lecteurs de cette page des explications sur la signification de certains toponymes amazighs du Maroc. Elle les aidera à mieux apprécier leur pays et ses villages, à comprendre les motifs de leurs dénominations. Le toponyme étant une trace linguistique, une indication qui nous informe sur la relation qu'entretient l'homme avec son environnement. Les lecteurs, évidemment, peuvent apporter leurs contributions et leurs propositions s'ils le souhaitent. Les explications données se base sur la tradition orale et sur des faits linguistiques. Mais la rubrique ne prétend pas apporter de vérité immuable. Les exemples : Ouzoud / Imouzzar : ce toponyme amazighe désigné les fameuses cascades situées dans la province d'Azilal (Wilaya de Beni Mellal). Pour accéder à cette site visité par les nationaux et les touristes, on peut emprunter plusieurs routes : venant de Marrakech, on passe par El Attaouia et Tanant, puis on vire à droite en direction d'Azilal. On peut prendre la route de Beni Mellal en direction d'Afourer ou du village des Ait Attab. Sinon, on prend la route qui mène de Beni Mellal à Marrakech et on vire à gauche à partir de Bzou. En fait Ouzoud signifie les «moulins» à eaux. Car, au dessus de la cascade se trouve une dizaine de moulins «traditionnels» qui marchent à l'énergie hydraulique. Ouzoud vient du verbe Zedd (Moudre). Les cascades en amazighe a pour nom Imouzzar. C'est le nom d'une localité de la région d'Agadir : Imouzzar N Ida Outanae. Imouzzar vient du verbe Zouzzer : qui signifie vanner. C'est pour le toponyme l'eau qui «chute» pour former des cascades. Le même toponyme désigne la localité de Imouzzar Marmoucha dans la province de Boulemane. Produits multimédias amazighs Les progrès rapides dans le domaine des outils informatiques au cours de ces dernières années, et les évolutions récentes en matière de technologies de l'information et leurs implications dans le domaine de l'éducation ont conduit à un usage du multimédia, et plus généralement des technologies de l'information, de plus en plus importants dans le système éducatif. En fait, l'émergence du multimédia a fait de lui un outil supplémentaire au service de la pédagogie, il permet ainsi une meilleure ouverture de la langue et de la culture amazighe sur le monde. Les projets dans ce domaine essayent de conjuguer un contenu pédagogique adéquat au public ciblé et une présentation de l'information sous une forme interactive, simple à utiliser et qui offre un maximum d'indépendance à l'utilisateur, afin d'essayer de satisfaire un besoin existant en produisant des supports magnétiques conçus pour l'apprentissage de la langue amazighe. En effet, le support multimédia conjugue l'interactivité et l'attrait visuel, et offre ainsi un nouveau potentiel en matière d'information. La transposition de l'information sur ces supports présente plusieurs avantages par rapport aux méthodes traditionnels comme la facilité d'utilisation, l'autonomie de l'utilisateur, l'interactivité et l'aspect ludique. Dans ce contexte, le centre des études informatiques des systèmes d'informations et de communication (CEISIC- IRCAM) a édité deux produits multimédias. Le premier est un double CD contenant des informations sur la faune marocaine : CD1 sur les animaux (sauvages & domestiques), et CD2 sur les oiseaux et les insectes. C'est un produit entièrement en amazighe et en caractère Tifinaghe qui permettra à l'utilisateur de se familiariser avec la faune marocaine tout en apprenant la langue amazighe à son propre rythme à travers du texte, de la vidéo, de la voix et des images. Chaque CD est conçu selon une arborescence qui part de la page principale et passent par les différentes rubriques du CD jusqu'au choix de la matière à visualiser : image illustrée, vidéo ou audio. Dans chaque sous-menu, neuf (9) éléments de chaque catégorie de faune sont présentés. La navigation à travers les activités proposées par ce produit sont compréhensibles dès que l'utilisateur se trouve face à ce monde interactif, et l'essentiel de ce système de navigation est rapidement compris. Le deuxième produit réalisé est destiné principalement à l'enfant ou à toute personne désirant s'initier à l'apprentissage de l'amazighe, mais le principal obstacle pour les utilisateurs adultes est le look plutôt «jeunes publics» ou «enfantin» du CD. Intitulé « Ecole amazighe », ce CD–ROM facilite l'apprentissage de la langue amazighe, il présente plusieurs modules accessibles d'une page principale et traitant chacune, un thème particulier comme par exemple Les chiffres : cette rubrique initie l'apprenant à compter en amazighe. * L'alphabet : permet d'apprendre les lettres de l'alphabet Tifinaghe avec du texte (la graphie) et du son (sa prononciation). * Le calendrier amazighe : un moyen d'apprendre les noms de jours et les mois en amazighe. * L'imagier : c'est un mini dictionnaire illustratif en amazighe * Autres modules sont inclus (forêt, maisons, etc.), ils mettent en évidence la langue amazighe et le caractère Tifinaghe dans des éléments multimédias et montrent la fluidité exemplaire et prometteuse de cette ancienne langue… * Un ensemble d'exercices qui offre une meilleure compréhension des différents modules Ce CD-ROM présente un certain aspect ludique dans sa présentation et dans son contenu qui incite l'enfant à l'explorer d'une manière complète et facile dans l'objectif de centrer la simplicité et le plaisir d'utilisation. L'utilisateur est ainsi libre et autonome face à son apprentissage. Il aura une vision claire du contenu du CD-ROM et s'y familiarisera rapidement, il peut évoluer à son rythme et choisir l'activité qu'il désire. Il est donc indispensable que l'apprenant ait envie de s'investir dans le CD-ROM, celui-ci a pour tâche de faire progresser l'utilisateur dans son apprentissage et l'entretenir sur son travail en créant une ambiance agréable et animée. Acquitter la langue amazighe des moyens technologiques, et des outils pédagogiques et didactiques assurera la transmission de notre culture et accompagnera l'introduction de l'amazighe au sein du système éducatif. Ce produit peut être utilisé dans l'enseignement afin d'offrir à l'élève et à l'enseignent un environnement éducatif, il permettra ainsi de renforcer l'enseignement traditionnel. Enfin, ces deux produits constituent une première réalisation de CEISIC en matière de supports didactiques multimédia portant sur l'apprentissage et la promotion de la langue amazighe. En fait c'est le premier chaînon de la série des supports multimédias qui promettent de voir le jour prochainement. Par : Ait ouguengay youssef