La médecine ayurvédique ou le yoga, inventés il y a des centaines d'années, inspirent aujourd'hui de nouvelles techniques médicales, de nouveaux médicaments. L'Inde est décidée à faire respecter ses droits en matière de brevets. Les nations émergentes sont des économies en transition, avec des infrastructures encore limitées, et avec des accès à la connaissance mondiale encore restreints. L'Inde, la Chine, la Corée du sud posent chaque jour davantage ces questions de l'accès à ces connaissances mais aussi de leur production. Cette production alimentera en retour l'économie de la connaissance en même temps qu'elle amplifiera le développement de chacune de ces nations émergentes. La constitution de TKDL, la banque de données de la médecine traditionnelle indienne, fait partie de cet effort. De quoi s'agit-il? L'Inde dispose d'un héritage médical très riche, qu'elle a créé ou assimilé au cours des siècle: l'ayurveda, le siddha, l'unani et aussi le yoga sont des systèmes médicaux fondés sur l'utilisation de plantes, des méthodes thérapeutiques originales, des exercices corporels, codifiés depuis des milliers d'années par des textes anciens. On y décrit des centaines de milliers de formules médicales, dont on détaille la préparation, l'usage, la posologie. DU SANSCRIT AU JAPONAIS Ces textes sont en sanscrit, en arabe, en ourdou, en perse, en tamoul. Ils sont publiés depuis longtemps, mais ils ne sont pas pour autant accessibles à tous, du fait des langues utilisées et de leur formulation. Ils ne sont pas accessibles en particulier aux responsables des bureaux de brevets dans le monde et ce problème d'accès à la connaissance a fait qu'un nombre très important de licences ont été accordés à des entreprises multinationales pour des médicaments ou des pratiques médicales qui sont en fait sortis tout droit des médecines traditionnelles indiennes. C'est ce que l'on peut appeler le "bio-piratage". C'est pour mettre fin à ce piratage que nous avons lancé dès 2001, il y a bientôt dix ans, la collecte et la numérisation de cette connaissance traditionnelle pour la stocker dans la bibliothèque numérique TKDL (Traditionnal Knowledge Digital Library). Pendant toute cette période, quelques 150 personnes en moyenne ont travaillé à cette tâche. Cette base de données n'est pas un but en soi mais un outil permettant de conclure des accords avec les différents bureaux de brevets, en Europe, en Allemagne, en France, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, et bientôt au Canada. La librairie est disponible pour ceux qui travaillent à cette labellisation et qui peuvent donc vérifier l'originalité des brevets qui leur sont soumis et empêcher qu'ils soient en fait le démarquage de connaissances existantes ailleurs dans le monde. Nous avons déjà réussi, grâce à ces accords, à suspendre ou annuler l'attribution dans plusieurs pays du monde de brevets illégitimes sur des traitements à base de curcuma ou de fruits du margousier. Le travail n'a pas été simple. Il fallait convertir des textes écrits dans les langues locales que j'ai mentionnées (sanscrit, tamoul, arabe, persan, etc...) en langues internationales, au nombre de cinq : anglais, japonais, français, espagnol, allemand. Il fallait donc une expertise linguistique -passer du sanscrit au japonais n'est pas tâche aisée-, mais aussi une expertise en médecine traditionnelle comme en médecine moderne, sans parler des compétences en informatique. Donc une combinaison extrêmement complexe de savoir-faire. PLUS DE 30 MILLIONS DE PAGES Ces langues anciennes, créées il y a des milliers d'années, ont bien sûr des structures linguistiques très éloignées des cinq langues de référence. Et encore plus des codifications techniques utilisées par les organismes de brevets. Il fallait donc franchir ces distances linguistiques et casser les barrières des formats pour rendre les données intelligibles pour ceux qui travaillent sur les brevets. Plus de 200.000 formules médicales (plus de 100.000 provenant de l'unani, plus de 80.000 de la médecine ayurvédique) ont été ainsi enregistrées. Au total, plus de 30 millions de pages. Plusieurs centaines de postures de yoga ont été référencées. Pour cela, nous avons procédé à la prise vidéo de plusieurs centaines d'asanas, les poses de yoga, et à leur stockage dans la base. Il ne s'agit bien sûr pas de gêner la pratique du yoga par des millions de gens dans le monde mais d'empêcher certains de revendiquer indûment la création de nouveaux styles et donc de prétendre à des droits financiers. Le travail n'est pas fini. D'une part, il nous faut poursuivre l'exploration des médecines traditionnelles, d'autre part nous souhaiterions pénétrer dans d'autres secteurs, comme l'architecture traditionnelle ou les techniques agricoles. L'Inde a un riche patrimoine traditionnel qui enrichit la connaissance mondiale. Cette approche n'est pas limitée à l'Inde. Nous savons que d'autres pays (l'Afrique du sud, Mongolie, la Malaisie, le Kenya, la Thailande), et certaines organisations régionales et internationales ont l'intention de monter des bases de données similaires à TKDL.