Les désagréments du Ramadan sont connus : employés qui somnolent ou peu disposés à accélérer le rythme, dirigeants aux abonnés absents, rendez-vous au compte-gouttes, visages ternes et nervosité à fleur de peau... Une simple observation du rythme de travail suffit pour se rendre compte que, durant ce mois de privation que nous allons incessamment attaquer, beaucoup se contentent d'assurer le service minimum. Comme chaque chose, le Ramadan a de bons côtés et des aspects moins agréables. Certains individus manquent de rentabilité et mettent leur lenteur sur le dos de ce mois sacré. Maux de tête, creux à l'estomac, besoin de nicotine, manque de sommeil, difficulté de transport… Tous ces facteurs peuvent justifier le ralentissement du rendement au travail durant ce mois sacré. Un phénomène qui atteint parfois des proportions qui suscitent l'interrogation. Pour certains, Ramadan rime avec repos et paresse. Certains salariés s'absentent comme bon leur semble, et l'on assiste aussi, c'est une autre tradition, au phénomène récurrent des horaires élastiques pour lesquels, bien sûr, toutes les excuses deviennent bonnes, point même n'étant besoin de citer des exemples que tout le monde connaît... A cause de cela aussi, le manque à gagner pour de nombreux patrons peut s'avérer important. L'activité économique se retrouve, un mois durant, victime d'un ralentissement considérable, même dans les administrations où le phénomène est beaucoup plus répandu. Même si les textes sacrés exhortent les musulmans de ne pas tomber dans le piège de la paresse, le changement des habitudes alimentaires et du climat du travail affecte le rendement. Certains préfèrent même aller travailler après la rupture du jeûne pour compenser le retard accumulé durant la journée. Arriver tôt au travail pour gagner du temps Le mois de Ramadan ne constitue pas forcément un handicap sur le plan professionnel. Certaines personnes arrivent un peu plus tard au travail, alors que le contraire est plus avantageux car on est plus disponible le matin, plus « frais », à condition de n'avoir pas veillé toute la nuit. Au-delà de ce mois et à long terme, il serait préférable de repenser l'organisation du temps de travail. Même en temps normal, la productivité baisse au-delà de 16 h 30. La raison en est que beaucoup de gens qui travaillent loin de chez eux ne font pas de réelle coupure entre midi et 14 heures, mangent mal, ne se reposent pas vraiment ou perdent toute leur énergie dans les transports en commun et autres taxis. La vraie question est de savoir si l'on ne pourrait pas adopter définitivement la journée continue. Certes, la journée de travail continue permet d'être actif plus longtemps mais après 14 heures, les salariés deviennent moins productifs. Ils s'arrangent donc pour terminer l'essentiel avant cette heure fatidique. Au-delà, ce sont plutôt les réunions, ou les problèmes à régler par téléphone qui prennent le pas...et encore. Il faut dire que l'absence de café et de cigarette pèse lourd sur la concentration. En effet, dans certains cas, la privation n'est qu'un prétexte pour lever le pied. En somme, la baisse de régime n'est pas une fatalité ; on peut jeûner et travailler correctement. Tout est question de conviction, mais aussi d'organisation. Comment pallier ce phénomène ? Peu de solutions existent, sinon aucune puisque beaucoup de chefs d'entreprises, eux-mêmes, mettent en veilleuse toute l'activité professionnelle et encouragent indirectement leur personnel à l'improductivité sous prétexte que c'est un mois où le travail est relégué au second plan. Tenir compte du Ramadan dans le programme de production Le fait d'abréger les soirées en famille ou entre amis et de prendre un repas aux aurores permet ainsi de rentrer au bureau un peu plus tôt et de s'y mettre quand on est encore frais. Encore faut-il que l'entreprise soit préparée. En effet, quel que soit le degré d'autonomie des uns et des autres, il est difficile de faire cavalier seul, sachant qu'il y a toujours des problèmes transversaux à résoudre. Dans un contexte particulier, il revient donc à l'entreprise de faire en sorte que le temps de travail soit optimisé. Quand on dirige une équipe, il n'y a pas que la productivité à gérer. Tout le monde sait que pendant Ramadan, les conflits individuels sont fréquents et nuisent à l'environnement de travail. Pour éviter ce genre de comportement, on peut songer à l'organisation d'événements culturels et de sensibilisation et ce afin d'améliorer le climat social de l'entreprise. Mais en l'absence de statistiques et de données chiffrées sur l'impact du mois de Ramadan sur l'activité économique, le seul constat que l'on puisse faire à ce sujet est qu'en ce mois de la « baraka » -qui signifie abondance et richesse - la consommation atteint son pic alors que la production stagne, sinon recule et redescend au plus bas niveau. Entretien avec le professeur Farid Hakkou La relation directe productivité-ramadan n'existe pas « Une bonne dose de sommeil et une bonne hygiène de vie suffisent à rester productif durant le ramadan ». Al Bayane : Les avis sont partagés sur l'effet réel du jeûne sur la productivité au travail. Quel est votre avis ? Farid Hakkou : A mon avis, il n'y a pas d'études sur le terrain efficace pour répondre à cela. Par contre ce qui a été clairement démontré, c'est le manque de vigilance, la baisse d'attention et l'irritabilité dues au manque de sommeil, constatées pendant le mois de ramadan. Ces facteurs sont un constat indirect de la baisse de productivité durant le ramadan. La relation directe productivité-ramadan n'existe pas. C'est une hygiène de vie déficiente durant le ramadan qui en est principalement la cause. On se goinfre comme pas possible, on veille tard, et après on se demande pourquoi on n'est pas en forme le lendemain… D'après une étude que vous avez réalisée, six marocains sur dix pensent que les horaires de travail ne sont pas vraiment adaptés au mode de vie du mois de Ramadan et que la rentabilité baisserait ainsi de moitié. C'est aussi grave que ça ? F.H : Effectivement, mais ce n'est pas vraiment une étude, mais plus des suppositions constatées dans le quotidien des marocains. Si vous me demandez, s'il faut la mesurer je vous donnerais à titre d'exemple une usine qui produit 100 boîtes de lait par jour. Durant le ramadan, elle ne produit que 60 boîtes par jour. La production baisse de presque la moitié à cause notamment du changement d'horaires mais aussi et principalement à cause d'étourderies, d'inattentions dues au manque de sommeil des ouvriers. Pensez-vous que travailler pendant le Ramadan sera plus difficile cette année en raison de la chaleur ? F.H : Ca c'est clair et net, mais même sans ramadan, la chaleur nous épuise, nous rend nonchalant. Rajoutez à cela le jeûne et les facteurs de difficultés cités plus haut vous obtiendrez un marocain faible, épuisé, irrité… Il ne faut cependant pas oublier que le corps humain à une grande capacité d'adaptation. C'est les premières semaines qui seront les plus difficiles à gérer, mais après le corps s'adapte à la chaleur, au rythme de vie, de travail. Il faut juste le ménager et lui donner du repos. Quels sont vos astuces et conseils pour rester efficace durant cette période ? F.H : Déjà premièrement et je mets un point d'honneur la dessus, Il faut bien s'hydrater. Boire beaucoup d'eau, autant d'eau que l'on peu. C'est essentiel. Deuxièmement, essayer de manger léger, varier les légumes et les crudités, espacer les repas. Et mon troisième conseil et non moins important, dormir convenablement. Eviter de veiller tard le soir et de se réveiller tard le lendemain. *président de l'association ramadan et chef de service de Pharmacologie à la faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca.