Le mois sacré de Ramadan est connu pour être un moment de grande lecture. Cet espace sera mis à profit pour revisiter l'Histoire du monde arabo-musulman, tout particulièrement l'époque qui a marqué son apologie. Ainsi, durant tout ce mois, nous mettrons à la disposition, de nos lecteurs des textes qui mettent en valeur les apports de savants arabo-musulmans au savoir universel. Nous entamons cette série d'articles par le grand philosophe, médecin et juriste arabe qu'est Averroes (Abu'l-Walïd Muhammad ibn Ahmad ibn Rushd). Averroes est un génie aux connaissances étendues. Il a partagé sa vie mouvementée entre l'Espagne et le Maroc en qualité de juge et de médecin. Il a été le grand commentateur de la philosophie d'Aristote dont l'influence pénétra les esprits y compris des théologiens chrétiens les plus conservateurs du Moyen Age comme Saint-Thomas-d'Aquin. On venait le voir en consultation aussi bien en médecine qu'en matière juridique. Sa vie De son nom Abu al-Walid Mohamed Ibn Ahmed Ibn Mohamed al-Andalusi, connu chez les Occidentaux comme Averroes est né à Cordoue en Espagne en 1126. La ville est alors un lieu d'intense activité intellectuelle. Sa famille était connue et respectée; son grand-père et son père avaient été grands cadis (magistrats) à Cordoue. Averroes acquit une formation solide, par des maîtres particuliers. Il commence par l'étude du Coran, de la grammaire, de la poésie, de l'écriture et des rudiments de calcul. Il est initié par son père qui était lui-même juge à Cordoue, à la jurisprudence musulmane, selon laquelle le religieux et le juridique ne se dissocient pas. Après une bonne formation religieuse, il étudia d'autres branches du savoir, la physique, l'astronomie, la médecine, les mathématiques. Il apprit la philosophie et le droit sous la direction d'Abu J'afar Haroon et d'Ibn Bajja, et la médecine sous celle d'Avenzoar. Médecin de princes influents il échappe pour un temps aux ennuis que lui valent ses prises de position philosophiques et son scepticisme religieux. Cela ne lui empêchera pas de goûter tour à tour au pouvoir en qualité de gouverneur de l'Andalousie, de réformateur de l'administration de la justice à Marrakech et au désagrément de la détention ou du dénuement. A l'âge de 27 ans, en 1153, Averroes s'est rendu à Marrakech, sur invitation du Calife Almohade Abdel-Moumen ben Ali pour des consultations relatives à l'établissement d'un certain nombre d'écoles au Maroc et la réforme de l'administration de la Justice. Il est retourné à Marrakech une deuxième fois où il fut présenté, par le philosophe et médecin Ibn Tofaïl, au Calife Ibn Yacoub Youssef qui lui confia, en 1169 la tâche d'expliquer la philosophie d'Aristote. Les nouveaux maîtres de Perse, d'Egypte, du Maghreb et d'Espagne rivalisaient dans le domaine du faste et de l'esprit. C'est en 929 que fut fondée Cordoue - le joyau du monde - dans laquelle fut constituée une bibliothèque comparable à celle qui jadis avait fait la réputation d'Alexandrie (plusieurs centaines de milliers de volumes). La médecine arabe est représentée à cette époque par les grandes écoles de Médecine Arabe ou de langue Arabe: - L'école de Bagdad avec les Bakhtishu et Yuhanna Ibn-Masawayh - L'école d'Ispahan avec Ibn Sina, - L'école de Shiraz avec Ibn Abbas Al Majusi, - l'école de Damas avec Al Baghdadi et Ibn Al Mutran - L'école au Caire illustrée par Ibn an Nafis et Ibn Abi Usaybia - L'école de Kairouan: avec le célèbre Ishaq Ibn Imran et Ibn Al Jazza - Les écoles de Cordoue, de Tolède, Séville, et de Saragosse connurent de grands médecins tels, les fameux Abulcassis, Avenzoar, Averroes. Cordoue Averroes était aussi compétent en matière de théologie que de droit ce qui lui valut d'occuper le poste de qaadi (magistrat chargé de dire le droit) à Séville, à l'âge de 44 ans, c'est à ce moment qu'il traduisit et résuma le livre d'Aristote “de Anima”. Deux années plus tard il se trouve à Cordoue dans sa ville natale où il restera 10 ans comme grand qaadi de la ville. C'est pendant cette période qu'il écrira les commentaires d'Aristote. Mais il était également intéressé par la philosophie et la logique. C'est ainsi qu'il essaya de reconcilier la philosophie et la religion dans ses travaux de réflexion. Il est rappelé en 1182 par Abu Yacoub qui en fit son médecin personnel, en remplacement d'Ibn Tofaïl, puis à nouveau magistrat à Cordoue. A la mort du Calife Abu Yacoub, Abu Youssef Yacoub, fils de ce dernier et son successeur, prit Ibn Roshd sous son égide, mais accablé par certains savants, en raison de ses idées audacieuses, Averroes fut condamné en son temps par les tenants d'une orthodoxie religieuse étroite de la religion musulmane qui lui reprochait de déformer les préceptes de la foi. Ses livres furent brûlés, à l'exception des ouvrages médicaux et astronomiques. Averroes tombe en disgrâce vers 1195, il doit fuir, se cacher, vivre dans la clandestinité écarté de son travail. Rappelé à Marakkech au Maroc, il est emprisonné. Il connaît toutefois un retour en grâce peu avant sa mort à Marrakech (Maroc) qui survient le 12 décembre 1198. Ses cendres seront ramenées à Cordoue. Contributions scientiques d'Averroes Un examen attentif de ses travaux médicaux et philosophiques montre qu'Averroes était un homme profondément religieux ayant une bonne connaissance du Coran et des traditions enseignées par le Prophète auxquelles il fait souvent référence. Ainsi on trouve dans ses écrits cette phrase: “Quiconque étudie l'anatomie augmente sa foi dans l'omnipotence et l'unité de Dieu Tout Puissant”. Averroes philosophe fut avant tout praticien et théoricien de la médecine et du droit. Il aurait écrit 78 livres sur différents sujets. En tant que médecin • Averroes était un médecin porté sur la recherche, l'analyse et le traitement des maladies, bien qu'il ait eu un plus grand penchant pour la recherche et l'étude. Son œuvre médicale la plus connue est “Kitab Al-Kulliyate fil-Tibb” (“Livre de Médecine Universelle”). Ecrit avant 1162, cet ouvrage fut traduit en latin par Bonacosa en 1255, sous le titre de «Colliget»,et en hébreu. Il fut publié en 1482 et en 1560 à Venise, il fût enseigné officiellement dans les Facultés et écoles de Médecine occidentales jusqu'au XVIIe et XVIIIe siècles. Ce n'est qu'en 1984 que le texte arabe a été imprimé à New Delhi. En 1989, le Conseil supérieur algérien de la Culture, en coopération avec l'Union internationale des Académies, a procédé à la publication «d'Al-Kulliyate», après authentification et commentaire par les Dr Saïd Chibane et Ammar al-Talibi. Il est composé de sept livres, comporte une belle introduction à la Physiologie. Il y exprime son adhésion à la médecine scientifique héritée des grecs qu'il faut concilier avec l'ensemble des traditions rassemblant les pratiques et les conseils du Prophète en matière de soins. Il souligne, en outre, la nécessité de s'appuyer sur l'observation et l'expérimentation, d'avoir une connaissance globale de tout ce que la science naturelle a accumulé au plan de la dissection et de la fonction des membres. La consultation entre médecins qu'il a prônée est un apport notable à la médecine. -1 - Tashrih al-a'lda' : De Anatomia. (Anatomie des organes) - Averroès s'intéresse à l'anatomie. Il traite de 7 paires de nerfs crâniens, il décrit les nerfs rachidiens et leurs territoires d'innervation, les 4 citernes cérébrales ainsi que 2 méninges. - Averroès, dans le Colliget, se range clairement derrière Aristote et il fait du cœur le siège de la virtus cibavita et de la sensibilité générale, en réfutant les arguments anatomiques qui pouvaient être avancés. - Outre ses fonctions motrices, il reconnaît au cerveau les capacités d'imagination, de réflexion, de mémorisation (mémoire d'évocation et de fixation) - Il découvre que l'organe sensible de l'œil est la rétine, et annonça parmi les premiers que la rétine reçoit la lumière. -2 - al-Sihha : De Sanitate, &, de Complexione. (Santé et Physiologie) - Lorsqu'on a eu la chance de guérir d'une variole, il aboutit à la conclusion que la variole ne touche le malade qu'une seule fois. -3 - al-Marad : De Aegritisdinibus, & accientisbus. (Maladies et accidents) - Réponses ou conseils touchant la diarrhée - Commentaire moyen sur le “De febribus” (Des fièvres) de Galien - Commentaire du “De temperamentis” de Galien - De spermate (Du sperme) - Questions sur la fièvre intermittente - Sur les fièvres putrides - La rage est due à la maladie du chien atteint de la rage. - Il souscrit, en outre, à la proposition d'Ibn Sina sur la transmission héréditaire, de père en fils, de certaines maladies. -4 - al-'Alamat : De Signis Saenitum, & Aegritudinum. (Symptômes) - Averroes a décrit une multitude de maladies, ainsi que leurs symptômes et leurs complications. Il a traité, en outre, des manifestations psychiques, telles que la colère, la tristesse, l'anxiété et l'épilepsie. -5 - al-Adwiya wa ‘l-aghdhiya De Cibis, & Medicinis. (Médicaments et nourriture) - Averroes estimait qu'une alimentation saine, une eau propre et un air pur sont les garants d'une bonne santé. Il considérait que les médicaments constituent une matière étrangère au corps, nuisible au fonctionnement de certains organes en raison de leurs diverses incidences, en particulier sur le foie et les reins, dont les fonctions visent à éliminer les poisons du corps - “En médecine il y a d'abord la parole, ensuite il y a l'herbe, ensuite il y a le bistouri”. - La chair de vipère et les herbes médicinales faisaient partie des ingrédients de base qui entraient dans la composition des médicaments. -6 - Hifz al-sihha : De Redimine sanitatis. (Hygiène) - Averroès est l'auteur de la première ébauche de description du sarcopte de la gale. -7 - Shifa al-amrad : De aegritudi num Curatione, seu Ingenio sanitatis. (Thérapie) - Il s'est intéressé également à la thérapeutique médicale, consacrant une bonne partie de son ouvrage «Al-Kulliyate» aux différents types d'aliments et de remèdes et à leurs effets, tout en fixant les bases à suivre pour déterminer les posologies. Autres traités médicaux • «al-Tiryaq» (Les antidotes). Dans cet ouvrage, Averroes détermine les maladies pouvant être soignées avec des antidotes, définissant l'étiologie de ces maladies et les méthodes d'utilisation des antidotes. • «Exégèse de l'Arjouza d'Ibn Sina sur la médecine». • Averroes a également écrit des commentaires sur divers écrits de Galien «al-Ilal wal-Amradd» (Affections et maladies) et sur un poème médical d'Avicenne. En tant qu'astronome • Averroes a élaboré un traité d'Astronomie: “Kitab fi-Harakat al-Falak”, sur le mouvement des sphères et des étoiles, abrégé d'astronomie à partir de l'Almageste de Ptolémée (90-168). En tant que juriste. • De la même époque que le “Kitab Al-Kulliyat”, date le “Bidayat al-Mujtahid wa-Nihayat-al-Muqtasid”, ouvrage consacré à des questions discutées en matière de fiqh (droit, au sens musulman, selon lequel le religieux et le juridique ne se dissocient pas), ce qui lui valut une certaine réputation en ce domaine. (A suivre)