Yassine Zegzouti, chargé de recherches à la Fondation Konrad-Adenauer Propos recueillis par Zin El Abidine TAIMOURI – MAP Le Docteur en biotechnologie et sciences de l'environnement, et chargé de recherches – Programme régional de la sécurité énergétique et changements climatiques – à la Fondation Konrad-Adenauer, a accordé un entretien à la MAP, sur le nouveau programme d'investissement vert du groupe OCP présenté récemment devant SM le Roi Mohammed VI, et ses implications sur la trajectoire de développement durable engagée par le Royaume depuis plus d'une décennie. Le Groupe OCP s'apprête à lancer un nouveau programme d'investissement vert. Quelles sont vos premières impressions ? Cette initiative est pertinente et opportune car elle constitue la suite logique de tous les efforts qui ont été déployés par le groupe OCP pour placer le développement durable au cœur de sa stratégie. Ces efforts vont baliser le terrain pour garantir une réussite pour ce nouveau programme d'investissement vert. Le nouveau Programme marque également la volonté de passer des promesses aux actes pour lutter contre le changement climatique. D'ailleurs, l'un des objectifs de la dernière COP27, est bien la mise en œuvre des engagements climatiques. Ce plan s'aligne donc parfaitement avec cette dynamique internationale ce qui va davantage renforcer et soutenir les efforts du Maroc pour honorer ses engagements soumis dans les Contributions Déterminées au niveau National (CDN) en matière de transition vers les énergies vertes et l'économie décarbonée. En outre, la production industrielle marocaine devra se conformer aux nouvelles mesures européennes relevant du Pact vert (Green-deal) dont essentiellement la taxe carbone aux frontières afin d'assurer sa décarbonation et son positionnement par rapport aux activités de l'export. Pour ce faire, l'industrie marocaine sera amenée à mener une transition progressive zéro carbone. A cet effet, l'investissement de l'OCP dans le solaire et l'éolien pour alimenter l'ensemble de son outil industriel en énergie verte d'ici 2027 devra inspirer d'autres industriels nationaux à recourir à ce choix et donc rendre leurs processus de production plus propre tout en s'approvisionnant en énergie électriques vertes issues des énergies renouvelables. Le Groupe OCP pourra également partager avec les différents industriels marocains les défis les plus importants rencontrés lors de la mise en œuvre de ce nouveau Programme. Le contexte actuel pose au Maroc de nombreux défis, notamment en matière d'approvisionnement. Le temps est-il venu pour nous de prétendre à une croissance verte ? La majorité des pays du monde ont souffert des conséquences de la pandémie de COVID-19. Cette souffrance a été accentuée par la crise entre la Russie et l'Ukraine. Ce contexte sans précédent constitue un sérieux défi à court terme, mais il offre au Maroc l'opportunité de concentrer ses efforts sur la conception d'une stratégie de croissance économique qui favorisera la résilience à long terme. En effet, la croissance verte est une approche stratégique qui peut soutenir cet objectif. La mise en œuvre d'une telle stratégie part du principe que l'économie doit continuer à progresser, mais sans conséquences négatives à l'environnement, c'est-à-dire la possibilité que la croissance économique, mesurée par le PIB, soit corrélée avec une diminution de la consommation de ressources et des impacts environnementaux. D'un point de vue scientifique, la question de savoir si un tel découplage est réaliste est toutefois controversée. Le découplage absolu n'a pratiquement jamais été observé de manière empirique, et s'il l'est, ce n'est que sur des périodes de temps clairement limitées. C'est pourquoi certains chercheurs doutent que la « croissance verte » soit possible à long terme. Il s'agit probablement d'un objectif peu réaliste face auquel les décideurs politiques devraient envisager des stratégies alternatives. Malgré cela, la mise en œuvre d'une approche multisectorielle de développement vert ou d'une stratégie de croissance verte au Maroc qui s'aligne à la fois avec le Programme de développement durable 2030 et avec les contributions déterminées au niveau national (NDC) du Maroc dans le cadre de l'accord de Paris sur le changement climatique de 2015 peut également donner un nouvel élan aux autres stratégies et programmes nationaux déjà établis. Ce programme se pose des ambitions socio-économiques en termes d'emploi et d'accompagnement des PME. Quelles seraient, selon-vous, son implication sur la dynamique économique globale du Royaume ? Durant ces dix dernières années, une dynamique environnementale s'est déclenchée au Maroc dans différents secteurs économiques, notamment à travers la mise en œuvre de programmes et politiques stratégiques (transition énergétique, neutralité carbone, etc.. ) visant à apporter des solutions durables aux grands enjeux de changement climatique, actuels et à venir, auxquels fait face le Maroc. Ses programmes sont susceptibles d'ouvrir de nouvelles opportunités d'emplois verts et décents pour la jeune génération. A travers ce programme ambitieux d'investissement vert d'OCP, ces opportunités bien évidemment vont se multiplier. Mais la question qui a toujours fait polémique au Maroc : est-ce que le lancement de ces chantiers profite aux PME et TPE . A cet effet, l'engagement de ce programme à la création de 25.000 emplois directs et indirects, l'accompagnement de 600 entreprises industrielles marocaines, répond à cette question et va permettre une bonne intégration de ces opérateurs. Je pense que cet accompagnement doit être associé par le lancement de programmes de formations techniques et professionnelles spécialisées (licence, masters..) dans différents domaines et dont l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) peut jouer un grand rôle. Le Maroc peut-il, en vertu de ce nouveau Programme, se hisser au rang de leader mondial en matière d'hydrogène vert au même titre que pour les engrais ? Bien évidemment, ce programme va tracer un chemin très clair pour conduire le Maroc vers la neutralité carbone en 2050 et dont l'hydrogène vert constitue un levier intéressant pour faire avancer le Royaume afin d'atteindre cet objectif. A ce propos, le Maroc est bien placé pour devenir un important producteur d'hydrogène vert, étant donné l'abondance de ses ressources énergétiques renouvelables. Par contre, la production d'hydrogène vert nécessite beaucoup de ressources en eau, ce qui va provoquer une série de défis pour un pays qui traverse une dure période de sécheresse comme notre pays. Pour trouver un équilibre, la solution est se tourner vers le dessalement de l'eau de mer. Cette solution se positionne comme un élément important dans le Programme d'investissement vert de l'OCP pour couvrir le besoin en une des composantes clés dans la chaîne de valeur de la production de l'hydrogène vert, à savoir l'eau. L'hydrogène vert peut également servir à la production de l'ammoniac décarboné, ce qui réduira drastiquement les importations de l'OCP en termes d'ammoniaque qui sert à produire les différentes types d'engrais commercialisés par le Groupe. Ces investissements verts vont placer l'OCP comme leader mondial en matière d'engrais. Cette place va être renforcée encore par les travaux de recherches menés par les différentes structures de recherche de l'UMP6 visant produire des engrais et des fertilisants de nouvelle génération.