Critiques du dernier film de Driss Roukh, «JradaMalha» Par Rachid Mountasar A la télévision, au théâtre comme au cinéma, Driss Roukhe ne choisit jamais la facilité. Sur le chemin de la création, il tente toujours de s'éloigner des sentiers battus en empruntant de nouvelles voies. Il ouvre les portes sur des terres nouvelles et souvent risquées comme c'est le cas pour Jrada Malhal'Egarée, son premier long métrage. Le titre, (considéré étymologiquement comme marque), allie deux univers linguistiques de sens distincts, deux isotopies spécifiques: le singulier (un jeu d'enfant violent porté par une culture locale), et l'universel (l'égarement et la perte comme sentiments humains transcendants). La dimension marketing qui affecte à un autre niveau cette marque, c'est-à-dire le titre, entre elle aussi en jeu mais, à mon sens, de manière pertinente. L'œuvre cinématographique de Driss Roukhe est une véritable gageure. Le choix du genre cinématographique est hautement risqué et ce, pour au moins deux raisons essentielles : la première réside dans le double aspect du thriller psychologique, (dont le scénario émane généralement d'une adaptation filmique d'un roman) qui mêle et combine à la fois le genre thriller et une fiction qui s'appuie fortement sur la dimension psychologique. La deuxième raison de la difficulté du choix opéré par le réalisateur Roukhe est liée aux habitudes nouvelles du public marocain qui commence à avoir accès, à consommer, à se familiariser avec le thriller psychologique. Pour convaincre et séduire le public marocain à qui le film est adressé en premier lieu, il faut donc faire preuve non seulement d'une maîtrise du genre thriller psychologique, mais aussi d'une créativité qui tient compte de plusieurs facteurs culturels. Le langage cinématographique de ce genre appelé thriller psychologique est bien présent dans le film de Roukhe qui a su déployer tous les ingrédients exigés dans ce type d'écriture. Il est clair que la réalisation a mobilisé une direction artistique qui se laisse entrevoir à travers la dimension chromatique du film, de l'éclairage et des costumes à titre d'exemple. Tel qu'il est réalisé, l'assemblage des séquences et des plans instaure dans cette œuvre un rythme général vif, vigoureux et dynamique. Cette dynamique est la marque stylistique prédominante dans de ce type de création cinématographique qui crée la surprise, l'affolement, l'émoi et l'épouvante. L'ensemble des techniques du thriller psychologique ou du moins une bonne partie est exploité dans ce film dont la dramaturgie musicale et sonore est mise au service de la narration et de la fable. La structure dramatique de cette dernière oscille entre le particulier et l'universel, entre l'infiniment petit et l'infiniment grand. La tentative d'essentialisation de l'intrigue passe particulièrement par le double palimpseste du temps et de l'espace qui sont volontairement effacés afin de laisser place à une autre procédure stylistique: la métaphorisation de la fable. Cette dernière met le doigt sur la question de la manipulation et sur celle du rapport entre l'économique et le politique. Accéder au pouvoir revient à formater les esprits en les rendant serviles et en les privant de leur histoire individuelle et collective. La portée idéologique du film tente de contrecarrer le discours politique contemporain qui ressasse la question des jeunes et de leur insertion dans le monde d'aujourd'hui sans leur fournir les outils nécessaires pour acquérir un véritable esprit critique. Par ailleurs, l'une des réussites discutables de ce film réside dans la direction des acteurs. Si la majorité des rôles distribués était rendus «actoralement» avec finesse, justesse et parfois même avec brio, celui de Raniya (qui dispose par ailleurs d'un énorme potentiel dans domaine du jeu) était en décalage par rapport aux situations interprétées ou alors extraordinairement surjouées et stéréotypées d'autant plus que c'est ce rôle là qui devait porter tout le poids dramatique du film. Enfin, Jrada Malha, l'égarée a le mérite de proposer une œuvre cinématographique à la fois sensible et cohérente.Les dimensions techniques et esthétiques ainsi que le travail de direction des acteurs et leurs rendus offrent aux cinéphiles des moments de plaisir.