Le Nobel de médecine 2021 a sacré lundi l'Américain David Julius et l'Américain d'origine libano-arménienne Ardem Patapoutian, deux experts du toucher dont les travaux ont ouvert la voie à des traitements anti-douleur. Leurs « découvertes révolutionnaires » ont « permis de comprendre comment la chaleur, le froid et la force mécanique peuvent initier les impulsions nerveuses qui nous permettent de percevoir et de nous adapter au monde », a salué le jury Nobel à Stockholm. C'est en passant dans le rayon des sauces pimentées d'un supermarché que David Julius, 65 ans et professeur à l'Université de Californie, a eu l'idée d'utiliser la capsaïcine, un composant actif du piment qui provoque une sensation de brûlure, pour identifier un capteur dans les terminaisons nerveuses de la peau qui réagit à la chaleur. « Quand vous étudiez les systèmes sensoriels, (…) vous apprenez beaucoup de la vie autour de vous », a-t-il expliqué lors d'une conférence de presse. De 12 ans son cadet et né à Beyrouth, Ardem Patapoutian a, lui, utilisé des cellules sensibles à la pression pour découvrir une nouvelle classe de capteurs qui répondent aux stimuli mécaniques dans la peau et les organes internes. Les travaux des deux physiologistes servent à des recherches pour de nombreux traitements, notamment contre les douleurs chroniques. Mais, prévient David Julius, ces traitements devront « inhiber la douleur chronique » tout en prenant garde à « ne pas éliminer une sensation de douleur protectrice ou aiguë ». « Nous devons être en mesure de ressentir de la douleur », explique-t-il, « car ça nous évite de nous blesser ou nous permet de réaliser que nous sommes sur le point de nous blesser ». Le chef du comité Nobel pour la médecine Thomas Perlmann a loué deux « chercheurs incroyables qui ont ouvert les portes de la sensation sensorielle d'une manière totalement unique ». En pleine nuit sur la côte Ouest des Etats-Unis, la fondation Nobel est parvenue avec difficulté à joindre les deux lauréats, a expliqué ce dernier. « On les a eus au téléphone au dernier moment. » Ardem Patapoutian, professeur à l'institut de recherche Scripps, également en Californie, a expliqué à la presse avoir été très surpris de recevoir un appel de son père à 2 heures du matin, avec son téléphone sur silencieux. « Ils ont réussi à joindre mon père âgé de 94 ans et qui vit à Los Angeles donc j'imagine que même si votre téléphone est en mode +Ne pas déranger+, vos contacts favoris peuvent vous appeler », a-t-il raconté, évoquant avec émotion un « moment très spécial ». Le prix a déjoué les pronostics, même si David Julius figurait depuis 2014 dans la liste des nobélisables scientifiques tenue par l'organisme Clarivate. Il avait également remporté en 2019 le nouveau Breakthrough Prize créé par les fondateurs de Google et Facebook. Pour le 120e anniversaire des Nobel, les spécialistes misaient cette année sur les vaccins à ARN messager contre le Covid-19, des nonagénaires pionniers des lymphocytes B et T, des experts de l'adhésion des cellules, des nouvelles voies pour des traitements en rhumatologie, ou encore des champions de l'épigénétique ou de la résistance aux antibiotiques. L'an dernier, le prix était allé en pleine pandémie à trois virologues, découvreurs du virus responsable de l'hépatite C. Le millésime se poursuit mardi à Stockholm avec la physique, mercredi avec la chimie, avant les très attendus prix de littérature jeudi et de la paix vendredi, seule récompense décernée à Oslo. Le plus récent prix d'économie clôt la saison lundi prochain. Le coronavirus a entraîné pour la deuxième année consécutive l'annulation de la venue des lauréats pour la remise des prix le 10 décembre à Stockholm, du jamais vu en temps de paix depuis 1924. Comme l'an passé, les prix seront remis dans les pays de résidence, même si un petit espoir demeure pour le prix de la paix à Oslo. Pour ce dernier, la liberté de la presse (Reporters sans frontières, Comité pour la protection des journalistes…), l'opposition bélarusse et sa cheffe de file Svetlana Tikhanovskaïa ou le climat, avec la Suédoise Greta Thunberg, sont évoqués pour succéder au Programme alimentaire mondial. Pour la littérature jeudi, l'Académie suédoise, qui cherche à diversifier le profil de ses lauréats, choisira-t-elle un ou une non-Occidental(e)? Le Chinois Mo Yan en 2012 est le dernier non-Américain ou non-Européen à avoir remporté le titre.