Le classement des universités du monde arabe Par Dr. Abdelali Kaaouachi, Université Mohammed Premier Le classement mondial des universités « World Universities Rankings » du magazine britannique Times Higher Education (THE) est parmi les classements universitaires internationaux les plus influents et les plus anciens. Ce classement, publié chaque année depuis 2004, intègre les universités à travers toutes les régions du monde. En cette année 2021, le magazine a réalisé pour la première fois un nouveau classement des universités arabes incluant 125 institutions de 14 pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. Les résultats de ce classement ont été dévoilés le 27 juillet dernier. Cet article présente une description de la méthodologie et des principaux résultats de ce système de classement. Aussi, il analyse les résultats des universités marocaines placées dans la liste du classement et propose des pistes de développement issues de trois pierres angulaires pour des positions meilleures aux futurs classements. Méthodologie : 16 indicateurs pondérés de nature à couvrir les missions des universités La méthodologie repose sur le même cadre déjà utilisé pour le classement mondial des universités, mais certains ajustements ont été effectués et de nouvelles mesures ont été incluses pour refléter les caractéristiques et les missions des universités du monde arabe. Le magazine THE utilise 16 indicateurs de performance soigneusement calibrés et regroupés en cinq domaines, et sont pondérés en fonction de l'évaluation de leur importance relative par les concepteurs du classement : Enseignement (33%) : Réputation de l'enseignement (20%) ; Taux personnel académique/étudiants (4%) ; Rapport entre le nombre de doctorats décernés et le nombre de diplômes de premier cycle décernés (2,5%) ; Rapport entre les doctorats décernés et le personnel académique (5%) ; Revenu institutionnel par personnel académique (1,5%). Recherche (33%) : Réputation de la recherche (25%) ; Revenus de la recherche par personnel académique (3%) ; Publications par personnel (5%). Société (6%) : Revenu industriel par personnel académique (2%) ; Participation à l'Impact Rankings (2%) ; Performance de l'Impact Rankings (2%). Ouverture internationale (8%) : Proportion d'étudiants internationaux (2%) ; Proportion de personnel international (2%) ; Co-auteurs internationaux (2%) ; Collaboration au sein du monde arabe (2%). Citations (20%) : le nombre de citations des publications (20%). Le calcul des indicateurs est fait selon des procédures spécifiques. Ainsi, pour les indicateurs quantitatifs, une approche de standardisation des données a été utilisée pour calculer une fonction de probabilité cumulative en utilisant une version du Z-scoring. Les données sur l'enquête de réputation ont été traitées par une fonction exponentielle de scores. La participation à l'impact est notée en comptant le nombre d'objectifs de développement durable auxquels les universités ont participé dans le classement Impact 2021. Les données collectées ont permis d'établir une liste de classement de 125 universités (dont 25 privées) de 14 pays du monde arabe. Trente autres institutions sont répertoriées avec le statut de « Reporter », ce qui signifie qu'elles ont fourni des données mais n'ont pas satisfait au critère d'éligibilité pour entrer dans la liste du classement. Ce critère correspond à la production de plus de 500 publications pertinentes au cours des cinq dernières années. Comme tous les autres classements des universités, celui des universités arabes établi par le magazine britannique THE est assujetti à plusieurs biais d'ordre méthodologique, comme par exemple l'objectivité sur la réputation des universités avec un poids considérable de 45% (à savoir, 12000 universitaires ont été interrogés sur le prestige perçu des établissements d'enseignement supérieur), le choix des indicateurs et leurs poids (selon le sens des concepteurs du classement), le critère d'éligibilité éliminant des institutions malgré leur force sur certains aspects, etc. Résultats généraux : suprématie des universités saoudiennes et représentativité des universités égyptiennes L'Arabie saoudite domine le nouveau classement régional puisque cinq universités de ce pays se placent dans le Top 10. Explicitement, l'Université Roi Abdulaziz en 1ère position, l'Université Roi Abdullah des sciences et technologies en 3ème, l'Université Prince Mohammad Bin Fahd en 4ème, l'Université Roi Fahd du pétrole et des minéraux en 5ème, et enfin l'Université Roi Saoud en 8ème. Les autres positions du Top 10 sont occupées par l'Université du Qatar en 2ème position, l'Université Khalifa en 6ème, l'Université des Emirats Arabes Unis en 7ème, l'Université américaine de Beyrouth en 9ème, la Cité des sciences et de la technologie de Zewail de l'Egypte en 10ème. Le pays le plus représenté dans le classement de 125 est l'Egypte, avec 31 universités au total. L'Arabie saoudite vient ensuite, avec 22 institutions ; puis l'Irak, avec 16 universités ; l'Algérie, avec 14 universités. Le Maroc est représenté par 6 universités. Les facteurs influant sur le positionnement dans le classement sont assez divers : la réputation de l'université en recherche et en enseignement, l'effectif des étudiants en troisième cycle, la production scientifique en termes de publications indexées et leurs impacts, les sources et les fonds financiers, l'impact au sein de la société, l'orientation internationale. Résultats et discussion pour le Maroc : uniquement 6 universités dans la liste de classement de 125 institutions Six universités publiques marocaines sont classées dans le nouveau classement des universités arabes par le magazine britannique (THE). Elles répondent au critère d'éligibilité qui correspond à la production de plus de 500 publications pertinentes au cours des cinq dernières années. L'Université Cadi Ayyad (UCA) de Marrakech est classée dans la position 41. L'Université Mohammed V (UM5) de Rabat se situe dans la tranche 51-60, l'Université Hassan II (UH2) de Casablanca dans la tranche 61-70. Puis, se placent ensuite l'Université Ibn Tofail (UIT) de Kénitra (dans la tranche 71-80), l'Université Sidi Mohammed Ben Abdellah (USMBA) de Fès ( dans la tranche 81-90) et l'Université Hassan I (UH1) de Settat (dans la tranche 101-125). Légende photo 2 : Graphiques : Scores des universités marocaines dans les cinq domaines (ouverture internationale, citations, société, enseignement, recherche). La moyennes des scores pour les six universités marocaines sont comme suit : 30 pour le domaine de l'ouverture internationale ; 58 pour celui de la recherche ; 51 pour celui de l'enseignement ; 45,7 pour celui des citations ; et enfin 55 pour celui de l'impact sociétal. La remarque essentielle sur l'ensemble des résultats concerne l'obtention des scores faibles dans le domaine de « l'internationalisation ». Ainsi, les scores obtenus relatifs à ce domaine varient entre 27,9 pour l'USMBA et 35,7 pour l'UCA. Pratiquement, les six universités classées sont dans un même niveau d'ouverture internationale. Ces résultats montrent la limite et la faiblesse des actions sur l'attractivité des étudiants internationaux et du personnel international, et sur la collaboration scientifique au niveau international et même régional avec les pays arabes. Eu outre, les scores obtenus relatifs à l'impact sociétal varient entre 19,2 pour l'UCA et 91 pour l'UIT. Ce score a pénalisé l'UCA sinon elle aurait pu avoir une position meilleure. Un sérieux travail à entreprendre dans l'immédiat par l'UCA, sur cette dimension, pour projeter une bonne place dans le prochain classement. Les résultats obtenus pour les trois domaines « recherche », « enseignement » et « citations » indiquent des variabilités assez prononcées dans les scores des six universités marocaines. Ainsi, pour le premier domaine, les scores varient entre 26,8 pour l'UH1 et 89,1 pour l'UM5. Alors que pour le deuxième domaine, les scores varient entre 29,9 pour l'UH1 et 75 pour l'UCA. Enfin, pour le troisième domaine, les scores varient entre 17,9 pour l'UH1 et 70,7 pour l'UCA. Cela montre une bonne perception de la réputation de la recherche et un bon niveau sur l'aspect quantitatif des résultats de la recherche dans les deux universités bien classées (UCA, UM5). Cependant, la qualité de la recherche, à travers les citations, n'arrive pas à enregistrer des scores élevés. Par ailleurs, la réputation de l'enseignement et les indicateurs d'input de l'enseignement sont à un niveau moyen mais inférieur que celui de la recherche. Agir sur quoi pour gagner des positions meilleures dans les futurs classements des universités dans la région arabe Plusieurs solutions peuvent être proposées et envisagées. Mais, à la lumière des résultats du présent classement, on constate que les plus importantes d'entre elles concernent l'ouverture internationale, la qualité de la recherche et l'impact sociétal (pour certaines universités). Ce sont les trois pierres angulaires du développement de l'université marocaine pour espérer avoir des bonnes places dans les futurs classements. Des actions, touchant ces pierres, sont déjà inscrites dans la Loi cadre 51.17 qui est en cours de mise en œuvre, et des propositions, liées à ces mêmes pierres, sont déjà formulées dans le rapport de la commission spéciale du nouveau modèle de développement. L'important est de trouver la vitesse de croisière pour rassembler et placer les pierres dans des positions essentielles et influentes afin de soutenir toutes les actions de l'université marocaine. Pour dynamiser la pierre angulaire relative à l'internationalisation, il est indispensable d'élaborer des politiques et des mécanismes d'attraction des étudiants internationaux et des chercheurs étrangers. C'est vrai que le Maroc a prodigué des efforts considérables pour attirer les étudiants des pays de l'Afrique subsaharienne (22 096 étudiants ayant la mobilité entrante vers le Maroc en 2019, avec une part de 85% pour les subsahariens). Mais, le défi consiste à attirer les étudiants d'autres zones géographiques, notamment les anglophones et les arabophones. Plusieurs pistes peuvent être envisagées pour rendre l'offre de formation et la recherche plus internationalisées comme la création des filières de formation trilingues, modernes et porteuses sur les métiers de demain, l'appel à candidature pour le recrutement de post-doctorants internationaux, la signature des conventions de collaboration avec les universités arabes et internationales, le lancement des appels à financement des projets de recherche conjoints dans un cadre bilatéral avec d'autres pays arabes (comme le fait déjà le CNRST avec les pays de l'Europe comme le Portugal, l'Italie, la Turquie), etc. D'un autre côté, l'attraction des chercheurs internationaux et la diaspora marocaine semble être réglée par le nouveau statut des enseignants chercheurs qui doit être adopté et appliqué dans l'immédiat afin de garantir une implication forte et de qualité du formateur et du chercheur. La deuxième pierre angulaire sur la qualité de la recherche est primordiale. Il est indispensable d'investir massivement sur la recherche en assurant les conditions favorables d'un environnement propice et encourageant à la production des brevets et des publications indexées. En particulier, l'augmentation des financements et la reconnaissance envers les chercheurs sont deux leviers prioritaires et structurants. Enfin, la troisième pierre angulaire relative à l'impact sociétal est à revitaliser dans l'immédiat étant donné l'incidence que pourra produire l'enseignement supérieur sur le développement socioéconomique du pays. L'enjeu est souligné dans le rapport de la commission spéciale sur le nouveau modèle de développement qui considère l'investissement dans le capital humain comme étant le déterminent de la réussite du nouveau modèle de développement dans toutes ses dimensions politique, économique et sociale. Une série de propositions est déjà formulée dans ce rapport pouvant avoir la capacité de booster l'impact sociétal des universités. Il reste alors une bonne opérationnalisation avec des mécanismes de suivi et d'évaluation pour améliorer les performances et obtenir les meilleurs résultats.