L'amélioration du niveau de vie entre 2013 et 2019 marque une nette décélération par rapport à la période 2006-2013, c'est ce qui ressort de la dernière enquête nationale sur les sources de revenu réalisée par le HCP et dont les premiers résultats viennent d'être publiés. Cette enquête qui s'est déroulée entre le premier décembre 2019 et fin mars 2020, auprès d'un échantillon de 3 290 ménages, diffère sur le plan méthodologique des précédentes en ce sens qu'elle tient compte non de la dépense par tête mais plutôt de la dépense déflatée par les unités de consommation. Ainsi, précise-t-on, «si le revenu ou la dépense par personne est le même, les ménages de plus grande taille auraient un niveau de vie supérieur». Les données fournies par cette enquête portent sur l'évolution de la dépense au niveau des ménages, la dépense par personne, l'évaluation des disparités à travers l'indice de Gini et l'évolution de la pauvreté absolue et de la vulnérabilité. Ainsi, en 2019, le niveau de vie par ménage, mesuré par la dépense de consommation annuelle moyenne des biens et services acquis par les ménages marocains, est évalué, au niveau national, à 86 094DH, soit 7 175 DH par mois, 95 950 DH en zones urbaines (8 000 DH par mois) et 64 530 DH en zones rurales (5 378 DH par mois). De même, on relève que près de 66,1% des ménages ont un niveau de vie inférieur à la moyenne nationale, 59,9% en milieu urbain et 79,6% en milieu rural. Par ailleurs, analysé par tête d'habitant, le niveau de vie est passé, en termes nominaux, de 15 900DH en 2013 à 20 389 DH en 2019. Cette amélioration a profité aussi bien aux citadins, pour lesquels le niveau de vie est passé de 19 500 DH en 2014 à 24 500 DH en 2019, qu'aux ruraux, passant de 10 425 DH à 13 360 DH au cours de la même période. Cependant, en dirhams constants (tenant compte du pouvoir d'achat), le niveau de vie a augmenté à un taux annuel de 2,7% entre 2013 et 2019, contre 3,6% entre 2007 et 2014. Cette décélération du niveau de vie entre les deux périodes a été plus accentuée en milieu rural, bien que dans l'ensemble, la distribution sociale du niveau de vie en 2019, n'a pas connu de grands changements par rapport à 2014. Ainsi, les 20% des personnes les plus aisées totalisent 46,1% de la consommation totale des ménages (47% en 2014), contre 7% pour les 20% les moins aisées (6,7% en 2014). Les inégalités du niveau de vie, mesurées par l'indice de Gini, affichent une baisse d'un point passant de 39,5 en 2013 à 38,5 en 2019. Ce qui amène l'Observatoire des conditions de vie de la population qui a réalisé ladite enquête à conclure que la «croissance économique aurait été pro-pauvres». Dans le même ordre d'idées, l'incidence de la pauvreté absolue a baissé, au niveau national, de 4,8% en 2013 à 1,7% en 2019. Par milieu de résidence, elle a respectivement baissé de 9,5% à 3,9% en milieu rural et de 1,6% à 0,5% en milieu urbain. Parallèlement au recul de la pauvreté absolue, la vulnérabilité économique a également connu une baisse notable. C'est ainsi que la part des personnes économiquement vulnérables est passée de 12,5% en 2014 à 7,3% en 2019 au niveau national, respectivement de 7,9% à 4,6% en milieu urbain et de 17,4% à 11,9% en milieu rural. Bien sûr, avec la crise sanitaire et son impact socio-économique, la situation s'est gravement détériorée. L'incidence de la pauvreté a été multipliée par près de 7 à l'échelle nationale, passant de 1,7% avant cette crise à 11,7% au temps du confinement, de 5 fois en milieu rural, passant respectivement de 3,9% à 19,8%, et de 14 fois en milieu urbain, respectivement de 0,5% à 7,1%. Tout comme le taux de vulnérabilité qui a plus que doublé, passant de 7,3% avant le confinement à 16,7% pendant le confinement. Par milieu de résidence, ces proportions sont respectivement de 4,5% et 14,6% en milieu urbain et de 11,9 % et 20,2% en milieu rural. La pandémie a aggravé, par conséquent, les inégalités sociales comme c'est le cas à travers le monde puisque ce sont les plus vulnérables qui en ont le plus pâti. Ce n'est que grâce à l'intervention de l'Etat et aux aides publiques octroyées aux catégories vulnérables que l'impact a été atténué : le taux de pauvreté absolue fut ramené à 2,5% et celui de vulnérabilité à 8,9%. Ce sont là les principaux résultats de l'enquête. Il appartient à chacun d'en apprécier la pertinence. Il y a lieu de préciser, toutefois, que les résultats d'une enquête ne sont jamais la photocopie de la réalité. Celle-ci est par définition complexe, contradictoire et mouvante. Surtout que les enquêtes statistiques ont leurs propres limites que les Statisticiens eux-mêmes reconnaissent. Des limites relatives au choix de l'échantillon et de son étendue, à la nature des questions posées et des réponses obtenues. Dans tous les cas, les statistiques ne doivent jamais se placer dans une position hégémonique en se mettant au-dessus de la réalité sociale et aux antipodes de toute logique. En tout état de cause, la pandémie a mis à nu une série de faiblesses et de précarités dont souffre la société marocaine. Les six millions de familles, soit plus de la moitié de la population du pays, qui ont bénéficié des subventions publiques sous forme de transferts monétaires ne sont pas nées en mars 2020. La pauvreté et la vulnérabilité ont été là bien avant. La pandémie n'a fait que lever le voile sur un phénomène social structurel en tant que produit d'un mode de production et d'un système de répartition profondément inégalitaires. Par ailleurs, la mesure des inégalités sociales par la seule variable de la dépense demeure incomplète si on ne tient pas compte de la répartition des revenus et du patrimoine. Il s'agit en somme de savoir comment est répartie la richesse produite dont la dépense ne constitue que la phase visible de l'iceberg. Il n'en demeure pas moins que l'enquête du HCP, comme celles qui l'ont précédée, a le mérite de dégager des tendances et d'inciter au débat.