Cinq questions à Nezha Hayat, présidente de l'AMMC La présidente de l'Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), Nezha Hayat, expose dans une interview accordée à la MAP le rôle du marché des capitaux dans la mobilisation du financement de la relance économique, la vision stratégique de l'AMMC et son rôle dans l'éducation financière. Comment voyez-vous la relance du marché des capitaux marocain durant la période post-Covid ? Le rôle fondamental du marché des capitaux est le financement de l'économie, et son évolution ne peut être dé-corrélée d'une relance économique plus globale. Notre pays s'est doté d'un plan de relance économique ambitieux qui va nécessiter la mobilisation de financements importants. A ce titre, le marché des capitaux offre une large panoplie de solutions de financement et d'investissement adaptées aux besoins de différents acteurs économiques. Il se prête aussi parfaitement aux montages financiers innovants. Il y a lieu de citer, à titre d'illustration, les fonds de titrisation, les fonds immobiliers, le marché alternatif de la Bourse dédié aux PME, les emprunts obligataires verts et/ou durables... Ainsi, avec la mobilisation des différents acteurs du marché des capitaux, celui-ci est en mesure d'accompagner le déploiement optimisé de plusieurs composantes du plan de relance économique national. L'AMMC est bien évidemment pleinement déterminée à accompagner la relance économique à travers les outils de régulation dont elle dispose. Le défi consistera notamment à opérationnaliser rapidement les nouvelles solutions de financement et à en développer davantage, alliant flexibilité et protection de l'épargne. A ce titre, plusieurs pistes ont d'ores et déjà été identifiées, notamment, en matière de développement législatif et réglementaire. Quelles sont les répercussions de la crise sanitaire sur le marché des capitaux ? Y aura-t-il un impact sur l'élaboration de la prochaine feuille de route de l'AMMC? Dès le déclenchement de la pandémie, l'AMMC et l'ensemble des acteurs du marché ont pris une série de mesures visant à limiter les effets de ladite pandémie sur les marchés. A ce titre, nous avons adopté une approche proactive en déployant un certain nombre de mesures permettant d'assurer la continuité des activités de marché, le maintien de la transparence des émetteurs pendant la période de crise, ainsi que la gestion de certains paramètres techniques, en l'occurrence les seuils maximaux de variation quotidienne en bourse, pour limiter les réactions brusques du marché. Tout en rappelant que le renforcement de la confiance dans le marché des capitaux constituait le premier axe de notre plan stratégique 2017-2020, et qu'il continuera à être une composante essentielle de notre prochain plan stratégique, il est certain que le contexte actuel est porteur de plusieurs enseignements que l'AMMC prend d'ores et déjà en compte dans ses réflexions prospectives. En effet, cette crise implique de nouveaux enjeux en terme de régulation, dans la mesure où le marché des capitaux est appelé à jouer un rôle plus important, dans le cadre du financement de la relance économique. La refonte de la circulaire N 03/19 relative aux opérations et informations financières constitue un sujet d'actualité en ce moment. Concrètement, quels sont les objectifs escomptés de cette refonte et que propose l'AMMC? La circulaire de l'AMMC N 03/19 est entrée en vigueur en juin 2019. Elle a introduit un certain nombre de nouveautés majeures en ce qui concerne les informations et opérations financières, dans l'objectif d'améliorer la transparence et l'attractivité du marché des capitaux. Après plus d'un an d'application des dispositions de cette circulaire, et particulièrement dans le contexte actuel, l'AMMC a identifié certaines améliorations permettant d'optimiser davantage les dispositions de ladite circulaire. En premier lieu, le projet de modification de la circulaire 03/19 propose d'améliorer la flexibilité du régime du placement privé en élargissant la définition des investisseurs qualifiés. Ainsi, les filiales des personnes morales répondant aux critères d'investisseur qualifié pourraient aussi bénéficier de ce statut sur demande à l'AMMC. Il est à noter que le régime du placement privé permet aux émetteurs d'optimiser leurs délais et conditions de sortie sur le marché en s'adressant uniquement à un cercle restreint d'investisseurs qualifiés. Deuxièmement, certaines obligations d'information incombant aux émetteurs ont aussi été optimisées. En l'occurrence, les émetteurs qui publient leurs rapports financiers semestriel ou annuel dans un délai de deux mois après la clôture du semestre ou de l'exercice, seront dispensés de la publication des indicateurs au titre du second ou quatrième trimestre. Dans le même sens, le format du reporting extra-financier sur la gouvernance a été revu pour plus de clarté dans la présentation de l'information. Ces modifications permettront d'alléger la charge des émetteurs, tout en améliorant la qualité de l'information publiée. Enfin, les modifications proposées visent aussi à résoudre certaines redondances et à clarifier ou corriger certains aspects de la version initiale de la circulaire. Ceci, dans l'objectif d'améliorer la lisibilité des dispositions de la circulaire précitée. Ainsi, les modifications proposées font suite à un premier retour d'expérience pratique. Elles visent également à optimiser davantage l'équilibre entre la flexibilité pour les émetteurs et la protection de l'épargne investie en instruments financiers, ce qui permet d'ouvrir davantage d'opportunités de financement via le marché des capitaux. Quelles sont les mesures entreprises en 2019 pour renforcer le mécanisme de sanction ? Et Quelles sont les actions que l'AMMC mènera en 2021 dans ce sens? Avant d'aborder le dispositif de sanctions, je voudrais rappeler que depuis l'opérationnalisation de la nouvelle organisation de l'AMMC, un chantier de mise à jour des procédures de contrôle a été entamé et une nouvelle démarche d'inspection a été adoptée. Cette démarche a pour objectif non seulement d'intensifier les missions de contrôle, mais également de sensibiliser les opérateurs aux bonnes pratiques de marché. Ceci dit, il y a lieu de rappeler qu'à l'instar des prérogatives de contrôle des intervenants du marché et de l'information financière qui y est diffusée, le pouvoir de sanction constitue l'un des principaux instruments de régulation dont dispose l'AMMC. Certes, l'action coercitive a pour principale finalité de dissuader les pratiques professionnelles prohibées par la réglementation, mais elle vise aussi à amener la partie mise en cause à corriger les dysfonctionnements relevés en revisitant son organisation, la gestion de sa relation clientèle, sa politique de commercialisation ou de communication etc. ; de sorte à se conformer aux exigences de la réglementation en termes de transparence et de préservation des droits des épargnants. Il importe également de souligner que le Collège des sanctions demeure, depuis son entrée en fonction en 2017, l'organe de l'Autorité exclusivement habilité à instruire les dossiers susceptibles de donner lieu à des sanctions administratives ou d'être transférés à la justice. De par sa gouvernance indépendante, son organisation collégiale et sa composition originale, le Collège des sanctions est le meilleur garant d'une procédure de sanction qui se veut respectueuse des droits de la défense. L'expertise indéniable de ses membres dans les domaines juridique et financier crédibilise les motivations et le bien-fondé de toute décision de sanction prononcée à l'encontre d'un acteur du marché, à l'issue d'une procédure parfaitement contradictoire à son égard. 2019 a été une année charnière pour le Collège des sanctions comme en atteste le bilan d'activité présenté par cet organe au Conseil d'administration de l'AMMC au titre de cette année. Le Collège a ainsi instruit près d'une vingtaine de dossiers, dont certains se rapportaient à des manquements réglementaires particulièrement complexes notamment au regard de leur incidence sur les droits patrimoniaux des investisseurs concernés. Aussi, les décisions prononcées conformément aux avis émis par le Collège au titre de cette année ont oscillé entre des sanctions disciplinaires, des sanctions financières d'importances variables, le classement sans suite d'un dossier pour prescription des faits litigieux et la transmission d'un dossier d'infraction à la justice. Le retour d'expérience du Collège des sanctions après trois ans d'exercice a permis de dégager les limites de certaines règles de la procédure de sanction, telle que déclinée dans le Règlement Général de l'AMMC. Aussi et en concertation avec son Collège des sanctions et les autres parties prenantes, l'AMMC a initié un chantier d'amendement dudit Règlement. Comment l'éducation financière peut-elle constituer un véritable levier de l'inclusion financière au Maroc? L'éducation financière figure parmi les missions de l'AMMC, telles que définies par la loi ayant institué l'Autorité. A ce titre, l'AMMC contribue à la promotion de l'éducation financière des épargnants afin de renforcer la protection de l'épargne investie en instruments financiers. C'est d'ailleurs dans cet esprit que la Stratégie Nationale d'Inclusion Financière, à laquelle participe l'AMMC, a retenu parmi ses axes d'intervention un volet réservé à l'éducation financière, et qui va soutenir et accompagner le déploiement des différents leviers de la stratégie (finance numérique, assurance inclusive, financements alternatifs pour les TPE etc.). Pour renforcer davantage l'efficacité de nos réalisations, nous nous sommes fixé quelques orientations, notamment privilégier le recours au numérique pour rendre les contenus plus accessibles et faciliter leur diffusion à une plus grande échelle, comme l'application « QUIZ FINANCE », affiner le ciblage des actions pour mieux les adapter au profil visé (TPE, ménages, épargnants etc) et développer des partenariats avec des entités (universités, associations, pouvoirs publics etc.) qui nous serviront de relais pour assurer la pérennité des actions et leur diffusion plus large.