Par Abdelouahed Hajji Il y a déjà plusieurs mois, l'humanité a subi un confinement sanitaire à cause de la Covid-19 qui a frappé le monde entier. Dans ce contexte, la question des arts et de la littérature se pose. Cela est dû à la nature du confinement qui suscite des angoisses et des interrogations. Car s'il n'est pas assumé, le confinement conduira à la solitude et à la dépression. Raison pour laquelle, certains cherchent en effet à combler la solitude par des phénomènes étranges qu'on a vus ces derniers temps sur la Toile et d'autres réseaux sociaux. Toutes ces nouvelles pratiques sont majoritairement le résultat du vide créé par la solitude. Ainsi, proposions-nous de réfléchir sur la réalité que l'on perçoit et sur le nouveau monde régi par la pandémie de Covid-19. On pourrait alors formuler cette réflexion à travers ces questions : le monde dans lequel nous vivons est-il nouveau ? Que peut la littérature dans cette situation ? Le fait de parler aujourd'hui de la littérature surtout dans ces temps de crise n'est-il pas inutile et intempestif ? Quel serait l'apport des écrivains à la compréhension du monde nouveau dans lequel nous vivons ? Le rôle des arts et de la littérature devient de plus en plus important et stimulant en ceci que ces formes artistiques et littéraires sont plus ou moins antidépressives. La littérature, à titre d'exemple, comble la vacuité ontologique de l'homme en lui montrant différents paysages et nouvelles expériences. Elle donne forme à notre existence et nous pousse à surmonter les angoisses de la solitude par le voyage livresque assuré par la lecture. En fait, la littérature à l'ère du confinement rend la question de son «utilité» intense et profonde. Alors, «la littérature pour quoi faire ?» (Fayard/collège de France, 2007), comme se le demandait si bien Antoine Compagnon. Prétendre naïvement que les belles-lettres peuvent effacer la souffrance et dessiner le sourire sur le visage des laissés-pour-compte est une véritable illusion. Mais il est intéressant de dire que la littérature amortit l'intensité de la souffrance et nous aide à sortir de nous-mêmes à travers ses fenêtres ouvertes sur le monde. Elle invite au voyage dans le monde pour voir ce que voit l'autre et assure en effet une certaine sérénité. Répondant à la question «À quoi sert la littérature ?», Philippe Petit affirme également dans l'avant-propos de l'entretien qu'il a réalisé avec Danièle Sallenave qu'elle «est une arme contre l'industrie des loisirs et la réduction de la culture aux biens de consommation». (À quoi sert la littérature ? Entretien avec Philippe Petit, Textuel, 1997) La littérature est une puissance culturelle visible pour l'humanité tout entière participant ainsi à la lutte contre la culture de web et de consommation qui finit par devenir une contre-culture. La littérature est censée rendre alors le confinement supportable d'autant plus qu'elle est une occasion de se retrouver en nous conduisant à l'accomplissement de chacun. La lecture nous soutient ontologiquement et psychologiquement parce qu'elle n'est pas uniquement une manière de s'instruire mais aussi un remède des maux de l'âme du fait qu'elle est une thérapie. Elle contribue non seulement au bonheur de l'individu mais aussi à son autonomie d'autant plus qu'elle libère l'individu de ses angoisses et le rend de plus en plus responsable et autonome. On parle même aujourd'hui d'une bibliothérapie qui sert à résoudre des problèmes personnels par des lectures sélectives. Ce pouvoir thérapeutique de la lecture est évoqué à maintes reprises par les écrivains. Abdelfattah Kilito évoque, à titre d'exemple, dans son récit Dites-moi le songe (Sindhab-Actes Sud, 2010), l'histoire d'un enfant sauvé de la maladie par la lecture des Mille et Une Nuits. Est-ce notre cas dans ce confinement ? Si on prenait la part didactique de la littérature, on risquerait de détruire ce plaisir que nous procure la lecture en tant que moyen de divertissement, de déconfinement, de guérison et d'instruction. Ce n'est pas par hasard que les bibliothèques universitaires payantes au Maroc et ailleurs ont délivré leur mot de passe pour diffuser la littérature et autres ouvrages au public durant cette période du confinement. La Bibliothèque nationale, les instituts français et l'université Sidi Mohamed Ben Abdellah, à titre d'exemple, ont permis au public et au staff universitaire un accès gratuit aux Bibliothèques numériques Scholravox et EBSCO, CAIRN, DALLOZ, etc. La lecture permet en effet de vivre plusieurs expériences, et ce, à partir des ressentis des personnages romanesques. Imaginons une situation humaine d'un personnage, nous nous renvoyons bon gré mal gré à notre condition : nous partageons les mêmes sentiments qui sont universels. La littérature a toujours essayé de saisir la réalité dans sa multiplicité surtout que les innombrables expériences des personnages renvoient à la condition humaine. Si la philosophie manie des concepts et érige des lois abstraites, la littérature élargit notre univers et nous permet de respirer par-delà les pouvoirs et les bornes. La littérature singularise l'expérience humaine et nous conduit vers la joie de vivre comme l'écrit Todorov dans une belle formule : «La littérature peut nous tendre la main quand nous sommes profondément déprimés, nous conduire vers les autres êtres humains autour de nous, nous faire mieux comprendre le monde et nous aider à vivre». (Flammarion, 2007 : 72) À l'école, regrette le même Todorov surtout qu'on n'«apprend pas de quoi parlent les œuvres mais de quoi parlent les critiques. (Ibid. : 19), s'intéresser à la critique littéraire tout en négligeant les mouvements qui animent les œuvres fictionnelles serait l'une des raisons qui met la lecture dans une zone marginale de la culture. Toutefois, il y a de belles œuvres critiques qui dépassent les œuvres fictionnelles procurant ainsi un plaisir intense. S'il en est ainsi, la littérature n'est pas simplement une façon de tuer le temps mais de l'organiser et de le combler par les différentes aventures des personnages. Le même Todorov l'avait parfaitement résumé : «Si je me demande aujourd'hui, dit-il, pourquoi j'aime la littérature, la réponse qui me vient spontanément à l'esprit est : parce qu'elle m'aide à vivre» (Ibid. : 15) La littérature nous aide à vivre et à jouir de la vie et pourrait en effet rendre le confinement une occasion de découverte de soi et de l'autre. Rappelons que la lecture n'est pas uniquement une rencontre avec l'autre mais aussi et surtout avec soi-même. À cet égard, le confinement pourrait être une occasion de se lancer dans la lecture des chefs-d'œuvre et autres écrits au lieu d'être une solitude insoutenable et déprimante. Cela dit, la littérature, ennemie de la certitude et des dogmes, sert à expérimenter les possibilités de l'existence et à savourer la réflexion inhérente aux belles-lettres par-delà le bien et le mal. La littérature, territoire où le jugement moral est suspendu, pourrait être également une demeure de la pensée et de l'interrogation, c'est-à-dire être une sensibilité pensante donnant à chacun la possibilité de mieux répondre à sa vocation d'être humain. Elle nous permet de nous méfier des fausses certitudes et des fausses promesses de bonheur tout en montrant la forme suprême du rapport entre les humains : l'amour. Ces valeurs ne peuvent être confinées à la ligne des frontières puisque la littérature croit en la religion de l'amour et, partant, elle nous sauve surtout de la dépression ! Bien qu'à l'ère du numérique et des réseaux sociaux, la littérarité, «qualité de la forme qui établit la littérature en tant que littérature», soit en péril, cela ne signifie nullement la disparition des livres mais au contraire leur augmentation dépassant même le nombre des lecteurs. Mais comme l'exprime si bien François Ricard, «continuons à faire confiance à la littérature, malgré tout».