Rien ne va plus entre l'Union Européenne et la Turquie qui s'acharne à poursuivre l'exploration des gisements gaziers se trouvant au large de Chypre. Aussi, après les multiples avertissements adressés à la Turquie à laquelle elle reproche «des activités illégales de forage», Bruxelles, qui compte réduire le dialogue à haut niveau avec ce pays, a annoncé, ce lundi, «amputer la Turquie de 145,8 millions d'Euros d'aide de pré-adhésion et invité la Banque Européenne d'Investissement (BEI) à revoir les conditions d'octroi de financements à ce pays. Mais, loin de refroidir les ardeurs du régime d'Erdogan, ces sanctions n'ont fait que renforcer la détermination de celui qui entend bien «poursuivre ses activités liées aux hydrocarbures en Méditerranée orientale» comme l'a déclaré, dès le lendemain, Mevlut Cavusoglu, le ministre turque des Affaires étrangères en annonçant l'envoi d'un quatrième navire de forage. Pour rappel, l'île de Chypre est partagée, en deux, depuis son invasion en 1974 par l'armée turque avec au nord, la République turque de Chypre du Nord (RTCN) soutenue par Ankara, mais non reconnue par la communauté internationale et au sud, la République de Chypre, membre de l'Union Européenne mais qui n'exerce son autorité que sur les deux tiers de l'île. Aussi, la question de la Zone Economique Exclusive (ZEE) autour de Chypre constitue-t-elle l'un des points d'achoppement entre Ankara qui «revendique des droits égaux sur les ressources naturelles de l'île» et Bruxelles qui, en ne lui reconnaissant aucune souveraineté sur ce territoire, l'accuse de profiter illégalement de la richesse énergétique des eaux territoriales chypriotes. D'ailleurs, la découverte, ces dernières années, d'importants gisements gaziers au nord-est des côtes chypriotes n'a fait que raviver les tensions autour de l'île. Mais si l'intrusion de navires turcs dans les eaux territoriales chypriotes, une zone disputée par Ankara et Nicosie, est perçue par l'UE comme étant une atteinte à la sécurité d'un de ses Etats-membres, Gilles Bertrand, enseignant à Science-Po Bordeaux et chercheur au Centre Emile Durkheim, considère que si l'on se penche sur ce dossier d'un peu plus près, l'on remarquera que «l'Union européenne défend surtout les intérêts de deux de ses poids lourds en matière de fourniture d'énergie : le français Total et l'italien Eni qui sont présents dans la zone». Et si sur le plan des relations internationales, la détermination d'Ankara à faire monter la pression pourrait lui servir de levier politique et diplomatique à même de forcer la main à l'UE pour que cette dernière puisse trouver une «solution» à la division de l'île en encourageant les deux parties à s'entendre sur la question du partage des ressources en hydrocarbures, en matière de politique intérieure, cette manœuvre et les mesures «injustes aux yeux de la population turque» prises par l'UE vont incontestablement profiter au chef de l'Etat qui trouvera là l'occasion d'adopter le discours «victimaire» qui va lui permettre de «renforcer la mobilisation de son électorat autour de lui». Enfin, la question du partage des richesses en hydrocarbures présentes dans les eaux territoriales de l'île de Chypre pourrait, à terme, pousser l'Union Européenne à trouver une solution profitable aux deux parties. Osons l'espérer et attendons pour voir…