Ce dimanche, 147 millions de brésiliens ont été appelés aux urnes pour le deuxième tour des élections présidentielles opposant Fernando Haddad représentant le Parti des Travailleurs (gauche) de l'ancien président Lula et crédité de 45/46% des intentions de vote à Jair Bolsonaro candidat du Parti Social Libéral (extrême-droite) auquel les derniers sondages publiés samedi attribuaient 54/55 % des intentions de vote. Et si le candidat de la gauche semblait avoir eu beaucoup de difficultés à attirer un électorat ayant perdu toute confiance dans cette classe politique qui a plongé le pays dans un profond marasme économique, une corruption endémique et une violence extrême, le candidat de l'extrême-droite, renforcé par l'exaspération des brésiliens, n'a pas eu trop de mal à priver le Parti des Travailleurs d'une 5ème victoire d'affilée aux élections présidentielles même si plusieurs cas de violences contre des électeurs de gauche avaient été rapportés par la presse. L'assassinat, dans un bar de Salvador de Bahia, d'un grand maître de capoeira (art martial afro-brésilien), poignardé de douze coups de couteau pour avoir déclaré qu'il allait voter pour le Parti des Travailleurs, avait suscité une trop grande émotion dans le pays même si le candidat d'extrême-droite s'était empressé de rejeter toute responsabilité concernant ces violences. Et, en rappelant que c'est lui-même qui, à la veille du 1er tour, avait été victime d'une tentative d'assassinat, Jair Bolsonaro avait déclaré: «Si quelqu'un qui porte un T-shirt à mon nom commet un excès, qu'est-ce que j'ai à voir avec cela. Je demande aux gens d'arrêter mais je n'ai pas le contrôle». Et l'ancien militaire de signaler que «la violence vient de l'autre côté». Autre incident, et non des moindres qui semblait être venu comme une cerise sur le gâteau pour ternir l'image du candidat d'extrême-droite qui avait fait part, à maintes reprises, de son intention de «nettoyer le Brésil des élites corrompues», son conseiller économique l'ultra-libéral Paulo Guedes est sous le coup d'une enquête judiciaire portant sur des fraudes à des fonds de retraite. Mais malgré tout cela et nonobstant un discours éminemment populiste à travers lequel il propose des remèdes simples mais radicaux consistant à autoriser les forces de l'ordre à tuer en cas de besoin et la population à s'armer pour que «les gens biens» se défendent, ce catholique, nostalgique de la dictature militaire, ardent défenseur de la famille et homophobe invétéré a reçu le soutien des puissantes églises évangéliques à telle enseigne que six évangéliques sur dix lui auraient donné leurs voix lui permettant ainsi de rafler 55,13% des suffrages qui lui ont été accordés par 57 millions d'électeurs et à prendre, ainsi, les commandes de l'Etat alors que son rival de gauche n'a recueilli 44,87 % des suffrages exprimés. Nostalgique de cette dictature militaire qui avait gouverné le pays de 1964 à 1985, l'ancien capitaine de l'armée qui, à l'âge de 63 ans, a pris les commandes du plus grand pays d'Amérique latine, a déclaré, dans son premier discours retransmis en direct sur Facebook : «Nous ne pouvons plus continuer à flirter avec le socialisme, le communisme (et) le populisme de gauche… Ensemble, nous allons changer le destin du Brésil». A noter, toutefois, que, selon certains analystes, la victoire de Bolsonaro réside moins dans l'adhésion à un projet de société que dans l'approbation d'un candidat antisystème qui a su incarner le «rejet de la politique et des politiques» et qui est parvenu «à faire passer l'image d'un homme fort, adepte de la ligne dure qui va combattre la corruption». Dans une tribune au «Monde», les historiennes Juliette Dumont et Anaïs Flechet ont écrit qu'en s'étant «opposé aux réformes néolibérales dans les années 1990, Bolsonaro a(vait) réussi à s'allier les milieux d'affaires à la veille du scrutin grâce à un programme qui prône le démantèlement des droits sociaux et de l'éducation publique» si bien que cette vague qui a fini par porter Bolsonaro «repose sur une relation complexe entre adhésion populaire, mensonges, violences et connivences des élites». De quoi donc demain sera-t-il fait au Brésil maintenant que c'est un ancien capitaine des forces armées résolument raciste, homophobe et nostalgique de la dictature militaire qui va prendre les rênes du pays ? Attendons pour voir…