Signature d'un mémorandum d'entente pour renforcer la coopération entre Tanger et Al-Qods    Le journal espagnol La Razón : L'armée algérienne a tiré sur de jeunes Sahraouis qui prospectaient de l'or    L'Algérie sourde à l'appui de la Belgique à l'autonomie du Sahara    Algérie : l'ONU déplore la poursuite de la répression contre les défenseurs des droits humains    Soupçons de fraude fiscale : des responsables communaux devant les juridictions financières pour diverses malversations    Le partenariat Maroc-UE, porteur de bénéfices    Diaspora : les transferts grimpent à plus de 117,7 milliards de dirhams en 2024    Hamza Hraoui prépare le lancement de son cabinet de lobbying sur le continent depuis Casablanca Finance City    Dépôts bancaires : Hausse de 3% en décembre, effet cash déclaré visible    Aéronautique : près de 26,45 milliards de dirhams d'exportations en 2024    Régularisation fiscale : 127 milliards de dirhams déclarés, parmi lesquels 77 milliards non traçables    Cristina... Une Espagnole voyage au Maroc pour récupérer son téléphone volé à Madrid, et la police marocaine le lui rend en moins d'une heure    Le sénateur américain Joe Wilson adresse un avertissement à Kais Saïed : Ton destin sera similaire à celui de Bachar al-Assad    Les Etats Unis imposent des droits de douane sur le Canada, le Mexique et la Chine    Somalie: Des figures de Daech tuées dans des frappes américaines    Les Marocains brillent en Europe : Bakraoui, Saibari, El Hilali et Ounahi décisifs    Tanger: trois individus interpellés pour violation présumée des systèmes de traitement automatisé de données et piratage d'appels téléphoniques    Chutes de neige et fortes pluies localement orageuses dans plusieurs provinces marocaines    USA: En quête de renouveau, les démocrates élisent un nouveau chef du parti    Recettes voyages : un record de 112,5 MMDH en 2024    Droit de grève : les Conseillers adoptent à la majorité le projet de loi en commission    Rabat: La jeunesse, acteur clé du développement dans la zone euro-méditerranéenne (réunion de la jeunesse du PPE)    Ziyech : Ma première participation avec Al-Duhail est une étape importante et une expérience idéale au Qatar    Le Maroc relève le défi et impressionne le monde... Des stades de classe mondiale réalisés en un temps record par des mains marocaines    Médecine de sport et antidopage: Dr Abouali Fatima citée en exemple sur le Continent    PL. J24: Les Reds en déplacement pour assurer et rassurer !    Marché des changes : le dirham quasi stable face à l'euro et au dollar    MRE : les transferts grimpent à plus de 117,7 MMDH en 2024    Chutes de neige et fortes pluies localement orageuses dans plusieurs provinces    Un fonctionnaire de la prison locale El Arjat 2 se suicide avec son arme de service (DGAPR)    Akhannouch : "Le gouvernement poursuit la réforme de l'enseignement dans le cadre des Hautes Directives Royales"    Un homme poignarde son père en pleine rue à Agadir : Sévérité de la peine et cadre juridique du parricide    Dans l'intimité d'un collectionneur : Yves Saint Laurent vu par Hamish Bowles    Essaouira : Inscriptions ouvertes pour la 2e édition de « Berklee at Gnaoua and World Music Festival »    CAN 2025 au Maroc : Le calendrier complet des matchs    Missing Moroccan students in London found, police confirm    USA: Plusieurs blessés dans le crash d'un petit avion près d'un centre commercial à Philadelphie    Washington confirme l'entrée en vigueur samedi de droits de douanes contre la Chine, le Canada et le Mexique    Diaspo #374 : Mohamed Bouzia, une migration au Pays-Bas à travers le journalisme    Un homme interpellé à Mechra Bel Ksiri en possession de 922 comprimés psychotropes    Au Pakistan, vaste purge au sein de l'Agence fédérale d'investigation après le naufrage meurtrier de migrants au Maroc    Le Cinéma marocain à l'honneur au Festival International du Film de Dublin    Lekjaa : La CAN 2025, une étape clé vers le Mondial 2030, avec un Maroc-Argentine en ligne de mire    Le Musée du Football Marocain ouvre ses portes : un voyage au cœur de la passion nationale    Le journaliste Ayoub Errimi n'est plus, le monde médiatique en deuil    Ouverture des inscriptions pour la 2e édition du programme « Berklee at Gnaoua and World Music Festival »    Cinéma : Brady Corbet impose son talent avec "The Brutalist"    Exposition : "Reconversion" à la galerie Dar D'art de Tanger    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Le roman et la conscience historique chez Milan Kundera
Publié dans Albayane le 04 - 03 - 2018

Avec «La lenteur», roman publié en 1995, Milan Kundera inaugure un « nouveau cycle » dans sa production littéraire. Désormais le lecteur aura affaire à des romans courts, écrits directement en français. Des romans qui mettent en scène des personnages moins nombreux, dont l'intrigue est dépouillée et où l'espace ne participe plus de l'Europe centrale. Il s'agit bel et bien du «cycle français» lequel se caractérise en grande partie par une écriture moins acerbe, moins caustique et moins ironique que celle du «cycle tchèque ». Parallèlement, Kundera continue de réfléchir rigoureusement sur l'art de la fiction et d'approfondir davantage sa conception esthétique du roman.
Ainsi, il en définit la raison d'être, en détermine les traits philosophiques, en précise les limites et les possibilités et en raconte l'histoire mouvementée. En d'autres termes, le romancier se voit doublé par l'essayiste et la fiction relayée par la méditation. Kundera arrête momentanément d'écrire ses romans, prend du recul et se prononce sur les rôles dévolus à l'écrivain. Bref, comme le souligne métaphoriquement Proust, il se fait à la fois «l'ouvrier et le juge». De la sorte, il rejoint ces auteurs pour qui la réflexion théorique n'est pas séparable de l'acte créateur. Comme Woolf, Gide, Kafka, Dostoïevski etc., Kundera fait de l'écriture un acte pleinement conscient, sui generis, sui référentiel ; un acte qui engage la vie, l'expérience, la culture, l'histoire, la lecture, la pensée, la position politique et idéologique de celui qui a sciemment choisi d'écrire.
Dans son essai, «Le rideau» (2005) nous lisons ceci : «Un romancier qui parle du roman, ce n'est pas un professeur discourant depuis sa chaise. Imaginez-le plutôt comme un peintre qui vous accueille dans son atelier où, de tous côtés, ses tableaux vous regardent, appuyés sur les murs. Il vous parlera de lui-même, mais encore plus des autres, de leurs romans qu'il aime et qui restent secrètement présents dans son œuvre propre. Selon ses critères de valeur, il remodèlera devant vous tout le passé de l'histoire du roman, laquelle n'appartient qu'à lui et donc, tout naturellement, s'oppose à la poétique d'autres écrivains.» Cette longue assertion en dit long sur la façon dont Kundera parle du roman. Loin de recourir à une nomenclature jargonneuse ou s'enfermer dans une attitude professorale et scientiste, Kundera met en exergue la valeur subjective de tout jugement littéraire et souligne le caractère narcissique de toute réflexion critique. Ce narcissisme n'a pourtant rien à voir avec le nombrilisme dans la mesure où la méditation esthétique ne se replie pas sur elle-même. Elle rencontre d'autres méditations et s'ouvre sur d'autres expériences. En parlant de lui, il parle également des autres, partage avec le lecteur ses œuvres préférées, affiche ses prédilections, dit ses goûts et dégoûts. Aussi, chaque jugement esthétique qu'il donne est-il un «pari personnel», c'est-à-dire un parti pris et une position assumée où son histoire personnelle, ses idées, ses plaisirs, sa pratique d'écrivain sont en jeu. «C'est une idée du roman inhérente à mes romans que j'ai essayé de faire parler», en conclue-t-il dans un autre essai («L'art du roman»).
Cette idée qu'il essaye de faire parler est intimement liée à l'histoire. Dans cette optique, pour Kundera, parler du roman, c'est l'inscrire dans son contexte historique, saisir son évolution à travers le temps, cerner ses métamorphoses. Il s'agit là de la prise de conscience historique du roman occidental revu et revisité depuis les origines jusqu'à nos jours. Ainsi, il affirme que « la conscience historique est inhérente à notre perception de l'art.» («Le rideau») L'histoire de l'art du roman n'est pas à comprendre dans sa conception linéaire et chronologique. Elle n'est pas répétitive non plus. Elle ne ressemble pas à l'histoire des sciences : «Appliquée à l'art, la notion d'histoire n'a rien à voir avec le progrès ; elle n'implique pas un perfectionnement, une amélioration, une montée ; elle ressemble à un voyage entrepris pour explorer des terres inconnues et les inscrire sur une carte.» L'histoire dont il s'agit ici est complexe où les arts, y compris le roman, se lancent dans une « course de relais». Chaque artiste y insuffle une âme nouvelle, la marque d'un autre sceau, y apporte sa propre expérience. N'étant pas temporelle, l'histoire reste à bien des égards dynamique, en plein mouvement, en perpétuelle ébullition. L'image que nous inspire cette conception de l'histoire est celle de la galerie des images ou celle de la forêt des symboles au sens baudelairien. Une histoire kaléidoscopique où les œuvres d'art se rencontrent, se confondent, se compénètrent, se démènent, s'expliquent, s'éclairent les unes les autres, se lisent mutuellement, se nourrissent les unes les autres, se fécondent, se télescopent, permettent par ce face-à-face de dévoiler leurs significations profondes et font découvrir leur «immense audace artistique». Une autre image nous interpelle encore une fois : la spirale de Vico. Les œuvres se déplacent, disparaissent pour un moment reviennent sous une autre forme, vêtues de sens inédits et occupent d'autres lieux. C'est l'éternel retour nietzschéen. Kundera s'interroge : «N'est-ce pas Don Quichotte, lui-même, après trois siècles de voyage revient au voyage déguisé en arpenteur ? » Il répond aussitôt : «Il était parti, jadis pour choisir ses aventures, et maintenant, dans ce village au-dessous du château, il n'a plus de choix, l'aventure lui est imposée.» («L'art du roman») Entre Cervantès et Kafka, que des siècles séparent, il y a une sorte de continuité. L'écrivain tchèque fait écho à l'écrivain espagnol, dialogue avec lui, le réactive, s'en réclame, s'en inspire, le prolonge, en développe l'esthétique. De l'un à l'autre, nous assistons à deux variations romanesques sur le même thème : la condition de l'homme dans une société holiste et grégaire. Ce qui est dit de ces deux écrivains est extensible à d'autres : Rabelais et Sterne, Stendhal et Fielding, Flaubert et Joyce etc., si bien que «chaque œuvre est la réponse aux œuvres précédentes.» Cette interaction entre les écrivains et leurs œuvres permet au roman donc d'échapper à la répétition, de se mettre en garde contre le pouvoir doxéique, d'inscrire le passé dans le futur. Il évolue, progresse, se métamorphose continûment et imprime son nom sur le palimpseste de l'histoire. En s'efforçant d'accomplir l'inaccompli, c'est sa propre histoire que le roman écrit.
La conscience historique chez Kundera n'inscrit pas seulement l'art du roman dans la continuité, mais elle le place aussi sous le signe de l'universel. Ce dernier libère le roman du «petit contexte» et le situe par conséquent au-delà des frontières locales. Que serait Broch s'il était confiné au contexte purement autrichien ? Que deviendrait Gombrowicz si l'on faisait de lui seulement un écrivain polonais ? Connaîtrions-nous Kafka si son œuvre n'était pas sortie de Prague? Cette tendance universaliste est seule capable de déterminer la valeur esthétique du roman, de découvrir son originalité, de dévoiler ses richesses. En revanche, le provincialisme, c'est-à-dire cette propension à réduire l'œuvre d'art à son histoire nationale, l'empêche d'entrer en osmose avec les productions artistiques mondiales, d'engager un dialogue avec les autres littératures. Le provincialisme, comme le définit Kundera, s'avère fortement simpliste, car pour lui «fixer son regard au-delà la frontière de la patrie, se joindre à ses confrères dans le territoire supranational de l'art, est considéré comme prétentieux, méprisant vis-à-vis des siens.» Le provincialisme passe sous silence le côté esthétique du roman et limite sa signification à des fonctions bien précises : nationaliste, idéologique, sociologique, doctrinale etc. En ce sens, le roman se trouve enrôlé, enrégimenté, soumis à la Doxa de telle enseigne qu'il est condamné à s'enfermer sur lui-même, à se rétrécir comme une peau de chagrin, à se mourir jusqu'à sa néantisation.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.