Sin agafaye de Latif Lahlou (1967-2017) Voilà un film qui mérite qu'on s'arrête sur son jubilé d'or : Sin agafaye, le court métrage de Latif Lahlou, réalisé il y a cinquante ans, en 1967 précisément. C'est un des titres emblématiques de l'âge d'or du court métrage et du documentaire au Maroc. Jeune diplômé de la prestigieuse école de cinéma parisienne IDHEC (lauréat de la 1ere promotion de 1959), il va d'abord enrichir son expérience par sa collaboration en tant que monteur à de nombreuses productions. Il passe ensuite à la réalisation de ses premiers films qui s'inscriront très vite dans une cohérence d'ensemble. Si Latif Lahlou réalisateur confirmé va passer avec ses longs métrages pour le cinéaste qui a le mieux abordé la bourgeoisie urbaine marocaine proposant une véritable radioscopie des nouvelles élites, ses premiers courts métrages ont eu pour cadre la campagne et la paysannerie marocaine. On peut parler à ce propos d'une première phase qualifiée de socio-ethnographique (versus la phase socio-psychologique pour les longs métrages de fiction), celle qui va, grosso modo, de 1959 à 1969 et marquée par la réalisation d'une vingtaine de courts et moyens métrages, inscrits dans l'approche de la ruralité et dont l'œuvre emblématique est Sin Agafaye (les deux canaux, en langue amazigh). Le court métrage dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire constitue une œuvre emblématique de cette période faste du documentaire marocain. Sin agafaye aborde une réalité complexe, celle de restituer un rite ancestral, relatif au partage communautaire de l'eau, en mettant en relief, par le seul travail de l'image, l'apport de l'investissement humain dans le dur labeur qu'imposent les conditions de vie à la campagne. Le film est le résultat d'une collaboration fructueuse entre le cinéaste et une figure de proue de la sociologie marocaine, le regretté Paul Pascon (1932-1985). Latif Lahlou rapporte à cet effet : « au cours d'une discussion, Paul Pascon grand spécialiste du Haouz de Marrakech me raconta une légende mise au point par les habitants de la région de Lalla Takerkoust pour établir et sacraliser une entente entre eux, pour éviter les disputes qui survenaient toujours à l'occasion de l'utilisation des eaux d'irrigation...». Le film accompagne en effet l'action des paysans dans leur action collective, loin de toute intervention extérieure pour organiser un partage équitable de l'eau en s'inspirant à la fois de l'héritage mythologique (la légende deux fiancés) et du sacré (c'est une prière collective qui vient consacrer l'accord et bénir le résultat obtenu. La caméra de Lahlou finit par intégrer la communauté en toute discrétion, suivant et rapportant les différentes phases de préparation et de réalisation des deux canaux d'où jaillira équitablement l'eau bienfaitrice vers les deux parties du village séparées par la vallée. Le film apparaît alors comme un hommage à cette communauté amazighe, pratiquement recluse du haut atlas, ce que n'a pas manqué de souligner le réalisateur : «le génie de nos paysans qui ont su, par cet acte collectif de Sin agafaye (les deux canaux) éviter toute intervention extérieure coercitive et sauvegarder leur liberté d'action et l'indépendance de leurs mouvements en garantissant une harmonie sociale entre eux».