Pendant des millénaires, les humains ont cru naïvement que la quête du bonheur était synonyme de quête du confort, du bien être, de la sérénité spirituelle, de l'épanouissement culturel, de la promotion sociale et, pourquoi pas, de ces petits plus qui vous donnent la sensation de la plénitude et de la complétude... Quelle ignorance ! Quel égarement ! La réalité est tout autre, la vérité est ailleurs ! Par bonheur (c'est le cas de le dire), il y a des gens intelligents, des maîtres à penser, des prospectivistes, des visionnaires, des oiseaux de bon augure, des empêcheurs de se gourer en rond, bref, de véritables prophètes qui s'évertuent, avec militantisme et abnégation, à nous déciller les yeux et à nous ramener sur la voie du salut et de la délivrance. Oyez, oyez ! La quête du bonheur, pour nous-mêmes et pour les générations futures, passe nécessairement par les privations et l'angoisse, par l'auto-flagellation et la méfiance. Non pas qu'il faille, comme disait le Mahatma Gandhi, « vivre simplement pour que les autres puissent simplement vivre », non. Non, il s'agit, en fait, de s'astreindre à une vie compliquée, sophistiquée, calculée, mise sous surveillance rapprochée, et nécessairement coûteuse… Bref, il s'agit d'adopter, comme philosophie de vie, la Niétologie. La niétologie est cette doctrine envahissante, qui est en train de prendre les dimensions d'une véritable civilisation, envoyant dans les poubelles de l'Histoire les bonnes vieilles civilisations postindustrielle, post-financière, post-électronicienne, post-informaticienne. Elle a été dénommée ainsi par référence au célébrissime terme bolchévique « niet », qui veut dire non, véto, oualou, zéro. C'est donc une doctrine fondée sur le refus et la négation, une doctrine qui vient battre en brèche le fameux mot d'ordre soixante-huitard « il est interdit d'interdire ». Pour les niétologues, l'avenir de l'humanité dépend essentiellement de ce que nous saurons nous imposer comme interdictions. Procédons par ordre, du plus général au plus particulier : * Il est interdit d trouer la couche d'ozone. Dès lors, on devrait interdire les centrales nucléaires, l'usage du pétrole et du gaz naturel, le chauffage au charbon et au bois. Bien sûr, il y a les éoliennes, mais elles défigurent le paysage et émettent des ronflements lugubres : alors, niet ! Bien sûr, il y a les barrages et l'énergie hydroélectrique, mais bientôt, nous risquons de ne plus avoir assez d'eau pour étancher notre soif et nous laver … Bien sûr, il a le solaire, mais quelles superficies du globe faudra t-il couvrir de miroirs pour remplacer un tant soit peut les sources d'énergie classiques ? De toute façon, n'est pas avéré que la principale source d'émission de CO2 est, de loin, le pet des vaches ? Dès lors, le salut de l'humanité dépendrait-il de la lutte contre l'aérophagie bovine ? * Il est interdit de procéder à des manipulations génétiques. Certes, il serait hautement immoral et antisportif qu'un quelconque Dr Frankenstein prélève des gènes du gros orteil de Zinedine Zidane et se mette à fabriquer in vitro des séries illimitées de dribbleurs qu'il vendrait à des millions de dollars à travers la planète foot…Mais il est, paraît-il, tout aussi répréhensible de faire pousser des végétaux transgéniques, alors, c'est niet pour le maïs, le riz, les patates, le soja transgéniques. Certes, ces produits sont fortement résistants et hautement productifs, et donc susceptibles de sauver de la famine des millions de miséreux et d'améliorer les revenus des agriculteurs, mais le sacro-saint principe de précaution, brandi le plus souvent par des gens qui n'y connaissent strictement rien, impose que ces cultures soient définitivement bannies, parce qu'elles risqueraient, , peut être, on ne sait jamais, ce qu'à Dieu ne plaise, touchons du bois, de causer des maladies incurables, de contaminer les eaux, la terre et les cieux et, allez voir, de faire naître des bébés dotés de 5 bras et d'une queue… Avec un tel esprit, bien peu de découvertes scientifiques auraient pu être réalisées ces deux derniers siècles ; avec un tel esprit, c'est, à court terme, la mort annoncée de la recherche scientifique… Mais l'essentiel n'est-il pas de « militer » ? c'est-à-dire de parader dans les médias, de faire de beaux discours et des coups d ‘éclat, et puis, tant qu'on a du bon tabac pour sa pipe, que les autres se débrouillent pour avoir leur trognon de pain ou leur bol de riz (bio, sinon niet) * Il est interdit de favoriser la malbouffe responsable de l'obésité, des maladies cardiovasculaires, du diabète, du cancer et autres maladies psychosomatiques. Là, il n'y a, sur le plan du principe, rien à dire, le problème est réel et il revêt une urgence et une acuité indéniables. Mais que fait-on de cette « noble cause » ? Certes, il y a des normes de plus en plus strictes pour la production, le conditionnement et la commercialisation des produits alimentaires, certes, il y a les campagnes d'information, de sensibilisation et d'éducation des populations ; mais à côté de cela, non seulement on brûle les récoltes honnies, mais on incendie aussi les fast foods dûment patentés, mais aussi, et surtout, on permet à une industrie agroalimentaire de plus en plus cynique de se faufiler dans ce créneau pour se goinfrer en mettant sur le marché, parfois à des prix prohibitifs, des articles aux étiquettes tantôt alléchantes, tantôt cabalistiques, tantôt carrément surréalistes : beurre sans matière grasse, desserts sans sucre, pain sans farine, et j'exagère à peine… Là, la niétologie pend comme mot clé non plus le « non » mais le « sans », des « sans » nécessairement « in », qui font du café décaféiné et du lait écrémé des vieilleries pour grands-mères gâteuses… Et pendant qu'on lutte pour le yaourt, le beurre, le blanc de poulet et la laque à cheveux, qu'en est-il de la liberté, de la justice, de la démocratie ? BOF ! Entendons-nous bien : la protection de l'environnement, l'écologie, la défense du consommateur et de son hygiène de vie sont devenus des impératifs essentiels face aux contraintes et aux abus liés à la modernité, aux progrès technologique et à la sédentarité. Ce sont là des causes légitimes et les combats menés pour les faire triompher sont des combats généreux… à condition que ces causes et ces combats ne se transforment pas, comme c'est trop souvent le cas, en fonds de commerce et en cheval de bataille permettant à des politiciens arrivistes de conquérir des sièges, à des industriels retors de s'en mettre plein les poches et à des scientifiques mégalomanes de se pousser du col… Et qui est le dindon de la farce ?...demandez à votre miroir…