Pour Abdelali Benamour, président de l'autorité de la concurrence, le Conseil dispose aujourd'hui de l'ossature nécessaire qui lui permettrait de fonctionner normalement et efficacement. Néanmoins, regrette-t-il, son caractère purement consultatif, ne le positionne pas dans le deal des pays européens où l'instance en question dispose de l'autorité décisionnelle et d'arbitrage, de l'autonomie financière, d'indépendance et d'auto-saisine. En attendant la date fatidique fixée pour fin 2011, les propositions d'amendement de la loi 06-99 sont déjà finalisées et soumises au département de tutelle. Al Bayane ; quel bilan faites-vous des activités du Conseil de la Concurrence depuis son démarrage il y a une année et demi ? Abdelali Benamour : depuis la nomination en août 2008 du président du Conseil et la désignation de ses membres début janvier 2009, l'autorité de la Concurrence a agi sur quatre grands axes. Le premier concerne le renforcement institutionnel. Comme vous le savez, le Conseil est parti de zéro, il aura fallu le doter de locaux, d'équipements et de compétences humaines (21 cadres et experts juridiques et économiques) pour répondre au besoin fondamental de toute autorité de la concurrence. Aujourd'hui, on peut dire qu'il existe au Maroc un véritable Conseil de la Concurrence qui dispose de l'ossature nécessaire pour fonctionner normalement et efficacement. Le Deuxième axe est celui de la sensibilisation. L'économie du marché et de la concurrence n'est pas très ancrée dans la culture du citoyen. On devait intervenir pour que la culture concurrentielle puisse arriver aux marocains. Nous avons organisé neuf rencontres régionales. Résultat : le marocain commence à comprendre aujourd'hui le rôle de l'autorité de la concurrence. Le traitement des demandes d'avis et saisines reçues des autorités compétentes (gouvernement, commissions parlementaires, magistrature, associations professionnelles, chambre professionnelle, syndicats, associations des consommateurs) consacre le troisième volet. Au total le Conseil a reçu 22 avis et saisines. Il a traité 12 dossiers dont une partie recevable et l'autre non recevable de part son objet. Quatre autres saisines seront traitées en septembre prochain lors de la dixième session du Conseil et le reste le sera plus tard. Le quatrième axe concerne donc l'avenir du Conseil. Son caractère purement consultatif ne le positionne pas dans le deal des pays européens où l'instance en question dispose de l'autorité décisionnelle, d'arbitrage et d'auto-saisine. Pour cela nous avons proposé des amendements de la loi 06/99 et demandé un timing qui se terminerait à fin 2011 pour se préparer à la date fatidique de 2012 de l'entrée en vigueur de l'accord d'Association Maroc-Union Européenne. A mon avis la transition a duré plus d'une décennie et il est temps de passer à l'action pour être en phase avec ce qui se passe dans le monde. C'est là un besoin fondamental que de voir le Conseil doté d'un pouvoir décisionnel et d'indépendance. Oui, mais comment s'explique cette déformation congénitale du Conseil par rapport à ses pairs dans les pays ayant un niveau de développement similaire ? C'est vrai, c'est une déformation de naissance. Il faut rattraper le retard accusé dans ce sens. Nous, en tant que membres du Conseil, avons demandé au Premier ministre qu'il fallait réguler l'économie du marché contre les rentes et agir contre les ententes entre les entreprises (en termes de prix, de qualité ou de répartition géographique), contre les positions dominantes et la concurrence utilisée à mauvais escient et en luttant contre la dimension mythique, cartel, trust et concentrations. La concurrence doit jouer au profit du consommateur d'un point de vue social et économique. Bref, l'autorité de la concurrence doit profiter au monde économique et les règles de la concurrence et d'arbitrage s'imposent pour agir contre toutes formes de débordement. C'est comme dans un match de foot, chaque manquement à la discipline doit être sanctionné (avertissement, carte jaune et en dernier ressort un carton rouge) sans toutefois que le rôle de l'autorité de la concurrence en terme de conseil et d'accompagnement ne soit relégué au second plan. Aujourd'hui toutes les décisions du Conseil peuvent être révisées ou rejetées par la justice. D'où tout l'intérêt de la sensibilisation et de la sanction en matière d'arbitrage. Finalement, on est les défenseurs de la liberté d'entreprise et non le contraire. Que représente la tutelle de la primature au Conseil ? Est-elle réellement un sérieux handicap ? L'autorité de la concurrence doit reposer sur trois piliers majeurs. L'indépendance à l'égard du gouvernement et du monde économique, condition sine qua none à toute décision crédible. Le constat fait aujourd'hui est que l'Etat régulateur est à la fois juge et partie. L'efficacité du Conseil dépend donc automatiquement de son autonomie financière, de son pouvoir décisionnel, de sa personnalité morale et de son indépendance par rapport aux autorités gouvernementales. La composition du Conseil est elle-même déterminante de l'indépendance de cette instance (même si les membres actuels du Conseil sont au dessus de tout soupçon). Dans les autres pays, le Conseil agit selon deux formules : dans la première le conseil est composé d'un président et de quatre ou six experts économiques et juridiques. Dans l'autre formule, il est représenté par des membres de l'administration, du monde économique, de la société civile (associations des consommateurs) et d'experts. Mais s'il y a une décision à prendre, seul le président et le comité d'experts peuvent trancher. C'est pour cette deuxième formule qu'on milite au sein du Conseil. Comment peut-on imaginer la complémentarité du Conseil avec les autres autorités de contrôle notamment la HACA, l'ANRT ou autre ? Je dirais qu'il ya un grand problème d'harmonisation des textes. Le Conseil de la Concurrence est un régulateur national qui doit gérer les comportements anticoncurrentiels en aval. Les autres organes de contrôle jouent un rôle de régulateur sectoriel qui est censé s'occuper de tout ce qui est amant. Il faut créer les conditions de concurrentiabilité pour éviter les risques de «promiscuité». Aussi, tout régulateur ne peut-il fonctionner que si les gens qui le composent sont au dessus de tout soupçon et que s'il y a probité totale. Vous savez, qu'en Allemagne, pays avec lequel on a une convention de jumelage, il existe une autre commission formée de cinq personnalités nationales (un président et quatre membres connus pour leurs compétences) qui confectionne chaque six mois un rapport sur l'économie nationale. Cette commission joue en quelque sorte le rôle du Conseil Economique et Social. Aujourd'hui toutes les décisions du Conseil peuvent être révisées ou rejeter par la justice. D'où tout l'intérêt de la sensibilisation et de la sanction en matière d'arbitrage. Finalement, on est les défenseurs de la liberté d'entreprise et non le contraire. L'évolution actuelle de l'environnement économique et institutionnel est-elle favorable pour que le Conseil joue pleinement son rôle d'arbitrage ? La concurrence doit tenir compte de la réalité économique d'un pays. Sinon on risque de se trouver dans un cercle vicieux. Là où il ya une nuance, ça profite à une partie au détriment de l'autre. Cela étant, l'exception sociale existe (compensation). L'exception économique aussi (dérogations) dans la mesure où les PME comme les champions nationaux peuvent être aidés. Comment voyez-vous les perspectives d'avenir du Conseil ? Je suis de nature et de caractère optimiste. Il y a une petite fenêtre qui vient de s'ouvrir. La déclaration officielle d'un responsable du gouvernement le confirme et fixe l'échéance à fin 2011 pour l'aboutissement de la réforme. Dans tous les cas, le Conseil de la Concurrence sera boiteux si la réforme ne passe pas…